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vendredi 2 août 2024

La diplomatie religieuse, « soft power » au Moyen-Orient

 

La diplomatie religieuse au Moyen-Orient est une composante essentielle des relations internationales dans cette région riche en diversité culturelle et confessionnelle. Cette forme particulière de diplomatie implique souvent des interactions entre des États, des groupes politiques et des institutions religieuses, visant à promouvoir la paix, à résoudre les conflits et à favoriser la compréhension interreligieuse.

La diplomatie religieuse du patriarcat maronite 

Le patriarcat maronite est l’une des principales institutions religieuses chrétiennes orientales au Moyen-Orient. Il a joué un rôle significatif en particulier au Liban, où le Patriarche exerce une influence spirituelle sur la communauté et joue un rôle important dans la définition de la doctrine et de la pratique religieuse maronite. Le patriarcat maronite agit souvent en tant que défenseur des intérêts politiques, sociaux et religieux de la communauté maronite au Liban et dans la région. Il intervient dans les affaires politiques et sociales pour défendre les droits des chrétiens et promouvoir leur participation à la vie publique. Il a notamment joué un rôle politique important au Liban dans le mouvement visant à obtenir le retrait de l’armée syrienne en 2005, avec le patriarche cardinal Mar Nasrallah Boutros Sfeir. Le patriarcat maronite a contribué à certains aspects de ce processus de plusieurs manières, mais surtout par la mobilisation de l’opinion publique, en tant que voix spirituelle influente pour les maronites et d’autres communautés chrétiennes au Liban. Aujourd’hui, le cardinal patriarche Mar Béchara Boutros Al-Rai défend une forme de neutralité en essayant de la présenter comme une exigence de l’Église d’Orient. Mais cette diplomatie religieuse maronite qui est liée directement au Vatican et à sa diplomatie n’était initialement nullement neutre. 

La diplomatie du Vatican au Moyen-Orient

Le Vatican joue un rôle important au Moyen-Orient à plusieurs niveaux. Il est notamment engagé dans le dialogue interreligieux avec les différentes communautés religieuses présentes au Moyen-Orient. Au niveau de la coopération œcuménique, il entretient des relations avec les autres Églises chrétiennes présentes au Moyen-Orient, notamment les Églises orthodoxes orientales et les Églises protestantes. Cette coopération œcuménique vise à renforcer l’unité chrétienne dans la région et à promouvoir la collaboration sur des questions d’intérêt commun. 

Le rôle de la diplomatie religieuse du Vatican peut varier selon les circonstances et les besoins spécifiques de chaque pays. Le Liban est un pays où le Vatican joue un rôle significatif ; en Israël et en Palestine, le Vatican porte un intérêt particulier à la Terre Sainte. En Irak, en Syrie et en Égypte, il existe une communauté de chrétiens coptes ; ces pays, ainsi que d’autres dans la région du Moyen-Orient, sont des points d’ancrage importants pour la diplomatie religieuse du Vatican en raison de leur diversité religieuse, de leurs défis politiques et sociaux et de leur importance religieuse pour les chrétiens et d’autres communautés religieuses.

La diplomatie religieuse du patriarcat œcuménique orthodoxe 

Le patriarcat œcuménique orthodoxe à Istanbul est le siège historique du patriarche œcuménique. Le patriarcat œcuménique participe activement au dialogue interreligieux avec d’autres confessions. 

Le rôle politique du patriarcat œcuménique d’Istanbul, en particulier au Moyen-Orient, est complexe et souvent délicat en raison de plusieurs facteurs. En effet, en tant que siège de l’Église orthodoxe, il a une importance historique et symbolique significative pour les orthodoxes du monde entier, en particulier dans la région du Moyen-Orient où se trouvent de nombreuses communautés orthodoxes. Par ailleurs, le patriarcat entretient des relations avec les gouvernements des pays où se trouvent des communautés orthodoxes, notamment en Turquie, en Syrie, en Grèce, en Égypte et dans d’autres pays de la région. Ces relations peuvent être influencées par des facteurs politiques, religieux et culturels, et le patriarcat peut jouer un rôle de médiateur ou de conseiller dans les affaires religieuses et sociales. Enfin, en tant qu’institution religieuse, le patriarcat œcuménique cherche à promouvoir la paix, la réconciliation et la justice sociale dans la région du Moyen-Orient. 

