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lundi 1 juillet 2024

Lutte anti-drones et haute intensité : quels enseignements tirer du conflit ukrainien ?

 

Comme tous les conflits récents, la guerre en Ukraine a été le théâtre de nouvelles avancées spectaculaires en matière d’utilisation de drones aériens, qui n’a jamais été aussi intensive. Pour contrer ces menaces protéiformes, Russes comme Ukrainiens ont déployé d’importants systèmes de lutte anti-­drones, et ont surtout improvisé de nouvelles tactiques permettant de contrer les attaques saturantes de drones kamikazes.

Depuis le début de l’invasion russe, la médiatisation du conflit ukrainien a permis de suivre quasi au jour le jour l’utilisation qui a été faite des drones, de part et d’autre. Du côté ukrainien, les drones tactiques de grandes dimensions, comme le Bayraktar TB2, ont été largement employés dès le début des hostilités, leur apparente impunité face à la défense antiaérienne russe étant même utilisée à des fins de propagande. D’autres modèles plus spécifiques, notamment les drones kamikazes Switchblade, ont rapidement été observés sur le front. Mais, au fil des semaines, c’est aussi l’usage de petits drones commerciaux qui a défrayé la chronique, du côté ukrainien. Utilisés directement par les artilleurs, les fantassins et les forces spéciales, ces petits engins ont considérablement renforcé la connaissance tactique en temps réel, et permis le guidage précis des feux d’artillerie. Rapidement bricolés, plusieurs modèles ont été adaptés pour mettre en œuvre des grenades ou des obus de mortier, faisant peser une menace permanente sur les troupes ennemies. Du côté russe, on retrouve peu ou prou les mêmes usages, bien que l’utilisation de drones commerciaux semble nettement moins systématique. Toutefois, dès l’automne 2022, les forces russes ont commencé à déployer plusieurs centaines de drones kamikazes Shahed‑136 – désignés localement Geran‑2 – dans le cadre d’attaques saturantes sur des infrastructures civiles et militaires ukrainiennes.

Face à une telle disparité de modèles de drones et de modes de guidage, il est impossible de mettre en œuvre des solutions de lutte anti-­drones (LAD, ou C‑UAV en anglais) universelles. Pour autant, si les drones se sont avérés redoutables tout au long du conflit, aussi bien contre les colonnes blindées russes que contre les centrales électriques ukrainiennes, leur omniprésence sur le théâtre des opérations a poussé l’Ukraine – et dans une moindre mesure la Russie – à développer des parades diverses, mêlant techniques classiques de défense antiaérienne et véritables ruptures technologiques et conceptuelles.

Brouilleurs et « fusils électromagnétiques » pour contrer les minidrones

Face aux minidrones issus du commerce, et généralement téléopérés par une liaison radio, le brouillage est souvent la réponse la plus adaptée, d’autant plus qu’elle permet une mise hors service de la menace sans avoir à la détruire, et donc sans avoir à risquer des retombées de débris sur des populations civiles. Il peut s’agir de solutions de brouillage de zone ou de brouillage sectoriel, comme la solution mobile TITAN C‑UAS, fournie à l’Ukraine par la firme américaine BlueHalo, ou encore la solution (très) lourde Krasukha‑4, mise en œuvre par les forces russes. Pour une solution plus dirigée, permettant d’éviter de brouiller ses propres systèmes, Russes et Ukrainiens mettent également en œuvre des brouilleurs directionnels, parfois appelés fusils brouilleurs ou fusils électromagnétiques. Ces équipements agissent à courte et à moyenne portée en empêchant le drone de communiquer avec son contrôleur. Rendu inopérant, l’UAV va généralement retourner à sa position initiale, ou se poser sur place, ce qui permet éventuellement de le récupérer. La Russie utilise notamment le système Stupor, tandis que l’Ukraine semble mettre en œuvre le KVS G‑6, de conception nationale, ou encore l’EDM4S SkyWiper du fabricant lituanien NT Service, utilisé dans le Donbass dès 2021. On notera par ailleurs que certaines sources évoquent l’utilisation, par la Russie, du système de laser défensif Peresvet, conçu avant tout pour aveugler ou endommager des drones et des aéronefs légers.

