Le chef d’État du Soudan, Abdel Fattah al-Burhan, qui a dégagé le dictateur Omar al-Bashir en 2019, fait face à son ancien second surnommé Hemeti, qui dirige le groupe paramilitaire Forces de Soutien Rapide (FSR). Mais ce conflit n’est pas qu’une embrouille domestique. Le Soudan, lien entre le monde arabe et l’Afrique subsaharienne, est riche en ressources naturelles. Du coup, ce pays attire les convoitises régionales.
Ainsi, l’Arabie Saoudite comme les Émirats Arabes Unis (EAU) voient tous deux la guerre comme une opportunité pour étendre leur influence dans la région. Les Saoudiens soutiennent le gouvernement internationalement reconnu d’Abdel Fattah, alors que les émiratis penchent pour le chef des rebelles et ex numéro deux du régime.
Ces derniers n’espèrent pas une victoire complète des FSR, de toute façon hautement improbable au vu de la force et la légitimité de Fattah. Mais un cas probable serait une situation similaire à celle de la Libye, où divers groupes se battent pour des zones d’influences sur le territoire. Un tel cas de figure permettrait aux Émirats d’être une perpétuelle épine dans le pied Saoudien, et d’en extraire ainsi des concessions.
Le groupe Wagner (1) dans la boucle
Ces monarchies du golfe ont joué un rôle significatif au Soudan depuis la chute de la dictature d’al-Bashir en 2019, envoyant des milliards de dollars à la junte d’Abdel Fattah en aide et investissements. Leurs intérêts étaient à l’époque alignés. Mais le rapprochement du Soudan avec le Qatar, rival des EAU, fut vu d’un mauvais œil par Abu Dhabi. Et lorsque les FSR, qui avaient déjà soutenu les intérêts émiratis au Yémen et en Libye, s’affirmèrent comme la première force d’opposition à Fattah en 2023, le patron des Émirats, MBS, sauta sur l’occasion.
Sans manifester une hostilité trop évidente à l’égard des saoudiens, les émiratis ont collaborent avec la Russie pour soutenir le groupe Wagner, qui a offert ses services aux FSR. Les paramilitaires soudanais protègent les intérêts miniers des paramilitaires russes, qui envoient des ressources à la Russie… en passant par les Émirats. En juin 2023 la trésorerie américaine à sanctionné Al Junaid et Tradive, deux entreprises minières associées à Hemeti et basées au Soudan et aux Émirats.
Les Saoudiens, de leur côté, travaillent sans relâche pour se présenter comme un médiateur de paix crédible et comme un soutien humanitaire conséquent pour les soudanais. Mais la perspective de la paix est encore lointaine. Si elle venait à se réaliser, les saoudiens pourraient renforcer leur image de leader du monde arabe et musulman. Mais si une situation similaire à celle en Libye s’installe, les Emirats pourraient durablement fragiliser l’influence saoudienne dans la région – une victoire pour le petit royaume.
Les Américains convoités
Cette compétition entre les deux royaumes n’est pas nouvelle. Les Émirats n’hésitent pas à nouer des liens diplomatiques avec tout le monde, y compris l’Iran, l’ennemi juré des saoudiens. Au Yémen, les tensions sont palpables. Riyad soutient le gouvernement reconnu internationalement d’Abed Rabbo Mansour; Abu Dhabi en revanche soutient le groupe rebelle du Conseil de Transition du Sud (2), qui lui offre un accès privilégié aux ports du pays mais qui bloque le développement d’infrastructures pétrolières saoudiennes.
Dernièrement, la compétition entre les deux pays pour mettre les États-Unis de leur coté a été intense. Depuis la scandale de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi par les saoudiens, les relations entre le royaume et les États-Unis se sont refroidies considérablement, ouvrant la porte aux Émiratis qui voudraient devenir le partenaire privilégié de la superpuissance dans la région à coup d’achats d’armes.
Cerise sur le gâteau, la signature des accords d’Abrahams avec les Israéliens a renforcé encore la crédibilité de MBZ, le chef tout puissant des Émiratis, auprès des Américains, alliés constants de Tel Aviv.
(1) Malgré sa rébellion ratée, le groupe Wagner est toujours présent en Ukraine, en Biélorussie et en Afrique. Il a été intégré à l’armée régulière russe et doit répondre aux ordres d’Andreï Trochev, qui a été directement nommé par Vladimir Poutine.
(2) Les autorités séparatistes du Sud accusent le gouvernement d’Abd Rabbo Hadi – appuyé par une coalition militaire conduite par l’Arabie saoudite – de ne pas avoir rempli ses obligations et d’avoir même « conspiré » contre leur cause. En principe, tous sont alliés au sein du camp « loyaliste » contre la rébellion houthi au nord. Dans la réalité, l’accord qu’ils ont signé – contraints et forcés – début novembre à Riyad ne s’est jamais traduit dans les faits.
Mateo Gomez