CNews et Hanouna, la parole «libérée»
Cette courte campagne pour les législatives anticipées ne pouvait pas tomber mieux pour CNews, la chaîne d’opinion et de débats du milliardaire Vincent Bolloré. Europe 1, l’ex-radio du groupe Hachette tombée dans l’escarcelle du magnat breton, a embrayé sur le même créneau en conviant le bateleur de C8 Cyril Hanouna à animer une nouvelle émission «On marche sur la tête» (rapidement rappelé à l’ordre par l’Arcom, l’instance de régulation de l’audiovisuel). Le créneau revendiqué: donner la parole à tous ceux qui se sentent rejetés par les médias dominants, en accordant une prime aux sujets de prédilection de l’électorat RN comme l’immigration, le pouvoir d’achat, le wokisme ou le poids croissant de l’Islam.
Un choix d’autant plus difficile à contester que 33% des électeurs ont choisi le RN au premier tour le 30 juin. CNews et Hanouna, marteleurs du pays angoissé de Jordan et Marine: «Leur créneau, c’est la France bleue marine juge le directeur d’un institut de sondage. Ils sont le café du commerce médiatique du RN, mais ils se présentent comme une arène démocratique. Leur argument? Ils prétendent incarner la vraie diversité, car ils libèrent la parole de la majorité silencieuse de la population.» Hélas, pas si faux…
En résumé: Seule contre tous, ainsi vit CNews. Comme le RN…
Radio France, guerre de tranchées
La radio publique française est en prise avec le pays, compte tenu de ses nombreuses chaînes, et de son réseau «France Bleu» dans les territoires de province. Problème: son navire-amiral, France Inter, est dans le viseur du Rassemblement national. Lequel, fort de ses 33% au premier tour et de sa possible obtention d’une majorité absolue de députés le 7 juillet, commence à se cabrer.
«Faites au moins un jour un papier positif ou au moins objectif sur nous. Cela équilibrera un peu», lâchaient voici quelques jours devant nous, tout sourire, le député sortant Jean-Philippe Tanguy à un de ses éditorialistes. Les émissions décapantes et à charge de Charline Vanhoenacker et de sa bande d’humoristes (dont Guillaume Meurice) sur France Inter ont creusé la guerre de tranchées.
Le licenciement du journaliste politique de France Info Jean-François Achili, accusé d’avoir aidé Jordan Bardella à rédiger un livre (jamais publié) a accru les hostilités. Le tout, sur fond de projet de réforme de l’audiovisuel public brandi par le gouvernement de Gabriel Attal. Pas étonnant qu’un député sortant du RN contacte Blick, pour demander des détails sur les référendums anti-redevance soutenus en Suisse par l’UDC. «Pourquoi pas faire la même chose?» nous a lâché Julien Odoul, élu de l’Yonne. Une piste?
En résumé: Le RN se dit victime de Radio France, et ça marche.
France TV, un avenir à l’italienne?
Jordan Bardella et Marine Le Pen sont régulièrement invités sur les plateaux de France Télévision. Problème: le groupe audiovisuel public redoute d’être vendu, et se sait convoité par Vincent Bolloré, alias «l’Ogre» dans un roman récent de l’écrivain Érik Orsenna. Il faut dire que la candidate du Rassemblement national pour l’élection présidentielle a déclenché les hostilités en 2022. La proposition de privatiser France TV et Radio France figurait noir sur blanc dans son programme, même si «cela ne se ferait pas en 24 heures».
Sérieux? «L’extrême-droite préfère toujours prendre le contrôle des médias publics, qui sont des outils de communication extraordinaires, plutôt que de les démanteler, expliquait en juin Alexis Lévrier, historien des médias, au site Euractiv. C’est ce que l’on observe en Hongrie et en Italie.» En avril, l’écrivain Antonio Scurati, auteur d’une série de livres de référence sur Mussolini a été censuré sur la troisième chaîne publique italienne. A quelques jours de l’anniversaire de la Libération de l’Italie, sa participation a été annulée.
En résumé: Le service public de la télévision redoute la vague nationale-populiste.
«Front Républicain», la fabrique du ressentiment
Le voici ressuscité. On le croyait disparu et enterré après le premier tour des législatives. Le retrait massif des candidats arrivés en troisième position, la plupart du temps pour faire barrage au Rassemblement national, a redonné vie au «Front Républicain». Tout remonte à la surface: les batailles de SOS Racisme, dans les années 80, contre le Front National dont François Mitterrand savait jouer avec un absolu cynisme: la mobilisation en faveur de Jacques Chirac pour faire échec à la candidature du patriarche du FN au second tour de l’élection présidentielle de 2002, le rappel justifié des racines antisémites, racistes et putschistes du RN...
Comme si la France n’avait pas changé. Comme le RN n’avait pas succédé au FN. Comme si le comportement républicain et démocratique du parti de Marine Le Pen, depuis son entrée massive à l’Assemblée en juin 2022, n’était pas avéré. Assommé par les résultats du 30 juin, de nombreux médias présentent le barrage au RN comme une nécessité, et non comme une option. A charge pour les électeurs de choisir. L’idée d’une union nationale qui inclurait toutes les forces politiques, dont le RN, est systématiquement écartée.
Le battage médiatique est, de facto, majoritairement défavorable au premier parti de France. Question: comment ne pas fabriquer, dans ces conditions, une machine à ressentiment chez les électeurs déjà tentés par le dégagisme et contaminés par le complotisme?
En résumé: L’obligation démocratique du barrage au RN ne tient plus comme avant.
Journalistes, ces têtes de Turcs
Entre les journalistes et le Rassemblement national, la détestation a longtemps été mutuelle. Il faut le redire à l’heure où les responsables du RN, drapés dans leurs résultats électoraux, se présentent en parangons de la démocratie. Longtemps, les reporters autorisés à couvrir les congrès du Front National étaient l’objet de toutes les méfiances. La publication d’investigations à charge très solides contre certains élus RN, tels «Les Rapaces, enquête sur la mafia varoise de Marine Le Pen» (Ed Les Arènes), ou «Le grand remplaçant, la face cachée de Jordan Bardella» (Ed. Studiofact), n’améliore pas ce climat. Le clivage entre les médias parisiens et l'enracinement provincial et rural du RN version 2024 joue aussi à plein.
La présence médiatique de Marine Le Pen, y compris dans les colonnes de Blick lors de la visite d’Emmanuel Macron en Suisse, est pourtant très forte. Idem pour celle de Jordan Bardella, devenu d'ailleurs l’une des personnalités préférées des Français. Après des décennies de détestation mutuelle entre la presse et le RN, l’éventuel exercice du pouvoir par ce parti changera-t-il la donne?
En résumé: Le RN est normalisé pour les électeurs, pas pour les médias.
Richard Werly