Des canons et des missiles de tous horizons

Mais ces solutions, aussi efficaces soient-­elles contre les menaces asymétriques, ne le sont pas face aux drones kamikazes d’origine iranienne. En effet, contrairement aux Switchblade américains, les Shahed‑136 sont des drones de très longue portée destinés à attaquer uniquement des objectifs prédésignés. Mais cette incapacité à frapper des cibles d’opportunité a l’avantage – pour la Russie – de rendre ces engins insensibles au brouillage électromagnétique de courte portée, imposant des méthodes d’interception plus conventionnelles. Or ces engins volent également plus bas et plus lentement que des avions ou des hélicoptères conventionnels, tout en ayant une signature radar bien plus faible. Une problématique que l’on rencontre également chez certains drones tactiques, comme le TB2 turc ou les Orlan‑10 et Eleron‑3 russes, qui échappent souvent aux systèmes de défense antiaérienne classiques, malgré une altitude de croisière plus élévée.

Dès lors, l’interception de ces engins requiert non seulement des moyens cinétiques aptes à assurer leur destruction, mais aussi des systèmes de détection et de ciblage adaptés, ce qui implique généralement des capteurs thermiques, ou des systèmes radars spécifiquement adaptés à ces menaces. Au début du conflit, la Russie comme l’Ukraine ont notamment utilisé d’antiques canons S‑60 de 57 mm, des véhicules ZSU‑23‑4 Shilka armés de quatre canons de 23 mm, ainsi que des systèmes 2K22 Tunguska qui combinent quatre canons de 30 mm et huit missiles sol-air de moyenne portée, pour des résultats assez décevants en matière de lutte anti-drones, faute de moyens de ciblage adaptés à ces menaces discrètes. Mais, depuis le début des hostilités, l’Ukraine a réceptionné de nombreux systèmes occidentaux bien plus efficaces. L’Allemagne a ainsi fait don de 50 SPAAG Guepard, des véhicules chenillés équipés d’un radar et de deux canons de 35 mm, apparemment très efficaces dans cette mission. Les États-Unis ont également cédé 150 mitrailleuses lourdes couplées à des lunettes thermiques, et de nombreuses solutions similaires ont, semble-t‑il, été improvisées par les forces ukrainiennes à partir d’affûts, de mitrailleuses, d’optiques et de véhicules variés.

Pour les interceptions de Shahed‑136, mais aussi de drones tactiques lourds et de missiles de croisière, la défense ukrainienne semble avoir fait souvent usage de missiles légers de type MANPADS, notamment des Stinger (États-Unis), Mistral (France), RBS70 (Suède) et autres Piorun (Pologne), qui ont l’avantage de cibler directement la chaleur émise par la motorisation de ces drones, même s’ils restent sous l’horizon radar. Si ces systèmes s’avèrent très efficaces contre ce type de drones, ils restent des armes bien plus coûteuses que de simples mitrailleuses. Et s’ils peuvent être déployés près des sites sensibles, ils ne peuvent couvrir l’intégralité du territoire ukrainien, surtout à partir du moment où la Russie a planifié ses attaques saturantes de nuit.

Innovation tactique et débrouillardise

Heureusement pour Kyiv, s’il y a une ressource dont ne semblent pas manquer les militaires ukrainiens, c’est bien l’imagination. Alors que les premières vagues de Shahed‑136 ont pris de court les systèmes C‑UAV ukrainiens, mal adaptés à cette menace, les forces locales se sont rapidement réorganisées, inventant de nouvelles tactiques capables d’exploiter au mieux les armes légères à leur disposition, faisant rapidement chuter le taux de réussite des drones kamikazes russes. L’une consiste à positionner des équipes de détection équipées de caméras thermiques sur les axes d’arrivée probable des drones assaillants. Une fois la menace détectée, la cible est alors illuminée par un «  simple  » pointeur laser, certes puissant, mais disponible sans difficulté sur le marché civil. Ainsi éclairé, le drone peut être pris pour cible par de simples mitrailleuses et autres armes légères, sans qu’il ne soit nécessaire de doter chacune d’entre elles d’un viseur thermique ou infrarouge. Une solution ingénieuse, qui permet une économie de moyens substantielle et un gain opérationnel plus que significatif, donc.

