Ils ne paient pas leurs factures surtout pas leurs impôts, nient l’autorité de la police, considèrent le gouvernement comme une entreprise privée, bombardent l’administration de lettres pseudo-juridiques et vont parfois jusqu’à déclarer leur autonomie et distribuer leurs propres passeports: les «Reichsbürger», ou «Staatsverweigerer» (niant l’Etat) sont une réalité bien connue en Allemagne. En août 2020, un millier de membres du mouvement (qui compterait entre 25 000 et 40 000 convaincus) avaient tenté de pénétrer dans le Reichstag (siège du parlement allemand), suscitant une violente prise de conscience à Berlin. Le phénomène touche aussi la Suisse, notamment Zurich, dont la police cantonale a «récemment» demandé au Services de renseignement de la Confédération (SRC) d’ouvrir une «procédure d’examen» à l’encontre de ces «objecteurs», révèle ce dimanche la NZZ am Sonntag. Une démarche qui, si elle est acceptée – ce que le SRC se refuse à confirmer, l’information étant «classifiée» –, pourrait déjà ouvrir la porte à une surveillance significative.
Le «roi d’Allemagne» en Appenzell
Mars 2023, les forces de l’ordre suisses et allemandes perquisitionnent le domicile de 14 Reichsbürger, parmi lesquels deux ressortissants suisses, entre Saint-Gall et huit Länder allemands, dont le Bade-Wurtemberg. Le Ministère public de la Confédération annonce l’engagement d’une procédure pénale contre ces derniers pour «soupçon de soutien ou de participation à une organisation terroriste». Une année plus tôt, les médias alémaniques faisaient déjà l’écho de la prépondérance de réfractaires à l’impôt, au paiement de la vignette ou à la présentation de la carte d’identité en Thurgovie, où ces derniers suscitent une «importante surcharge de travail». Enfin, en mars de cette année, Peter Fitzek, autoproclamé «roi d’Allemagne» condamné à de multiples reprises pour opérations de banque et d’assurance non reconnues par l’Etat, conduite sans permis, et, plus récemment, coups et blessures dans son pays, venait tenir conférence en Appenzell Rhodes-Extérieures. En résumé, les complotistes qui nient l’Etat ne sont pas une nouveauté en Suisse.
C’est cependant la première fois qu’un canton s’adresse à la Confédération pour demander une «procédure d’examen» à leur encontre. Concrètement, cette dernière doit déterminer si un groupe doit être placé sur la liste d’observation classifiée du SRC. Ce qui, d’après les bases légales en vigueur, permet déjà au service de se procurer «toutes les informations nécessaires» en choisissant lui-même les moyens qui lui permettront de les obtenir. Le SRC peut ainsi théoriquement mettre en place des surveillances personnalisées et collecter des informations sur l’activité politique ainsi que sur l’exercice de la liberté d’opinion et de réunion des individus ciblés – ce qui lui est habituellement interdit. La demande surprend quelque peu les observateurs alémaniques, puisque le Conseil d'Etat zurichois avait estimé l’année dernière dans une réponse à un parlementaire cantonal qu’il n’y avait «aucun indice d’une menace aiguë de la part de groupements hostiles à l’Etat dans le canton de Zurich ou en Suisse». Tout en reconnaissant qu’ils suscitent un «surcroît de travail».
Des Suisses derrière une livraison d’arme en Allemagne?
Or, si elle est désagréable, la surcharge des administrations n’est clairement pas suffisante pour lancer une procédure de surveillance à l’échelle du SRC, dont les services ne peuvent agir de manière préventive vis-à-vis d’une radicalisation idéologique que dans le cas de «violence ou d’appel concret à l’usage de la violence». Est-ce avéré dans le cas présent? La police zurichoise n’a pas souhaité donner davantage de détails à nos confrères et consœurs alémaniques.
Si les complotistes anti-Etat suisses semblent jusqu’ici moins agités que leurs homologues allemands, les procureurs berlinois chargés de l’instruction de la tentative de putsch intervenue en 2020 ont révélé que deux ressortissants helvétiques avaient reçu une enveloppe de 139 000 francs, que les autorités judiciaires pensent avoir été destinée à l’acquisition d’armes. Le Ministère public de la Confédération confirme auprès de la NZZ am Sonntag qu’il mène une procédure pénale contre ces derniers pour «participation et soutien à une organisation terroriste». L’action des «Staatsverweigerer» suisses pourrait donc malheureusement être moins bénigne que de proclamer des royaumes loufoques et submerger les autorités de paperasse quérulente.
Boris Busslinger