Son parti est officiellement «pestiféré». Du moins pour les autres forces politiques françaises. Entre les deux tours des élections législatives des 30 juin et 7 juillet, le Rassemblement national (RN) a payé cher le «barrage républicain» mis en place contre ses candidats par tous ses adversaires.
Les candidats de gauche et de droite se sont mutuellement désistés. Leurs électeurs les ont suivis. Résultat: Marine le Pen, 56 ans, est aujourd’hui présidente d’un groupe de 126 députés. Le plus important de l’Assemblée nationale certes, mais loin des 200 élus, voire plus – il en faut 289 pour la majorité absolue – qu’elle pouvait escompter au vu des prédictions du premier tour.
Pire: Marine Le Pen et son groupe de droite nationale populiste ont commencé la nouvelle législature par un camouflet. Aucun de ses candidats n’a été retenu pour l’un des postes du bureau, l’instance qui dirige l’Assemblée nationale. Exit. Basta.
On la croyait donc condamnée à jouer les seconds rôles et à patienter dans l’antichambre du pouvoir législatif français. Grosse erreur. Car dans les faits, la patronne du Rassemblement national est en train de démontrer, depuis la démission du Premier ministre Gabriel Attal et de son gouvernement le 16 juillet, qu’elle est incontournable. Voire qu’elle peut, en coulisses, obliger Emmanuel Macron à tenir compte de son avis, voire à infléchir sa politique.
Simples calculs
Le secret de Marine le Pen est simple: son groupe politique peut déclencher la foudre, et orchestrer la chute de tout gouvernement. Une explication est nécessaire pour ceux qui ne sont pas familiers de la politique française. L’Assemblée nationale est, depuis le 7 juillet, divisée en trois blocs à peu près égaux: droite nationale populiste, droite traditionnelle et centre droit, et union de la gauche.
Aucun ne peut atteindre les 289 voix nécessaires pour voter une motion de censure contre le futur Premier ministre, que les députés peuvent lancer. Mais si une alliance baroque d’opposition se constitue, la barre peut être franchie et boum: le chef du gouvernement devra démissionner. Exemple: en cas de crise sociale, ou de refus de l’austérité budgétaire exigée par l’aggravation du déficit public, le RN pourrait voter la censure avec son ennemi juré, la France Insoumise (gauche radicale), plus une fraction d’autres élus. A l’inverse, aucune censure ne semble viable si le RN décide l’accalmie et préfère «juger sur pièces».
La patronne du Rassemblement national, fille du fondateur du Front national Jean-Marie Le Pen (96 ans), a en fait un allié de poids. Il s’agit de celui qui, deux fois de suite, lui a infligé une sévère défaite électorale, après avoir dominé leurs débats télévisuels: Emmanuel Macron. Le président français, en décidant de dissoudre l’Assemblée nationale le 9 juin, a allumé le feu électoral.
Des nouveaux élus partout
Le RN, qui comptait auparavant 88 députés, a pu très vite embrayer sur ses thématiques: demande de sécurité, lutte contre l’immigration, défense du pouvoir d’achat, respect des valeurs identitaires, mobilisation contre l’islam, critique virulente de l’Union européenne et de sa «boulimie technocratique». Le résultat a été massif. Les territoires ruraux ont succombé. La classe moyenne a basculé. Partout, le RN a récolté des élus. Presque partout, son score au premier tour a atteint un record historique.
Or voilà qu’Emmanuel Macron continue de faire le lit du RN. Le président consulte en vue de nommer un Premier ministre depuis bientôt deux mois, mais avec la volonté de ne pas changer de politique et de ne pas remettre en cause son bilan. En clair: Macron, tout en promettant de respecter les électeurs, cherche à les contourner. Un scénario idéal pour Le Pen et les siens, qui dénoncent depuis longtemps une logique de coup d’État chez le président, réclament des référendums, et veulent abroger certaines de ses mesures les plus symboliques comme la réforme des retraites.
Il suffit d’attendre
Marine Le Pen n’a qu’à attendre. Ses députés respectent à la lettre les procédures parlementaires. Ils réclament eux aussi le scrutin proportionnel, demandé par les centristes et par une partie de la gauche. Ils ne chahutent pas l’exécutif. Ils tissent leur toile.
Celle qui est déjà candidate à la prochaine élection présidentielle de 2027 peut, en plus, se poser en victime. Le 30 septembre, elle comparaîtra devant la justice dans une affaire de détournement de fonds publiés liée à l’emploi par son parti d’assistants parlementaires européens. Elle risque d’être jugée coupable, et de se retrouver inéligible pour un temps donné.
Mais il ne s’agira que du jugement de première instance. Marine Le Pen pourra faire appel. Elle ne manquera pas de dénoncer les attaques judiciaires contre le premier parti de France. Elle pourra capitaliser sur un courant de sympathie, accru par la progression des formations nationales-populistes partout en Europe. Bref, cela n’entamera sans doute le vent électoral qui porte son mouvement, sa personne et ses idées.
Possible crise de régime
Dernière aubaine: une possible crise de régime. Un gouvernement qui ne parvient pas… à gouverner. Le risque est grand, alors, que les Français se tournent vers le parti qui a toujours dénoncé le système. Cet échec signerait sans doute la fin du «barrage républicain» contre le RN. Marine Le Pen continuera, bien sûr, d’avoir de sérieux boulets politiques à ses pieds, comme le manque de crédibilité de son programme économique très dépensier, ou le risque d’un choc frontal avec la Commission européenne.
Sauf que là aussi, l’histoire montre que le RN sait s’adapter. Le parti national-populiste, hier, préconisait l’abandon de l’euro, la sortie de la France de l’Alliance atlantique (l’OTAN) voire le Frexit. Aujourd’hui, plus rien de tout ça. L’extrémisme de Marine Le Pen, au moins sur le plan des propositions, se dilue au fur et à mesure que l’exercice possible du pouvoir se rapproche.