Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

jeudi 11 juillet 2024

La France en quête d’un Premier ministre

 

Lorsqu'un clown emménage dans un palais,

 il ne devient pas le Roi. 

le palais devient un cirque

Proverbe turc



Emmanuel Macron a adressé une lettre aux Français ce mercredi, alors qu’il a quitté le pays pour participer à un sommet de l’Otan à Washington. Emmanuel Macron s’adresse aux Français via France Bleu et plusieurs journaux régionaux. Dans cette lettre, le chef de l’État revient sur la forte participation au scrutin, « signe de la vitalité de notre République » dont il tire « quelques conclusions ». « Si l’extrême droite est arrivée en tête au premier tour avec près de 11 millions de voix, vous avez clairement refusé qu’elle accède au Gouvernement », affirme le Président qui ne se livre pas à la moindre autocritique pour avoir dissous l’Assemblée après le scrutin européen, une décision inédite dans l’histoire de la Cinquième République.

Le chef de l’État souligne d’abord « qu’aucune force politique n’obtient seule une majorité suffisante et les blocs ou coalitions qui ressortent de ces élections sont tous minoritaires ». Et d’ajouter que « seules les forces républicaines représentent une majorité absolue », alors que ces dernières se sont rassemblées pour empêcher le Rassemblement National d’accéder au pouvoir mais en aucun cas pour gouverner ensemble. Le Parlement français est désormais fracturé en trois forces à peu près équivalentes, elles mêmes constituées de multiples partis politiques (sauf pour le RN) et en tout cas incapables de s’entendre.

Un Président fuyant

Sans tenir compte de ce qui est classiquement le rôle du Président en France, le chef de l’État botte en touche et demande « à l’ensemble des forces politiques (…) d’engager un dialogue sincère et loyal pour bâtir une majorité solide, nécessairement plurielle, pour le pays ». « Ce que les Français ont choisi par les urnes le front républicain, les forces politiques doivent le concrétiser par leurs actes » précise-t-il. « C’est à la lumière de ces principes que je déciderai de la nomination du Premier ministre » indique le Président. « D’ici là, le Gouvernement actuel continuera d’exercer ses responsabilités puis sera en charge des affaires courantes » (…) « Vous avez appelé à l’invention d’une nouvelle culture politique française. En votre nom, j’en serai le garant », conclut Emmanuel Macron.

Macron dit qu'il n'a pas perdu: c'est faux et dangereux

Ainsi donc, le futur gouvernement français devra faire preuve de «compromis», et se montrer capable de présenter un projet «pragmatique et lisible». Ces mots sont ceux d’Emmanuel Macron, dans sa première déclaration publiée depuis le résultat des élections législatives, ce dimanche soir. L’objectif fixé par le président français est clair: donner le pouvoir exécutif à «l’ensemble des forces politiques se reconnaissant dans les institutions républicaines, l’Etat de droit, le parlementarisme, une orientation européenne et la défense de l’indépendance française, d’engager un dialogue sincère et loyal pour bâtir une majorité solide, nécessairement plurielle, pour le pays».

Sur le papier, cette formule est difficile à contredire. Elle procède de la logique du «Front républicain» qui, dans les urnes, a empêché le Rassemblement national de progresser sur la base des résultats du premier tour, et d’obtenir une majorité absolue sur les 577 députés.

La France insoumise dans le viseur

Emmanuel Macron vise aussi, dans son texte, La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon dont il estime, sans nommer ce mouvement de gauche radicale, qu’il ne correspond pas à ses critères. Soit. Voilà maintenant la nouvelle Assemblée nationale prévenue. Tout candidat au poste de Premier ministre et tout nouveau gouvernement qui ne respecterait pas ce canevas sera a priori écarté. Au «bloc central» de trouver les moyens de se constituer, et de constituer un gouvernement issu d’une coalition la plus stable possible.

Le problème est que, ce faisant, Emmanuel Macron donne l’impression de n’avoir toujours pas compris le résultat principal de ce scrutin qu’il avait initié: le désaveu de sa personne, de ses méthodes, et de la majorité relative sortante dont le Premier ministre Gabriel Attal était le chef depuis sa nomination, le 9 janvier.

