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lundi 30 septembre 2024

La guerre sino-vietnamienne de 1979 ou la fin d’une « relation spéciale »

 

Les communistes chinois et vietnamiens n’étaient pas condamnés par l’« Histoire » à devenir des ennemis héréditaires. Mais une triple rupture au sein du bloc communiste fut la source de la guerre sino-vietnamienne de 1979, aux lendemains de la guerre du Vietnam, mettant fin à l’internationalisme fraternel qui avait jusque-là sous-tendu la collaboration communiste en Asie, enterrant jusqu’à aujourd’hui la relation spéciale entre Hanoï et Pékin.

Personne n’aurait jamais pu deviner en 1950 qu’un jour, le Vietnam d’Hô Chi Minh et la Chine de Mao Zedong allaient se faire la guerre. L’avenir révolutionnaire s’annonçait si radieux cette année-là. En octobre 1949, la Chine était devenue communiste. Son nouveau leader, Mao Zedong, se rendit peu après à Moscou pour sceller un traité de sécurité avec le dirigeant de l’Union soviétique, Joseph Staline. Impressionné, ce dernier accueillit le nouvel État chinois dans le camp communiste et accorda à Mao la direction des affaires communistes en Asie dont relevait le Vietnam d’Hô. Sans attendre, le Grand Timonier reconnut en janvier 1950 le gouvernement d’Hô Chi Minh, ami communiste de longue date. L’aide militaire fournie par les Chinois s’avéra essentielle à la victoire vietnamienne sur les Français à Diên Biên Phu en 1954.

Et pourtant, vingt ans plus tard à peine, une fois les Français et les Américains chassés du Vietnam et tout le pays unifié sous la direction communiste, cette relation spéciale sino-vietnamienne vola en éclats. Les tensions devinrent si graves qu’en février 1979 l’armée chinoise envahit le Vietnam. Ce fut le début de ce que l’on appela « la troisième guerre d’Indochine », premier conflit armé du genre entre des pays communistes dans l’histoire globale. Hanoï et Pékin publieront vite des Livres blancs qui faisaient remonter l’origine de la présente conflagration à des temps immémoriaux tout en rejetant le blâme sur autrui. Mais le conflit de 1979 s’explique moins par des animosités datant de l’Antiquité que par un triple schisme historique à l’intérieur de cette église communiste, creusé à partir des années 1950 : une rupture entre les Chinois et les Soviétiques situés au sommet du bloc et une autre s’opérant au niveau indochinois, opposant les Vietnamiens à leurs anciens alliés cambodgiens, les Khmers rouges. C’est l’imbrication complexe de ces deux scissions au lendemain du retrait américain de Saïgon en 1975 qui ouvrit la voie à la troisième déchirure, celle opposant les Vietnamiens aux Chinois.

Chine-Vietnam : l’histoire d’une relation spéciale

S’il exista une relation spéciale dans l’histoire du communisme asiatique, ce fut bien celle qui se tissa entre les camarades chinois et vietnamiens dès le début du XXe siècle. Dès la sortie de la Grande Guerre, les chemins révolutionnaires d’Hô Chi Minh et de Zhou Enlai s’étaient croisés en France. Comme tant d’autres à l’époque, les deux hommes étaient venus en Europe en quête de nouvelles idées pour assurer une refondation à leurs pays mis à mal par la domination occidentale. À cet égard, la Révolution d’octobre de Vladimir Lénine et la création du premier État communiste dans l’histoire mondiale, celui de l’Union soviétique, retinrent tout particulièrement leur attention. Lénine avait jeté les bases d’une communauté communiste lorsqu’il fonda en 1919 le Komintern, une organisation internationale vouée à la création des partis communistes dans le monde, et aida les Chinois à créer leur propre parti à Shanghai en 1921. Hô Chi Minh et Zhou Enlai, tous deux convaincus du bien-fondé du marxisme-léninisme et persuadés d’obtenir un soutien soviétique, retournèrent en Chine méridionale dans le but de bâtir un nouvel avenir pour leurs pays.

