Au total, le Rassemblement National a viré en tête avec plus de 33% des votes, le NFP obtenant 28%, la coalition présidentielle 20% et la droite classique environ 10%. Le RN aborde donc le deuxième tour du 7 juillet en position de force. Aura-t-il la majorité absolue, va-t-il s’en rapprocher ? Qui pourrait être Premier ministre ?
Le 30 juin, 76 députés (sur 577) ont été élus au premier tour, dont une petite quarantaine de candidats du Rassemblement national (RN) (Marine Le Pen, Sébastien Chenu Vice-Président de l’Assemblée nationale, Edwige Diaz ou Laure Lavalette, élues médiatiques). Le Nouveau Front populaire (NFP, gauche rassemblée), a fait élire une trentaine de députés, surtout de la France insoumise (LFI), le Premier secrétaire du parti socialiste Olivier Faure, est réélu. Mais des figures sont fragilisées : Fabien Roussel, chef du parti communiste, a été éliminé par le RN, et François Ruffin (LFI) qui a joué un rôle essentiel pour unir la gauche, est en difficulté. Ce sont des cas emblématiques de la situation électorale dans le Nord de la France, où le vote RN est omniprésent, sur fond de disparition des services publics et de misère sociale. Quant à l’ancien Président François Hollande en Corrèze, il est en ballotage face à une adversaire RN et un candidat de droite qui se maintient.
Quelques questions se posent avant le vote décisif de dimanche.
La participation au second tour
Le 30 juin la participation a été très élevée, atteignant plus de 66%, vingt points de plus que lors des précédentes élections. Le désir des Français de jouer un rôle pour déterminer leur avenir politique s’est traduit dans les urnes, confirmant les prévisions des sondages. Les électeurs du RN se sont mobilisés- ils ont été plus de 11,5 millions contre 8,1 millions au premier tour de l’élection présidentielle en 2022, comme ceux de la gauche ou du camp présidentiel. Avec cette mobilisation, les rapports de forces des élections européennes n’ont pas bougé, ils sont brutalement devenus réels, ils se sont cristallisés.
La participation sera-t-elle aussi forte dimanche prochain ?
L’enjeu du deuxième tour est fondamental pour déterminer la composition de l’Assemblée nationale.
Mais comment vont réagir les électeurs dont les candidats ont été éliminés, ou n’ont aucune chance de l’emporter, particulièrement ceux du camp présidentiel ? On plonge dans l’inconnu. La participation sera-t-elle différente selon les territoires et les enjeux circonscription par circonscription ? Pourrait-elle même être encore plus forte ? Après tout, il reste théoriquement plus de 30% d’électeurs qui n’ont pas voté ! Mais ce qui pourrait l’emporter c’est le dépit. Faute de candidat qui leur corresponde, un nombre significatif d’électeurs pourraient s’abstenir.
Le Front républicain et les triangulaires : la dynamique du côté du RN
La forte participation a entraîné plus de 300 triangulaires, c’est-à-dire la possibilité pour trois candidats de se maintenir au second tour. Il en restera moins d’une centaine après les désistements du NFP et d’Ensemble, le camp présidentiel, face au RN. Mais celui-ci était déjà en passe de l’emporter dans 142 circonscriptions où il dispose de plus de 40% des voix au premier tour. Jusqu’au bout le camp présidentiel a été divisé. Le Premier Ministre Gabriel Attal a martelé que « pas une voix ne devrait aller au RN. » D’autres et pas des moindres – l’ancien Premier ministre Edouard Philippe, l’ancienne Présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, ou certains ministres du gouvernement- n’ont pas hésité à écarter un soutien aux candidats LFI. N’oublions pas que la campagne du camp présidentiel a renvoyé sans relâche, dos à dos les deux extrêmes, le RN et le NFP au nom de l’antisémitisme supposé de LFI.