Respect de la constitution

Le locataire de l’Élysée, qui nomme le chef du gouvernement conformément à la constitution, veut, en plus, avoir un droit de regard sur la coalition à venir. Il ne se comporte pas en arbitre, mais en acteur. Il estime que ce scrutin lui a redonné des marges de manœuvre. Il attend que le Parlement trouve une solution, mais à la condition expresse que celle-ci respecte son équation.

Cette manière de faire n’est pas parlementaire. Elle peut sembler justifiée à ceux qui, en France, espèrent trouver une voie médiane entre la Ve République si verticale, et la IVe République qui l’a précédée, où les coalitions gouvernementales ne tenaient que quelques mois. La méthode Macron, pour faire simple, consiste à estimer que l’onction du suffrage universel de 2022, obtenue contre Marine Le Pen, lui donne le droit de trier entre les électeurs et les élus de la nation. Si défaite il y a et son camp a de facto été battu elle ne peut pas être la sienne. La dissolution, aussi démocratique soit-elle, est d’abord pour le chef de l’État un moyen de continuer à présider. Pas un moyen, contrairement à ce qu’il affirmait dans sa conférence de presse le 12 juillet, de donner la parole au «peuple souverain».

Solution et problème

Emmanuel Macron veut changer de République sans se transformer. Il se tait, ce qui est nouveau. Il écrit ses volontés dans un communiqué pour masquer son impulsivité. Mais il donne le cadre, tance les formations politiques, et se place au centre du jeu, sur le terrain, au lieu de rester sur le banc de touche.

Face à cette attitude présidentielle, la gauche unie lors du scrutin ne pourra pas prétendre gouverner, puisque La France Insoumise semble d’emblée hors-jeu. Le Rassemblement national, quel que soit son succès électoral, est mis le dos au mur, banni de ce match «républicain». Dans un contexte électoral français dominé, outre le rejet réel du RN, par la radicalisation et par un évident rejet des élites, cette manière de vouloir décider en prétendant écouter prouve une chose: le refus d’un homme de prendre conscience que, s'il a l'ultime responsabilité d'une solution démocratique, il n'en demeure pas moins une large partie du problème.

14 millions d'électeurs français ont-ils voté pour rien le 7 juillet ?

Leurs deux partis ont, chacun, de très bonnes raisons de crier victoire après les élections législatives françaises des 30 juin et 7 juillet. Les onze millions d’électeurs du Rassemblement national (RN), arrivé en tête avec près de dix millions de voix et 142 députés (contre 88 dans l’assemblée sortante) devraient, en théorie, voir leurs élus à la porte d’un futur gouvernement.

A l’opposé, les trois millions d’électeurs de La France Insoumise (LFI, gauche radicale), colonne vertébrale du Nouveau Front Populaire (NFP), l’alliance de gauche qui a totalisé 7,2 millions de voix et obtient toutes formations confondues 187 députés, espèrent logiquement voir leurs élus proposer un candidat premier ministre.

Bref, dans un autre pays que la France, ces treize millions d’électeurs seraient les premiers vers lequel le chef de l’État se tournerait, via leurs représentants à l’Assemblée nationale, pour constituer un nouvel exécutif. Mais voilà, la Ve République et son président Macron ne fonctionnent pas comme ça. Le chef de l’État a fait son choix.

«Personne ne l’a emporté»

Sur le papier, Emmanuel Macron écarte seulement le RN: «Si l’extrême-droite est arrivée en tête au premier tour avec près de 11 millions de voix, écrit-il, vous avez clairement refusé qu’elle accède au Gouvernement.» Mais dans les faits, son rejet inclut aussi LFI qu’il a clairement accusé, durant la campagne «d’immigrationnisme» et d’incitation à la «guerre civile». «Je demande à l’ensemble des forces politiques se reconnaissant dans les institutions républicaines, l’Etat de droit, le parlementarisme, une orientation européenne et la défense de l’indépendance française, d’engager un dialogue sincère et loyal pour bâtir une majorité solide», écrit le président.