Depuis la chute de l’Empire chinois en 1911, la ville de Guangzhou (Canton) était devenue un laboratoire révolutionnaire. Les nationalistes et communistes chinois faisaient front commun pour créer une nouvelle Chine derrière Sun Yat-sen et son bras droit, Chiang Kai-shek. En 1924, Hô débarqua à Guangzhou, lié par voie maritime au Vietnam depuis des lustres, dans le but de créer un parti révolutionnaire vietnamien. Avec l’aide de Zhou, il enrôla une centaine de jeunes Vietnamiens à l’académie politico-militaire de Whampoa. En 1927, la guerre civile éclata entre les nationalistes et les communistes chinois mais la collaboration sino-vietnamienne continua. Dans les rangs des communistes chinois ayant entamé la célèbre Longue Marche vers la province de Yan’an, dans le Nord de la Chine, figurait l’un des élèves d’Hô Chi Minh : Nguyen Son, devenu un général dans l’armée de Mao et un membre du comité central du parti communiste chinois.

À l’aise en chinois, Hô rejoignit les communistes chinois qui prenaient la mer pour promouvoir les opérations du Komintern en Asie portuaire. En 1930, à Hong Kong, Hô créa son Parti communiste indochinois. Il joua aussi un rôle important dans la fondation du Parti communiste thaïlandais à Bangkok et du Parti communiste malais à Singapour. Le secrétaire général du parti communiste malais fut, jusqu’en 1947, un Vietnamien choisi par Hô. Lors de son retour en Asie à la veille de la Seconde Guerre mondiale, Hô fit une escale à Yan’an où il renoua avec Zhou et rencontra Mao. Les Livres blancs de 1979 ne disent pas un mot sur cette collaboration sino-vietnamienne en Asie du Sud-Est, « oubliée », ni sur le fait que Hô Chi Minh épousa une Chinoise de Guangzhou en 1926.

On le sait, Hô profitera du renversement de l’Indochine française par les Japonais lors de la Seconde Guerre mondiale, suivi par la défaite japonaise quelques mois plus tard, pour retourner au pays et créer le 2 septembre la République démocratique du Vietnam. À cette époque, les contacts sino-vietnamiens étaient devenus rares. Pendant que l’armée de Mao se battait contre celles de ses ennemis nationalistes dans un nouveau conflit civil en Chine, Hô entra en guerre contre les Français déterminés à reprendre l’Indochine par la force. Mais la victoire communiste en Chine en 1949 rétablit les relations intimes entre les deux partis. En janvier 1950, Mao reconnut diplomatiquement le Vietnam du président Hô, lui fournit une assistance militaire moderne et envoya des conseillers pour l’aider à mettre en place une nouvelle armée conventionnelle, une économie socialiste et un État communiste. Les Chinois allèrent jusqu’à approuver la décision de Hô Chi Minh de diriger la révolution indochinoise, y compris son intention de former des gouvernements de résistance associés pour le Laos (le Pathet Lao) et le Cambodge (le Khmer Issarak).

Il n’y eut pas de rupture sino-vietnamienne lors de la guerre d’Indochine. Contrairement à ce que le Livre blanc vietnamien avance en 1979, la décision sino-soviétique de négocier une solution politique au problème indochinois à Genève en juillet 1954 avait reçu l’accord de Hô, incluant la division provisoire du Vietnam à la hauteur du 17e parallèle. Bref, de la rencontre de Hô et Zhou Enlai à Paris en 1921 jusqu’à la signature du cessez-le-feu à Genève en 1954, les relations sino-vietnamiennes comme celles dans le reste du bloc communiste avaient été bonnes. Or, tout changea après Genève avec l’apparition de trois scissions dans le bloc communiste.

Le bloc communiste indochinois divisé : la scission vietnamo-khmère rouge

Le cessez-le-feu de Genève exigea que le Vietnam de Hô, maintenant confiné au Nord Vietnam, retirât tous ses effectifs du Cambodge d’avant 1954 — soldats, fonctionnaires et chefs cambodgiens. Paradoxalement, la disparition des Vietnamiens permit à un autre groupe de communistes cambodgiens restés sur place et dirigés par un certain Saloth Sar, mieux connu sous le nom de Pol Pot, de créer un parti communiste distinct du Parti communiste indochinois de 1930 et du gouvernement de résistance Khmers Issarak de 1950. Bien que Pol Pot continuât à entretenir des liens avec les communistes vietnamiens face à l’intervention américaine au Vietnam dans les années 1960, ce nouveau groupe, appelé les Khmers rouges par le dirigeant du royaume du Cambodge, Norodom Sihanouk, n’avait pas l’intention de laisser les Vietnamiens diriger le Cambodge révolutionnaire comme avant 1954.

