La justice allemande a émis un mandat d'arrêt européen contre un moniteur de plongée ukrainien. D'après le « Wall Street Journal », le président ukrainien Zelensky aurait approuvé, puis annulé le projet de sabotage, à la demande de Washington. Mais son ordre aurait été ignoré.
Est-ce d'Ukraine qu'a été planifié le sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2, en septembre 2022 ? C'est ce que suggèrent la justice allemande et les révélations de plusieurs grands médias internationaux.
Outre-Rhin, l'enquête s'oriente clairement vers une piste ukrainienne, avec l'émission d'un mandat d'arrêt européen contre un Ukrainien, soupçonné d'être impliqué dans le sabotage.
En juin, le parquet polonais a reçu un mandat d'arrêt européen du parquet fédéral allemand contre Volodymyr Z., un Ukrainien établi à l'époque en Pologne, a révélé mercredi une enquête de la chaîne de télévision ARD et des journaux « Die Zeit » et « Süddeutsche Zeitung ». Moniteur de plongée, l'homme a été identifié comme étant Volodymyr Zhuravlov, 44 ans, par le journal suédois « Expressen », membre du consortium d'enquête.
Aucun élément n'indique pour l'instant qu'ils ont agi sur ordre de leur pays, indique la presse allemande. En mars 2023, le « New York Times » avait affirmé, sur la base d'informations du renseignement américain, qu'un « groupe pro-ukrainien » avait été à l'origine du sabotage, mais sans implication du chef de l'Etat.
D'après une enquête du « Wall Street Journal », parue mercredi soir et basée sur des échanges avec des officiers ukrainiens, le scénario est un peu plus complexe. L'idée du sabotage serait née, en mai 2022, d'une soirée arrosée entre des hommes d'affaires et des militaires ukrainiens de haut rang, célébrant l'arrêt de l'invasion russe. D'un coût de 300.000 dollars, financée par des privés et impliquant six personnes, dont une femme, l'opération aurait été approuvée à l'origine par Volodymyr Zelensky.
Un ordre ignoré
Le président ukrainien a ensuite ordonné son arrêt à la demande de la CIA, qui a eu vent de l'affaire en juin, informée, tout comme Berlin, par les renseignements militaires néerlandais (MIVD). Ces derniers, écrit le « Wall Street Journal », se sont sensiblement renforcés en Russie et en Ukraine, après la destruction de l'avion de la Malaysia Airlines, qui était parti d'Amsterdam. Washington aurait alors considéré le sujet comme clos.
Mais le général Valery Zaloujny, qui était alors commandant en chef de l'armée ukrainienne, aurait ignoré cet ordre, modifié l'opération et expliqué qu'il n'était plus possible de communiquer avec l'équipe du sabotage, car tout contact aurait pu mettre en danger l'opération. Le colonel, Roman Chervinsky, un vétéran ukrainien de l'espionnage déjà cité dans une enquête du « Spiegel » et du « Washington Post », aurait « coordonné » le projet.
Kiev a toujours nié une quelconque responsabilité dans ce sabotage. « Je ne ferais jamais cela », avait affirmé en juin 2023, Volodymyr Zelensky, au quotidien « Bild ». Aujourd'hui ambassadeur à Londres, à la suite d'un remaniement, Valery Zaloujny rejette également toute responsabilité, écrit le « Wall Street Journal ». Jeudi, un conseiller du président Zelensky a déclaré à l'AFP que les informations de presse étaient «un non-sens absolu».
Selon Zaloujny, devenu entre temps l'ambassadeur de Kyiv au Royaume-Uni (et jouissant comme tel d'immunité diplomatique), a déclaré au WSJ qu'il ne savait rien de ces opérations et que les spéculations sur son implication dans l'attentat à la bombe n'étaient qu'une « provocation ». Il a ajouté d'ailleurs que les Forces armées ukrainiennes ne sont pas autorisées à mener des missions à l'étranger.
Il en va de même pour un haut responsable des services de renseignement ukrainiens (SBU), qui a également rejeté l'idée que Zelensky ait approuvé le plan dès le départ.