Institutions islamiques et soft power

Les institutions islamiques dans les pays arabes déchirés par les conflits sont devenues soit des entités fragmentées, soit un butin échangé par des factions politiques et militaires en guerre. Nous avons un exemple en Libye, en Syrie et au Yémen, où le sort de toutes les institutions islamiques, y compris les ministères, les écoles, les camps de jeunes, les fondations et les organisations caritatives, était lié au sort de ces pays, qui se sont effondrés et ont été déchirés à cause de la guerre. L’opposition et les groupes autonomes, chacun dans sa zone d’influence, ont créé des corps religieux locaux concurrents qui jouissaient d’une grande indépendance, qu’ils ont obtenue en raison du manque de ressources des dirigeants politiques pour les intégrer.

Dans ces environnements conflictuels, les institutions islamiques sont souvent plus sensibles aux influences économiques et idéologiques externes, que la source de ces influences provienne des puissances régionales menant des guerres par procuration ou des puissances internationales occidentales. À ce jour, les relations complexes et imbriquées entre les institutions islamiques et les régimes arabes au pouvoir n’ont pas reçu l’attention analytique ou académique qu’elles méritaient. Cet article basé sur les résultats de deux années de recherche, de travail sur le terrain et d’entretiens vise, entre autres, à combler cette lacune. 

Les institutions islamiques et les religieux islamiques jouent un rôle de médiateur important entre les régimes au pouvoir et les sociétés qu’ils gouvernent. Dans leurs relations avec la sphère religieuse et ses représentants, les dirigeants arabes utilisent de multiples moyens qui oscillent entre le dialogue et les tentatives de polarisation, jusqu’au désaccord et à la coercition pure et simple. Par conséquent, l’importance de ces institutions ne peut être négligée en tant que fenêtres à travers lesquelles peuvent être observés les disparités structurelles entre les pays arabes et le manque de légitimité de leurs régimes au pouvoir.

Le soft power des institutions islamiques se réfère à leur capacité à influencer les perceptions, les idées et les comportements à travers des moyens non coercitifs, tels que la culture, la religion, l’éducation, les médias et l’aide humanitaire. Au niveau de l’éducation, les institutions islamiques, notamment les universités et les écoles religieuses, jouent un rôle important dans la formation des jeunes musulmans. Elles offrent des programmes d’études qui mettent l’accent sur la langue arabe, la théologie islamique, les sciences islamiques et d’autres domaines d’études liés à l’islam.

Ensuite, les institutions islamiques, telles que les mosquées, les écoles coraniques et les centres culturels islamiques ont également un rôle central dans la promotion de la spiritualité et des valeurs islamiques. Elles diffusent des enseignements religieux, encouragent la pratique des rituels religieux et offrent un espace communautaire pour les fidèles. 

Pour leur part, les médias islamiques, tels que les chaines de télévision, les stations de radio, les sites web et les publications, diffusent des informations, des émissions de divertissement, des discours religieux et des éditoriaux qui reflètent les perspectives et les valeurs islamiques. Ils contribuent à façonner l’opinion publique et à influencer les attitudes des individus envers l’islam et les musulmans. 

La diplomatie religieuse — c’est-à-dire les institutions islamiques, y compris les organismes religieux et les leaders religieux — exerce une influence en participant à des dialogues interreligieux, des conférences internationales et des initiatives de médiation. Ces institutions contribuent à promouvoir la compréhension mutuelle, la coopération et la paix entre les différentes communautés religieuses et les nations. 

Et enfin, les organisations caritatives islamiques, telles que les fondations et les ONG islamiques, fournissent une aide humanitaire, des secours d’urgence et des programmes de développement dans les régions en crise et les pays en développement à travers le monde. Leurs activités contribuent à promouvoir une image positive de l’islam en tant que religion de compassion et de solidarité.

Le soft power des institutions islamiques repose ainsi sur leur capacité à promouvoir la religion et la spiritualité, à fournir une éducation religieuse et culturelle, à diffuser des messages à travers les médias, à fournir une aide humanitaire et à jouer un rôle diplomatique dans la promotion de la compréhension interreligieuse et de la coopération internationale.

Au Moyen-Orient, plusieurs institutions islamiques jouent un rôle important dans l’exercice du soft power, influençant les perceptions, les attitudes et les comportements à travers la région et au-delà. L’université Al-Azhar, fondée au Caire au Xe siècle, est ainsi l’une des institutions islamiques les plus anciennes et les plus respectées au monde. 

La Ligue islamique mondiale (LIM)

Basée à La Mecque, en Arabie saoudite, fondée en 1962, la LIM est une organisation qui vise à promouvoir l’islam sunnite dans le monde entier. Elle fournit une assistance financière et logistique aux musulmans dans le besoin à travers le monde et soutient des initiatives éducatives et culturelles visant à renforcer l’identité islamique. La LIM organise également des conférences, des séminaires et des programmes de dialogue interreligieux pour promouvoir la compréhension et la coopération entre les religions. En plus de mener des activités de charité, d’éducation, de propagation de l’islam et de dialogue interreligieux, elle est souvent impliquée dans des initiatives visant à promouvoir une image positive de l’islam et à contrer l’extrémisme violent. 