La méfiance apparut clairement en 1970, lorsqu’un coup d’État au Cambodge chassa Sihanouk du pouvoir et permit aux troupes américaines et sud-vietnamiennes d’en profiter pour envahir le Cambodge oriental dans le but de détruire définitivement les bases et les lignes de ravitaillement de la piste Hô Chi Minh. La chute de Sihanouk et les attaques ennemies sur la piste Hô Chi Minh amenèrent Hanoï à vouloir soutenir à nouveau le mouvement communiste au Cambodge. Mais les Khmers rouges craignaient que les Vietnamiens ne reprennent la révolution cambodgienne en main là où ils l’avaient laissée à Genève. Les premiers accrochages armés entre les communistes vietnamiens et les Khmers rouges se produisirent au Cambodge peu après le coup de 1970. À Hanoï, on gardait le silence. Il s’agissait des malentendus au niveau local, rien de plus.

Sur ce point, les Vietnamiens se trompèrent lourdement. Bien que Hô et ses disciples n’aient jamais eu l’idée de « coloniser » le Cambodge, comme les Khmers rouges le déclareront dans leur propre Livre noir en 1978, Hanoï supposait que l’entourage de Pol Pot partageait toujours le rêve commun de vaincre les Américains et de créer des régimes communistes indépendants mais associés, en alliance avec le reste du bloc communiste eurasiatique. Le 17 avril 1975, les Khmers rouges prenaient le pouvoir à Phnom Penh, quelques jours seulement avant que Saïgon ne tombât aux mains de Hanoï (le 30 avril). Lorsque les dirigeants vietnamiens victorieux vinrent féliciter les dirigeants du nouveau Kampuchéa démocratique à la mi-1975, en parlant d’une façon enthousiaste de « solidarité indochinoise », les communistes cambodgiens y virent une nouvelle tentative vietnamienne de rétablir leur domination aux dépens de la pleine souveraineté cambodgienne. Malgré son sourire rassurant, ses remerciements aux délégations vietnamiennes et une idéologie marxiste-léniniste partagée, Pol Pot percevait les communistes vietnamiens comme une menace nationale. Cette scission dans la maison communiste indochinoise se profilait au moment où celle opposant les géants communistes en Eurasie atteignait son paroxysme.

Un bloc eurasiatique divisé : la scission sino-soviétique

On le sait, les origines de la rupture sino-soviétique remontent au discours que Nikita Khrouchtchev fit en 1956. Dans son adresse au parti soviétique, il approuva la déstalinisation et la coexistence pacifique. Ce changement radical d’orthodoxie communiste tombait au moment où Mao initiait le « Grand Bond en avant » et se préparait à reprendre Taïwan par la force. Choqué par ce qu’il considérait comme une hérésie, Mao commença à tracer une ligne de conduite indépendante de celle du grand frère soviétique, ce qui ne tarda pas à créer des tensions entre Moscou et Pékin. Plus que toute autre chose, l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie en 1968 brisa définitivement le bloc communiste à son sommet. Bien que Moscou n’eût aucune intention de chasser Mao du pouvoir, la violation par Moscou de la souveraineté nationale d’un autre État dans la famille communiste et européenne convainquit les communistes chinois que l’Union soviétique, et non les États-Unis, était devenue la principale menace pour la sécurité nationale de la Chine. La situation s’aggrava à ce point qu’en 1969, les troupes chinoises et soviétiques s’affrontèrent brièvement mais violemment le long de leur frontière commune en Asie centrale, les armes nucléaires étant en alerte d’un côté comme de l’autre. Entretemps, Mao mit fin à sa révolution culturelle, faisant passer la politique étrangère chinoise de l’internationalisme prolétarien à la realpolitik. La meilleure preuve en est que Mao et Zhou autorisèrent l’ouverture des négociations avec les Américains dans un volte-face extraordinaire destiné à endiguer l’Union soviétique. Convertis eux aussi à la realpolitik, le nouveau président Richard Nixon et son conseiller à la sécurité nationale, Henry Kissinger, accueillirent favorablement une normalisation des relations entre Pékin et Washington.