L'année dernière, M. Zelensky a lui-même insisté sur le fait que son pays n'était pas à l'origine de l'attentat du 2022, déclarant : « C'est moi qui donne les ordres appropriés. L'Ukraine n'a jamais rien fait de tel. Je ne ferais jamais une telle chose ».
« Peu importe le résultat »
En octobre 2022, les renseignements néerlandais, américains et allemands auraient eu une vision assez claire du déroulement de l'opération, sur laquelle travaille le parquet allemand. Alors que le Danemark et la Suède ont abandonné leurs enquêtes, à Berlin, un porte-parole a laissé entendre que la justice allemande était déterminée à poursuivre les investigations sur le sabotage, quels qu'en soient les auteurs. « L'enquête est menée […] et peu importe le résultat », a-t-il dit mercredi.
« Une attaque de cette importance est suffisante pour déclencher la clause de défense collective de l'Otan mais cette infrastructure critique Nord Stream 1 & 2) a été détruite par un pays que nous aidons avec des livraisons d'armes massives et des milliards en cash », explique un officiel allemand, cité par le journal américain.
En 2022, le sabotage de Nord Stream a nettement accru les tensions sur les prix du gaz en Europe. Aujourd'hui, la Russie continue d'envoyer du gaz en Europe via un gazoduc qui passe par l'Ukraine et génère des royalties pour Kiev. Deuxième fournisseur d'armes de l'Ukraine, l'Allemagne paye environ million de dollars par jour pour louer des terminaux flottants permettant de recevoir du gaz naturel liquéfié.
Le parquet polonais a confirmé avoir reçu en juin un mandat d’arrêt européen lancé par le parquet fédéral allemand contre un Ukrainien établi à l’époque en Pologne, présenté comme Volodymyr Z.
En vertu des règles de l’entraide judiciaire européenne, les autorités polonaises avaient 60 jours pour réagir à la demande allemande et interpeller ce suspect.
Or ce dernier a entre temps quitté la Pologne début juillet pour rentrer en Ukraine, a indiqué le parquet polonais, rejetant la responsabilité sur les autorités allemandes.
Selon lui, elles n’ont pas inscrit le suspect dans le registre des personnes recherchées, ce qui a permis à l’intéressé de partir.
Les autorités allemandes s’étonnent en interne du manque de coopération de la Pologne dans cette enquête, selon les médias allemands, qui évoquent de possibles complicités dont aurait pu bénéficier le trio ukrainien dans ce pays.
Ce vendredi, c'est au tour de la Pologne de réfuter toute mise en cause dans l'affaire.
« La Pologne n'a en rien participé. Il faut bien dire que c'est un mensonge », a déclaré le vice-Premier ministre et ministre du Numérique polonais Krzysztof Gawkowski à la chaîne de télévision Polsat News. « Je pense qu'il s'agit là de la désinformation russe qui résonne à travers les paroles des hommes politiques allemands ou des membres de l'administration d'Etat en Allemagne », a-t-il souligné.
En effet, ces déclarations font suite à celles d'August Hanning, l'ancien directeur, entre 1998 et 2005, des services de renseignements allemands BND, qui a accusé la Pologne d'avoir coopéré dans cette affaire avec l'Ukraine. « Il est évident que c'est une équipe ukrainienne qui a mené l'attaque. Et cela n'a été possible qu'avec un fort soutien logistique de la Pologne », a assuré August Hanning le 15 août dans les colonnes du quotidien Die Welt. « Je pense qu'il y a eu des accords entre les présidents (ukrainien Volodymyr) Zelensky et (polonais Andrzej) Duda pour mener à bien cet attentat », a-t-il ajouté.
« Je suis convaincu qu'il n'y a aucune preuve de la participation de la Pologne à quoi que ce soit dans [l'affaire du sabotage de] Nord Stream", a affirmé le vice-Premier ministre polonais Krzysztof. Gawkowski.
Emmanuel Grasland