Parallèlement, d’autres solutions improvisées pourraient être à l’étude. On a notamment pu voir des images de drones civils DJI Matrice 600 équipés… d’une mitrailleuse légère  ! Il est probable qu’une telle solution serve en priorité à des frappes contre des fantassins retranchés, même si cela pourrait également offrir une certaine forme de protection contre des hélidrones, notamment. En effet, au moins une séquence vidéo a montré un drone utilisé dans une mission anti-­drones, en venant percuter volontairement les rotors du système adverse. Si cette technique est efficace, en ultime recours, elle entraîne un risque élevé de perdre son propre drone, aussi bon marché soit-il. L’idée d’armer des drones anti-­drones, que ce soit avec des armes légères ou avec des brouilleurs dirigés, par exemple, pourrait alors s’avérer séduisante. Dans tous les cas, le théâtre ukrainien s’apparente aujourd’hui à un véritable laboratoire à grande échelle pour le développement et l’amélioration des systèmes d’armes les plus avancés. La lutte anti-­drones, qui revêt une importance vitale pour la population et l’économie ukrainiennes, s’y prête tout particulièrement.

La lutte anti-drones dans un contexte de haute intensité : le point de vue de MC2 Technologies

Les systèmes de lutte anti-­drones (LAD) ont été développés ces dernières années afin de répondre à une menace croissante, celle des drones commerciaux. Initialement conçus pour la prise de vue aérienne de loisir et professionnelle, ces petits drones bon marché ont rapidement constitué une brèche de sécurité dans la protection des espaces aériens.

Utilisables sans grande formation ni expertise, et pouvant être transformés en engins explosifs improvisés volants, pour peu que l’on modifie leur charge utile, ils peuvent rapidement être détournés de leur usage principal à des fins malveillantes, comme la surveillance ou l’attaque de personnes ou d’infrastructures. En réalité, même sans modification matérielle ni volonté de nuire, un drone commercial mal utilisé peut rapidement venir perturber le trafic aérien d’un aéroport, ou déclencher une alerte sur un site dont le survol est interdit. Ces dernières années, les exemples d’incidents, de provocations et d’actes malveillants se sont multipliés, du survol de La Hague par un drone de Greenpeace en 2012 à la réalisation de frappes aériennes dans le cadre d’une guerre des gangs en Colombie, début 2022, en passant par la livraison de contrebande en prison, des menaces sur des stades ou des aéroports, et même un attentat manqué contre le président vénézuélien en 2021.

Que ce soit de manière intentionnelle ou accidentelle, les drones commerciaux représentent donc aujourd’hui un risque réel pour la sécurité des infrastructures civiles privées et étatiques (aéroports, raffineries, stations d’épuration, ministères, centrales électriques, etc.), mais aussi militaires, en permettant de renseigner l’ennemi sur des positions de troupes, de bâtiments, de véhicules, etc. Alors que les drones commerciaux s’améliorent d’année en année, les moyens de LAD ont dû également évoluer afin de s’adapter aux menaces potentielles, mais aussi au contexte d’emploi. Si, dans un usage purement militaire, il est envisageable de détruire un minidrone par un moyen cinétique de type mitrailleuse ou lance-­grenades, il est naturellement impossible d’envisager de telles solutions à proximité immédiate ou directement au-­dessus de populations ou d’infrastructures civiles sensibles. Pour intervenir dans ces situations, certains industriels, dont MC2 Technologies, ont développé des moyens de détection, d’identification, de suivi et de neutralisation adaptés, utilisant notamment des brouilleurs sectoriels multibandes, interdisant l’accès à toute une zone, ou des fusils électromagnétiques capables de brouiller les communications, la commande à distance ou même la géolocalisation du drone individuellement visé.

Les premiers retours d’expérience du conflit ukrainien

Depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine, il a été possible de constater comment des drones commerciaux, disponibles en vente libre, s’intègrent désormais dans les dispositifs militaires modernes. Que ce soit pour renseigner sur des mouvements ennemis, guider des tirs d’artillerie ou attaquer directement des véhicules et des fantassins en larguant des grenades ou des obus de mortier, ces petits UAV semblent avoir trouvé leur place au sein d’un conflit de haute intensité, et démontré le manque criant de moyens anti-­drones dans les armées occidentales. Sur le plan tactique, les enseignements du conflit ukrainien seront sans aucun doute nombreux, démontrant tout à la fois l’efficacité et l’efficience des systèmes de drones légers, mais aussi la pertinence des solutions anti-­drones ayant été déployées (et parfois improvisées) chez les deux belligérants.