Ce changement sismique dans les relations internationales mondiales influença directement les relations sino-vietnamiennes et vietnamo-cambodgiennes. Si les Chinois avaient d’abord critiqué les communistes vietnamiens pour avoir négocié avec les Américains après l’offensive du Têt au début de l’année 1968, ébranlés qu’ils furent par l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie quelques mois plus tard, ils poussèrent les Vietnamiens à parler aux Américains à Paris, où des pourparlers secrets avaient été entamés. Certes, Pékin continua de soutenir Hanoï dans sa tentative de faire partir les Américains, mais les Chinois poursuivirent simultanément leurs efforts pour améliorer leurs propres relations avec l’ennemi d’Hô Chi Minh, les États-Unis. Le voyage historique de Nixon en Chine au début de l’année 1972 ne pouvait pas tomber à un pire moment dans la guerre du Vietnam contre les Américains, et Nixon et Kissinger exploitèrent ce levier au maximum.

Cette concurrence complexe entre les Chinois, les Soviétiques et les Américains était beaucoup plus dangereuse pour les communistes vietnamiens qu’elle ne l’avait jamais été avant 1969. Sans surprise, les dirigeants chinois se révélèrent les plus difficiles à satisfaire. Dans leur crainte du « chauvinisme » soviétique, de l’encerclement et des violations de la souveraineté nationale à tout bout de champ, ils interprétaient de plus en plus tout signe — réel ou imaginaire — de favoritisme de la part de Hanoï à l’égard de Moscou comme une menace pour la sécurité nationale de la Chine sur son flanc méridional. Pendant ce temps, les Soviétiques repoussaient les tentatives sino-américaines de les endiguer en Eurasie en intensifiant leurs relations avec les communistes vietnamiens. En 1971, alors que Kissinger se rendait à Pékin, l’ambassade soviétique à Hanoï déclara dans un rapport interne que grâce au renforcement de la position et à la victoire du Vietnam, « nous aurons comparativement plus de possibilités d’établir notre politique dans cette région. Il n’est pas exclu que l’Indochine devienne pour nous la clé de toute l’Asie du Sud-Est. En outre, dans cette région, il n›y a personne, jusqu’à présent, sur qui nous puissions nous appuyer, à l’exception de la République démocratique du Vietnam » (1).

Vers la troisième guerre d’Indochine et la rupture sino-vietnamienne

Jusqu’à la chute de Saïgon en avril 1975, Hanoï refusa de prendre position dans la rupture sino-soviétique. Mais il n’est pas sûr que Hanoï ait saisi à quel point l’Indochine allait rester après 1975 un enjeu géopolitique majeur, non plus pour les Américains à peine partis de Saïgon, mais surtout pour les Chinois et les Soviétiques. Pour être juste, il n’est pas sûr qu’aucun diplomate à l’époque n’aurait pu prédire comment trois facteurs allaient se combiner pour mettre à nouveau le feu aux poudres en Indochine. Le premier facteur explosif résidait dans la crainte qui était celle des Chinois que le moindre rapprochement de Hanoï en faveur de l’Union soviétique puisse représenter une grave menace pour leur sécurité nationale, celle d’un encerclement non seulement terrestre mais aussi maritime vu comment l’océan Pacifique était partagé par Moscou et Pékin (les Chinois avaient peur que le port de Cam Ranh dans la mer de Chine ne passe aux Soviétiques). Le second facteur explosif était la conviction qu’avaient les dirigeants khmers rouges, plus paranoïaques encore que les Chinois, et qui contrôlaient désormais tout le Cambodge, que les communistes vietnamiens constituaient bel et bien une menace à leur sécurité nationale et, qu’à ce titre, il fallait s’opposer à tout prix. Enfin, la combinaison des deux facteurs précédents préparait dangereusement le terrain pour précipiter l’ensemble de l’Église communiste à l’échelle eurasiatique vers une guerre sino-vietnamienne.