La Banque islamique de développement (BID)

Institution financière internationale créée pour promouvoir le développement économique et social dans les pays membres musulmans, conformément aux principes de la charia (loi islamique), cette banque a été fondée en 1973 et son siège est basé à Djeddah, en Arabie saoudite. Elle a été créée à la suite de la Conférence islamique de la coopération économique tenue à La Mecque en 1970, dans le but de répondre aux besoins de financement des pays membres musulmans. Sa mission est de promouvoir le développement économique et social durable dans les pays membres musulmans et les communautés musulmanes dans d’autres régions du monde. Elle cherche à réduire la pauvreté, à améliorer les infrastructures, à stimuler la croissance économique et à renforcer les capacités institutionnelles. Elle fonctionne comme une institution financière de développement conventionnelle, mais ses opérations sont conformes aux principes de la charia. En fournissant des financements sous forme de prêts, de subventions, de garanties et d’investissements dans divers secteurs tels que l’agriculture, l’industrie, l’énergie, les transports, la santé et l’éducation, 57 pays membres, dont 56 États membres et la Palestine, l’ont intégrée. Ses membres sont principalement des pays à majorité musulmane, mais des membres non musulmans, à condition qu’ils respectent les valeurs et les principes de la charia, sont également accueillis. 

Elle utilise une gamme d’instruments financiers islamiques pour ses opérations, tels que le financement par Mudarabah (partenariat), le financement par Mourabaha (vente avec profit), le financement par Ijara (location) et d’autres instruments conformes à la charia. Ainsi, la Banque islamique de développement joue un rôle crucial dans le financement du développement économique et social des pays membres musulmans, en respectant les principes de la charia et en contribuant à la réduction de la pauvreté et à l›amélioration des conditions de vie des populations dans la région et au-delà.

Les ministères des Affaires islamiques

Il ne faut pas oublier le rôle de la diplomatie religieuse du ministère des Affaires islamiques, qui varie selon les pays et les contextes spécifiques, mais qui implique en général la promotion et la protection des intérêts religieux et culturels du pays à l’étranger, ainsi que la facilitation du dialogue et de la coopération avec d’autres nations et organisations religieuses. Le ministère des Affaires islamiques est généralement présent dans les pays à majorité musulmane, où l›islam joue un rôle central dans la société et la culture. Il existe notamment en Arabie saoudite, où ce ministère est chargé de superviser les affaires religieuses, les mosquées et les institutions islamiques. Il joue également un rôle important dans l’organisation du pèlerinage à La Mecque et à Médine. L’Égypte aussi compte un ministère des Affaires religieuses, qui est responsable de la supervision des mosquées, des affaires religieuses et de la régulation des prêches dans le pays. Le Maroc quant à lui dispose d’un ministère des Habous (1) et des Affaires islamiques.

Conclusion

La diplomatie religieuse dans le monde islamique est un aspect important des relations internationales au Moyen-Orient, caractérisée par une diversité de pratiques et d’approches parmi les pays musulmans. Les pays à majorité sunnite, tels que l’Arabie saoudite, l’Égypte et la Turquie, jouent souvent un rôle actif dans la promotion de l’islam sunnite à travers le monde. Ils soutiennent financièrement des initiatives éducatives, religieuses et culturelles visant à diffuser les enseignements de l’islam sunnite et à contrer l’influence des mouvements radicaux et extrémistes. L’Arabie saoudite revendique un leadership religieux dans le monde islamique en tant que gardienne des lieux saints de l’islam à La Mecque et à Médine. 

Dans l’ensemble, la diplomatie religieuse au Moyen-Orient représente à la fois un défi et une opportunité pour la promotion de la paix, de la stabilité et du respect mutuel dans une région souvent marquée par des divisions religieuses profondes. Son succès dépend de l’engagement des acteurs locaux et internationaux à promouvoir le dialogue, la tolérance et la compréhension entre les différentes traditions religieuses présentes dans la région. En fin de compte, la diplomatie religieuse au Moyen-Orient doit être ancrée dans une approche globale et holistique qui reconnait les dimensions politiques, sociales, économiques et culturelles des conflits et des tensions religieuses.

Projets financés par la Banque islamique de développement


Note

(1) David Styan, France and Iraq : Oil, Arms and French Policy Making in the Middle East, I.B. Tauris, 2006.

Nicolas Badaoui

areion24.news