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dimanche 9 juin 2024

Un ex-chef d’état-major des armées moldave est accusé d’être un informateur du renseignement militaire russe

 

Quand un service d’espionnage a l’opportunité de placer une « taupe » au sommet d’un État sur lequel il a des visées, il ne se prive évidemment pas de la saisir. D’ailleurs, c’est ce qu’aurait récemment fait le GRU, le renseignement militaire russe, en Moldavie.

Ainsi, depuis la diffusion de documents par le média d’investigation russe The Insider, le 5 juin, le général Igor Gorgan est accusé d’avoir livré des informations confidentielles au GRU depuis au moins 2004. Or, il se trouve que cet officier a occupé les fonction de chef d’état-major des forces moldaves à deux reprises au cours de la dernière décennie…

Né en 1969 à Dubăsari [Transnistrie], le général Gorgan s’est engagé dans l’Armée Rouge à l’âge de dix-huit ans, avant de fréquenter l’école militaire supérieure interarmes de Novossibirsk et d’être affecté à une unité aéroportée basée en Ukraine.

Puis, l’implosion de l’Union soviétique, en 1991, fut l’occasion pour la Moldavie de proclamer son indépendance, ce qui donna lieu à la guerre du Dniestr, celle-ci ayant opposé les séparatistes de Transnistrie, soutenus par la Russie, aux forces régulières moldaves.

Ce conflit se termina avec l’intervention de la 14e armée russe et un accord selon lequel Chisinau accepta de renoncer à tout rapprochement avec la Roumanie et de donner une large autonomie à la Transnistrie, majoritairement russophone, en échange de la neutralité de Moscou. Depuis, la « république moldave du Dniestr » s’est dotée des attributs d’un État… et accueille toujours sur son sol des forces russes.

Quant à Igor Gorgan, il put poursuivre sa carrière militaire, après avoir troqué son uniforme de l’Armée Rouge contre celui de l’armée moldave. D’abord affecté à 2e brigade d’infanterie motorisée « Ștefan cel Mare », il fut admis à suivre les cours du Collège de commandement et d’état-major de l’US Army, à Fort Leavenworth, entre 2001 et 2002. Puis il prit part à plusieurs missions internationales dirigées par l’Otan [dont la Moldavie ne fait pas partie, ndlr], comme en Bosnie-Herzégovine, en Géorgie et en Irak.

Selon les documents l’incriminant, l’officier aurait été approché, puis recruté par le GRU en 2004. L’attaché militaire de l’ambassade de Russie à Chisinau aurait été son « officier traitant ». Trois se sont succédé depuis, à savoir Vadim Ukhnalev, Igor Dovbnya [expulsé de Moldavie pour espionnage en 2017] et Alexeï Makarov.

Quoi qu’il en soit, promu général, Igor Gorgan fut nommé chef d’état-major des forces armées moldaves en 2013. Mais, trois ans plus tard, il fut démis de ses fonctions après avoir exprimé des désaccords avec Anatol Șalaru, alors ministre de la Défense.

Rétrogadé au statut de « conseiller » ministériel, il devint le responsable des études stratégiques à l’ Académie militaire Alexandru cel Bun… avant de retrouver son poste de chef d’état-major, grâce au président [pro-russe] Igor Dodon, en juillet 2019. Sa nomination coïncida avec l’arrivée de Maia Sandu [pro-occidentale] à la tête du gouvernement moldave.

Cependant, ayant succédé à Igor Dodon en décembre 2020, Mme Sandu ne se sépara pas immédiatement du général Gorgan, celui-ci ayant été maintenu dans ses fonctions jusqu’en septembre 2021.

Le GRU en a-t-il été pour ses frais, alors que la guerre en Ukraine n’allait pas tarder à éclater ? Désormais employé par le HCR, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, le général Gorgan a continué à livrer des informations grâce à ses réseaux et les liens qu’il a su conserver au sein de l’armée moldave. D’après sa correspondance avec Alexeï Makarov, dont les « bonnes feuilles » ont été publiées par The Insider, il aurait même été très actif après sa mise à l’écart, en tenant son officier traitant au courant des visites, en Moldavie, des représentants d’Ukroboronexport, la société d’État ukrainienne spécialisée dans les achats d’armes à l’étranger.

« Cela fait maintenant trois semaines que les Ukrainiens font le tour de notre ministère de la Défense et réclament tout, notamment des obus d’artillerie », a-t-il écrit dans un message qui lui a été attribué. A priori, il aurait été aussi au courant du souhait de Kiev de racheter six avions de combat MiG-29 moldaves. D’où les interrogations sur les raisons qui ont empêché cette transaction d’aboutir.

« Le système de sécurité de la République de Moldavie est vulnérable, car il est infiltré par la Fédération de Russie, par des personnes telles que l’ancien chef d’état-major, Igor Gorgan. Le Service de renseignement et de sécurité [SIS] doit obtenir des résultats concrets », a commenté Lilian Carp, présidente de la Commission de sécurité nationale, de défense et d’ordre public au Parlement moldave, au sujet de cette affaire.

De son côté, la présidence moldave a annoncé des sanctions contre le général Gorgan. « De tels crimes contre l’État doivent être punis de la manière la plus sévère possible. En 2021, cette personne a été démise de ses fonctions par la présidente Maia Sandu. Les récompenses d’État qui lui ont été décernées […] et les grades militaires lui seront retirés », a fait savoir Adrian Bălutel, le chef de cabinet de la présidence, sans toutefois préciser si le « correspondant » du GRU avait été arrêté.

Et d’ajouter : « De tels cas démontrent qu’une surveillance continue et une vérification approfondie des membres des institutions de défense et de sécurité de l’État sont impératives. Ces criminels contribuent aux menaces hybrides qui pèsent sur la République de Moldavie. C’est précisément pour cela que nous avons besoin d’outils plus efficaces pour lutter contre les actes de trahison ».

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