Or, c’est exactement ce qui se produisit lorsque les Khmers rouges attaquèrent le Sud du Vietnam en 1977, précipitant ainsi la chute de l’édifice communiste en Indochine. Pris au dépourvu et conscient du danger de laisser une alliance sino-cambodgienne se retourner contre eux, Hanoï implora ses partenaires chinois de freiner Pol Pot. Mais les Chinois maintinrent leur soutien aux meurtriers khmers rouges, convaincus qu’ils avaient besoin de ce pays à leurs côtés pour empêcher les Vietnamiens de s’emparer de toute l’ancienne Indochine française et de la livrer aux Soviétiques — ce qui, pour eux, aurait constitué un véritable cauchemar. Hanoï, à son tour, était désormais convaincu que Pékin utilisait les Khmers rouges pour menacer son nouveau Vietnam unifié. En conséquence de quoi, Hanoï renforça sa collaboration avec les communistes laotiens au pouvoir à Vientiane en signant un traité de sécurité. Cela attisa les pires craintes de Pékin qu’une conspiration vietnamienne œuvrait en Indochine contre la Chine. Alors que l’internationalisme fraternel avait autrefois sous-tendu la collaboration communiste en Asie, la paranoïa, le racisme, le nationalisme débridé et la haine brute prenaient maintenant le dessus : les responsables vietnamiens expulsèrent les Chinois de leur pays, les Khmers rouges ordonnèrent le massacre des Vietnamiens dans le leur et les armées chinoises et soviétiques s’amassèrent sur leur frontière en Asie centrale, s’accusant mutuellement de trahir le canon marxiste-léniniste.

Aucun moment n’était plus propice pour qu’un dirigeant communiste s’avançât dans la famille communiste et désamorçât les tensions. Hô Chi Minh était décédé en 1969. Les Américains n’allaient certainement pas aider à calmer le jeu. Inquiète des avancées soviétiques en Afrique et en Asie centrale (l’Union soviétique envahit l’Afghanistan en 1979), l’administration de Jimmy Carter joua la « carte de la Chine » au lieu de normaliser ses relations avec le Vietnam, dont les dirigeants voulaient maintenant désespérément oublier le passé pour normaliser leurs relations avec Washington. En vain. Isolé, Hanoï accepta de signer un traité de défense mutuelle avec Moscou en novembre 1978 avant de s’attaquer aux Khmers rouges. Ce faisant, Hanoï alimentait la crainte de Pékin de voir l’ensemble de l’Indochine tomber aux mains des Soviétiques.

Le 25 décembre 1978, l’Armée populaire du Vietnam entra au Cambodge, renversa les Khmers rouges et installa un nouveau gouvernement révolutionnaire fidèle à Hanoï et à Moscou. Tous les acteurs étaient désormais en passe de transformer leurs pires craintes — dont beaucoup n’étaient au départ que purs fantasmes — en réalités déstabilisantes. Alors que les Vietnamiens pénétraient au Cambodge, renversant l’allié cambodgien de Pékin, le nouveau dirigeant de la Chine, Deng Xiaoping, décida de jouer la « carte américaine ». Début 1979, il se rendit à Washington pour une visite tout aussi historique que celle que Nixon avait effectuée en Chine quelques années plus tôt. Deng fit part aux Américains de son plan visant à « donner une leçon au Vietnam » pour avoir renversé les Khmers rouges. Carter donna sa bénédiction, penchant ainsi du côté de la Chine contre l’axe Hanoï-Moscou. Début 1979, Washington et Pékin normalisèrent leurs relations diplomatiques.

De retour à Pékin, Deng Xiaoping donna l’ordre d’envahir le Vietnam. Cela devint effectif le 17 février 1979, lorsque l’armée chinoise pénétra dans le Nord du Vietnam. Alors que les images satellites fournies par les Américains rassuraient les Chinois sur le fait que les Soviétiques n’attaqueraient pas par le nord en Asie centrale, excluant ainsi une guerre eurasiatique sur deux fronts, de violents combats se déroulèrent au Vietnam du Nord avant que Deng ne retirât ses troupes. Il maintiendra la pression sur la frontière sino-vietnamienne jusqu’à la fin de la guerre froide en 1991 et la normalisation des relations sino-soviétiques. Les relations sino-vietnamiennes s’amélioreront aussi, mais la relation spéciale entre les partis de Hô Chi Minh et de Mao Zedong fut enterrée en 1979 et restera un sujet tabou dans l’histoire des deux pays jusqu’à nos jours.

Note

(1) Ilya V. Gaiduk, « The Soviet Union Faces the Vietnam War », in Maurice Vaïsse et Christopher Goscha (dir.), La Guerre du Vietnam et l’Europe, 1963-1973, éditions Bruylant, 2003, p. 201.

Christopher Goscha

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