Du côté des pays observateurs, les armées et les industriels semblent bien avoir tiré la sonnette d’alarme, et les réflexions se multiplient afin de concevoir des systèmes LAD pouvant s’intégrer aux véhicules et aux dispositifs armés occidentaux. Ainsi, au cours du dernier salon Eurosatory, qui s’est tenu en juin 2022, on a pu constater une réelle prédominance des équipements destinés à la lutte anti-­drones, pour protéger un dispositif étendu ou un unique véhicule blindé, particulièrement sensible aux attaques verticales. Les solutions de détection et de neutralisation de MC2 Technologies ont ainsi été sollicitées par plusieurs industriels partenaires, qui les ont intégrées à leurs systèmes LAD. Sur un véhicule TITUS, Nexter a ainsi présenté son tourelleau ARX‑30 C‑UAV, un canon de 30 mm couplé au brouilleur directionnel NEROD RF de MC2 Technologies, et dont le feu est dirigé grâce au radar MATIA, également fourni par MC2. De son côté, MBDA présentait sa solution modulaire de lutte anti-­drones Sky Warden C‑UAS. Un NEROD téléopéré était ainsi proposé comme solution de défense fixe, tandis que la version mobile de Sky Warden, intégrée sur un 4 × 4 Sherpa d’Arquus, comportait notamment un NEROD RF dans le coffre, pour un usage débarqué, et une solution de brouillage modulaire MAJES sur un mât au sommet du véhicule. Que ce soit chez Nexter ou chez MBDA/Arquus, on voit que les solutions à base de brouilleurs sont complémentaires de systèmes « hard-kill », ce qui fait écho aux retours d’expérience des conflits récents – notamment en Ukraine – qui ont démontré l’intérêt de pouvoir choisir son effecteur en fonction de la situation tactique du moment.

MC2 Technologies : de la LAD à la guerre électronique

De manière générale, le conflit en Ukraine a pour l’instant confirmé les orientations stratégiques prises par MC2 Technologies :

• les drones commerciaux étant particulièrement difficiles à repérer et à suivre à l’œil nu ou via des radars conventionnels, il est indispensable de développer et d’améliorer les systèmes de détection adaptés à ces menaces, comme l’analyseur RF MERCAT, qui détecte les protocoles de communication entre le drone et sa télécommande, ainsi que le radar MATIA, basé sur une technologie Doppler et micro-­Doppler permettant la détection à 360° des drones commerciaux ;

• les menaces étant en constante évolution, il convient de maintenir d’importants efforts pour améliorer nos produits et notre gamme. Chez MC2 Technologies, nous maintenons un investissement de plus de 20 % dans nos activités de R&D ;

• notre stratégie d’intégration de nos systèmes sur des véhicules et systèmes militaires, comme ceux proposés par Nexter, MBDA et Arquus, doit se poursuivre afin de répondre aux mieux aux demandes des utilisateurs.

Toutefois, lorsque l’on considère le retour des conflits de haute intensité, l’un des principaux enseignements à retirer concerne la guerre électronique dans son ensemble. Dès les premiers déploiements d’unités sur le champ de bataille, la guerre électronique sera omniprésente, avec des conséquences jusqu’aux plus petits échelons d’intervention, mais aussi directement sur les populations civiles, tant nos sociétés sont dépendantes des technologies de l’information et de la communication. Dès lors, au combat, s’il est toujours souhaitable de perturber les réseaux adverses, il sera tout aussi indispensable de conserver la maîtrise de ses propres bulles sécurisées.

MC2 Technologies évolue déjà dans ces technologies de guerre électronique avec son expertise en hyperfréquence. Acteur très important dans les technologies de brouillage, la société a su développer des technologies performantes et pertinentes pour le brouillage des communications des UAS (NEROD, MAJES), mais aussi le brouillage plus large bande avec la technologie SPART destinée à contrer les engins explosifs improvisés radiocommandés (RC‑IED). Cette nouvelle technologie, compacte et intelligente, offre un rayon de protection important autour de l’utilisateur, lui garantissant une sécurité maximale lors des interventions. Cette même technologie, tout aussi compacte et efficiente, embarquée sur véhicule, permettra demain d’assurer la protection des troupes au sol contre les menaces IED et UAV.

De nombreux défis en matière de développement de technologies et de méthodes innovantes devront encore être relevés, et MC2 Technologies y travaille en continuant d’investir dans la recherche et le développement, afin de créer des solutions intelligentes et compatibles avec les plus hautes exigences des déploiements sur le terrain.

Yannick Smaldore

areion24.news