Peut-on passer ainsi d’un discours à l’autre, appeler à voter pour ceux qui étaient dénoncés, quelques jours plus tôt, comme des ennemis de la République sans perdre des électeurs au passage ? Même si la vérité est souvent relative en politique, c’est impossible. Il y aura des pertes en ligne, des abstentionnistes. Le RN l’a compris qui dénonce l’union des contraires et le mépris de « l’intelligence des électeurs ». La désunion au sein du NFP sur Jean-Luc Mélenchon qui proclame sa capacité à être Premier ministre, devrait accentuer la démobilisation électorale. Et LFI a d’ores et déjà refusé toute coalition gouvernementale anti-RN avec le camp d’Emmanuel Macron, après le 7 juillet.
Comment le Front républicain peut-il vraiment bousculer les résultats, alors que l’électorat est aussi fortement polarisé et territorialisé ? L’ensemble de la France rurale et des petites villes plébiscite le RN, la gauche domine dans les métropoles et le camp présidentiel s’effondre. D’une circonscription à l’autre ce sont deux Frances qui s’affrontent.
La dynamique est du côté du RN. Celui-ci devrait avoir au moins une forte majorité relative autour de 240/ 250 députés. L’objectif reste d’éviter que ce parti dispose de la majorité absolue.
La France sera-t-elle encore gouvernable après le 7 juillet ?
Le RN pourrait aller chercher des alliés chez les députés de droite pour atteindre cette fameuse majorité absolue (à 289 députés), Jordan Bardella serait Premier Ministre. Mais que se passerait-il en termes de fonctionnement institutionnel avec le Président de la République et le Parlement, le Sénat dominé par une droite républicaine, jouant un rôle de contrepouvoir ? Le programme économique du RN devient de plus en plus flou, Marine Le Pen ou Jordan Bardella esquivant les questions précises. Seul engagement ferme au mépris de l’Etat de droit: la garantie de politiques racistes et de rejet des étrangers. Plus d’une centaine de candidats du RN ont tenu publiquement des discours racistes, antisémites ou homophobes. Dernière perle en date celle de cette candidate RN dans la Mayenne affirmant ne pas être raciste, car elle a un dentiste musulman et un ophtalmo juif !
Face à Gabriel Attal évoquant un gouvernement d’union nationale, gauche et droite républicaine restent silencieuses, à l’exception de LFI qui a déjà opposé un refus net. A qui pourrait revenir le poste de Premier ministre ? Les divisions du NFP ne permettent pas de pronostic. On évoque des situations à la belge ou à l’italienne avec des semaines sans Premier ministre. Ou une coalition à l’allemande. La France habituellement si fière de sa différence, cherche ailleurs des solutions. La possibilité d’un gouvernement technique dirigé par une personnalité non élue, un haut fonctionnaire, une personnalité qualifiée, est aussi dans les tuyaux. Mais aucun profil convaincant n’émerge. Face au RN, qui joue sur la haine des élites, serait-ce vraiment la solution ? Des technos pour diriger la France ? La période appelle-t-elle vraiment des solutions « techniques » ?
Comment se comportera Emmanuel Macron ? Imprévisible, celui qui a pris le risque du chaos en faisant disparaître son camp, a réaffirmé fermement sa volonté de rester aux manettes. Faut-il le croire ? Comment gèrera-t-il la relation avec Matignon ? De 1997 à 2002, dernière expérience de cohabitation, Jacques Chirac Président de la République, avait été relégué au second plan par Lionel Jospin Premier ministre. Cela n’avait pas empêché sa réélection en 2002. Sauf que là Emmanuel Macron ne peut pas se représenter…
Quels contre-pouvoirs ?
Après sept ans de Présidence verticale, quelles sont les cordes de rappel dans un pays où dominent les colères, sur quels corps intermédiaires s’appuyer ? Les syndicats, les collectivités locales, les associations devraient jouer un rôle plus important. Le Conseil constitutionnel être une garantie, lorsque le RN évoque ouvertement des mesures contraires aux droits fondamentaux et aux libertés publiques. Le rôle des hauts fonctionnaires et des juges pourrait être essentiel. Comment choisiront-ils de servir leur pays ? Qui va collaborer avec le RN ? Ses idées vont-elles encore progresser et modifier l’équilibre des politiques publiques ?
Reste à imaginer comment ces acteurs pourraient peser dans un pays où l’Etat a un rôle dominant, et où la dépendance à l’égard des financements publics est un talon d’Achille.