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lundi 30 septembre 2024

Chine-UE : un accord est-il possible sur la taxation des véhicules électriques chinois en Europe ?

 

L’Union européenne s’apprête à prendre une décision définitive sur la taxation des exportations chinoises de voitures électriques. Après des mesures provisoires imposées le 4 juillet dernier les ajustements se poursuivent et les positions des Européens fluctuent sous forte pression de Pékin. La visite à Bruxelles du ministre chinois du Commerce le 19 septembre a relancé un dernier cycle de négociation et l’approbation des propositions finales de la Commission européenne par les États-membres est désormais reportée au 13 octobre. Un accord UE-Chine reste possible.

La Commission européenne avait adopté le 4 juillet dernier un dispositif de taxation provisoire des importations de véhicules électriques chinois venant s’ajouter aux 10 % de droits de douane habituels. Trois constructeurs chinois étaient spécifiquement visés avec une taxe de 17,4 % pour BYD, 19,9 % pour Geely et 37,6 % pour SAIC (qui avait été jugé « non coopératif » dans les échanges d’information avec Bruxelles). Les importations en provenance de Chine des marques européennes étaient taxées autour de 21 % et Tesla poursuivait une négociation séparée avec la Commission.

De son côté, la Chine a lancé dès janvier 2024 une procédure anti-dumping contre les spiritueux européens, suspendue fin août, puis deux procédures anti-subventions, l’une en juin contre les exportations de viande de porc européenne, et l’autre en août sur les produits laitiers. Ces exportations européennes vers la Chine représentaient un peu plus de 5 milliards de dollars en 2023 (2,3 milliards de dollars pour les spiritueux, 1,7 milliards pour les produits laitiers et 1,2 milliards pour la viande de porc), tandis que les importations chinoises de voitures électriques dans l’Union européenne atteignaient 9,7 milliards d’euros.

Les ajustements et les négociations se poursuivent sans relâche

La Commission européenne a fait connaître le 20 août ses intentions pour l’imposition de droits définitifs en novembre. Le niveau des taxes serait légèrement revu à la baisse pour les trois constructeurs chinois directement sous enquête (17 % pour BYD, 19,3 % pour Geely et 36,3 % pour SAIC). Tesla obtient un traitement de faveur à l’issue d’une négociation séparée, avec une taxe limitée à 9 % pour son usine de Shanghai. Mais ces annonces ne mettent pas fin aux négociations avec les autorités chinoises.

Du côté des États-membres, la balance penche davantage vers Pékin. Pedro Sanchez a annoncé un revirement de la position espagnole, jusque-là favorable aux propositions de la Commission européenne, lors de sa visite en Chine du 9 au 11 septembre dernier. Une décision sur fond d’importants investissements chinois en Espagne, avec l’officialisation d’un investissement d’Envision à hauteur d’un milliard de dollars pour une usine d’électrolyse destinée à la production d’hydrogène vert, et peut-être la finalisation d’un investissement de SAIC pour une usine d’assemblage de véhicules électriques – l’Espagne fait partie avec la Hongrie et la République tchèque des trois pays ciblés par SAIC, une décision étant attendue prochainement.

Le revirement espagnol ne suffit pas à remettre en cause les projets de la Commission. Il faudrait une majorité qualifiée de quinze États-Membres représentant au moins 65 % de la population de l’UE pour bloquer les propositions de la Commission, et on n’en est pas encore là. Du côté des États-membres, les plus importants, les prises de position s‘équilibrent – France et Italie contre Espagne et Allemagne. Mais l’affaiblissement du front communautaires couplé à l’accumulation des projets chinois de contre-mesures accentuent la pression sur le négociateur européen.

Dernières tentatives pour un accord

La visite à Bruxelles du ministre du Commerce Wang Wentao le 19 septembre a inauguré un dernier cycle de négociation et la réunion du comité qui devait approuver les mesures finales proposées par la Commission a été reportée du 25 septembre au 13 octobre.

L’objectif de ces dernières négociations est de voir si des engagements portant sur les prix et les volumes d’exportation des différents constructeurs chinois permettraient d’éviter les surtaxes envisagées par la Commission. Les propositions déjà faites par les constructeurs chinois ont été jugées insuffisantes par les négociateurs européens. Ces derniers sont prudents car ils ont en mémoire le précédent des panneaux solaires chinois en 2012. La Commission avait à l’époque, sous l’influence de l’Allemagne, accepté de ne pas taxer les ventes chinoises de panneaux solaires qui inondaient le marché européen à des prix défiant toute concurrence. Les industriels chinois avaient donné des garanties de prix qui n’ont pas été réellement respectées par la suite, et l’industrie européenne a été balayée par la concurrence chinoise.

Un accord sur les prix permettrait d’éviter les contre-mesures chinoises, mais la crédibilité de la Commission est clairement en jeu. Il lui faut des garanties sérieuses et un mécanisme de contrôle efficace pour renoncer à un dispositif de surtaxes qui vise simplement à rétablir l’équilibre de concurrence. Une étude récente du CSIS (Center for Strategic and International Studies) chiffrait à 230 milliards de dollars sur quinze ans (entre 2009 et 2023) les subventions dont a bénéficié l’industrie chinoise des véhicules électriques, un chiffre qui représente 18 % du chiffre d’affaires des industriels chinois concernés. Si on rapproche ce taux de 18 % des taxes envisagées par Bruxelles à hauteur de 21 % en moyenne, on voit que l’enquête menée par la Commission n’est pas arbitraire. Il y a un vrai fondement économique aux mesures envisagées, contrairement aux taxes à 100 % imposées successivement par les États-Unis et le Canada qui visent, elles, à bloquer l’accès du marché intérieur aux exportations chinoises.

Le cas des voitures électriques constitue un test majeur pour la crédibilité de l’Union européenne vis-à-vis de la Chine dans la stratégie de commerce ouvert mais équitable qu’elle affiche (« open and fair trade »). Le fameux « derisking » promu par Ursula von der Leyen, qui s’oppose au « decoupling » américain, est en jeu. Rendez-vous le 13 octobre prochain pour y voir plus clair.

Hubert Testard

asialyst.com