La formation de Jean-Luc Mélenchon n’est pas nommée. Difficile, en revanche, de penser que le locataire de l’Élysée acceptera de voir ce parti représenté dans un gouvernement orienté à gauche, dont il conteste la légitimité puisque selon lui, «personne ne l’a emporté». «Aucune force politique n’obtient seule une majorité suffisante et les blocs ou coalitions qui ressortent de ces élections sont tous minoritaires», précise-t-il.

Comment une telle situation est-elle possible en France? La réponse tient en trois points que les 14 millions d’électeurs (sur 49 millions) rejetés dans l’opposition pourront méditer dans les prochaines semaines, puisque Emmanuel Macron prévient que tout cela «prendra du temps».

Le choix présidentiel

C’est le président français, «garant de l’unité de la nation» qui choisit le premier ministre. Lequel est ensuite responsable devant l’Assemblée nationale qui peut le renverser avec le vote d’une motion de censure, à la majorité des membres composant l’Assemblée nationale. Emmanuel Macron, réélu pour cinq ans au suffrage universel en avril 2022, peut donc en théorie exclure tel ou tel candidat. Le problème, dans le cas de figure de ce scrutin provoqué par sa dissolution de l’assemblée, est qu’il refuse de se tourner vers la force politique arrivée en tête, à savoir la coalition de gauche, tout en excluant le RN.

En résumé: Macron veut trier entre les électeurs et les partis pour ressusciter son bloc central, alors que sa coalition sortante a perdu une centaine de députés.

Les dessous du «Front Républicain» anti-RN

Marine Le Pen et Jordan Bardella accusent leurs opposants de s’être ligués contre eux dans un pacte antidémocratique pour faire battre les candidats RN, alors que tout les oppose. Cette accusation est à la fois juste et fausse. Oui, les électeurs décidés à faire barrage au Rassemblement national ont accepté de voter pour des candidats très éloignés de leurs opinions (la droite pour la gauche, et vice versa). Mais non, ce n’est pas du tout antidémocratique. Le scrutin majoritaire à deux tours, en France, permet cela hélas. C’est connu.

Les 11 millions d’électeurs RN, faute d’alliés, se sont retrouvés impuissants face à la mobilisation contre l’extrême-droite. La question posée est maintenant de savoir si le groupe RN, qui pourrait être le plus important de l’assemblée lors de l’ouverture de la législature le 18 juillet, doit être tenu à l’écart de toute combinaison gouvernementale. La France Insoumise exige même de lui refuser des postes de vice-présidents ou de questeurs de l’assemblée.

En résumé: Les 11 millions d’électeurs du RN sont, de facto, traités comme anti-républicains.

La diabolisation de LFI

Ce scénario là concerne les trois millions d’électeurs (sur 7,2 millions pour le Nouveau Front Populaire de gauche dans son ensemble) qui ont voté pour les candidats La France Insoumise aux deux tours. En sachant que parmi les 72 élus de ce parti, un certain nombre l’a emporté grâce au fameux «Front républicain» anti-RN. A ces électeurs de gauche, Emmanuel Macron adresse un «non» pas aussi clair, mais que tout le monde a compris. Les incantations de Jean-Luc Mélenchon, la politique pro-palestinienne de LFI, les accusations d’antisémitisme, la «bordellisation» parlementaire reprochée à ce parti jouent à plein contre lui. L’objectif-là, n’est pas de l’écarter en bloc, mais de faire exploser à la fois LFI et le NFP. Macron souhaite «trier» entre bons et mauvais électeurs de gauche.

Le Nouveau Front Populaire tient pour le moment. Il promet de proposer un candidat au poste de premier ministre. Mais qui? Et avec quelle participation de LFI et quel soutien de la part de Jean-Luc Mélenchon qui avait réalisé 21,9% des voix à la présidentielle de 2022, soit plus de 8 millions de voix et un écart de 440'000 suffrages avec Marine Le Pen, arrivée en seconde position.

En résumé: LFI fait peur, même dans une coalition. Prière à ses électeurs de voter autrement.

Richard Werly

blick.ch