Ursula Von der Leyen n’a pas flanché en dépit de l’opposition allemande. Ce jeudi 13 juin, la Commission européenne a annoncé son intention de surtaxer les importations de voitures électriques chinoises à hauteur de 17 à 38 % à partir du 4 juillet prochain. Cette décision va diminuer les risques d’une guerre des prix sur le marché européen, mais elle n’empêchera pas les marques chinoises de poursuivre leur offensive. La Chine va probablement appliquer des mesures de rétorsion, avec pour cibles possibles les exportations européennes dans l’aéronautique, les vins et spiritueux ou le porc. Une négociation à la fois interne entre Européens, et avec Pékin, est lancée jusqu’à l’imposition de droits définitifs dans quatre mois. Les constructeurs chinois vont par ailleurs accélérer leurs investissements en Europe ou dans sa périphérie (Maroc, Turquie) pour contourner les sanctions commerciales, comme l’avaient fait avant eux les constructeurs sud-coréens et japonais.
La Commission européenne était très attendue sur cette enquête anti-subventions concernant les voitures électriques chinoises. Sa capacité à agir pour défendre les intérêts européens face aux risques de concurrence déloyale restait à démontrer face à l’ADN libre-échangiste qui caractérise depuis toujours sa politique commerciale. Sa présidente Ursula Von der Leyen est allemande et engagée dans une campagne difficile pour sa réélection à la tête de la Commission, qui nécessite un soutien actif de l’Allemagne.
La Commission européenne et sa présidente ont pris le risque calculé de sanctions relativement élevées à l’aune des pratiques habituelles de Bruxelles, avec des droits additionnels allant de 17,4 % pour BYD à 38,1 % pour SAIC, et une moyenne de 21 % pour les constructeurs ayant coopéré à l’enquête menée au cours des derniers mois. Des ajustements sont encore possibles avant et après le 4 juillet, jusqu’à l’imposition de droits définitifs par un vote des États-membres début novembre.
Une enquête du Rhodium Group le montre : les écarts de prix entre le marché chinois et le marché européen sont très importants, et une surtaxe de l’ordre de 45 à 55 % serait nécessaire pour réellement équilibrer les niveaux de prix entre les deux marchés.
BYD, le leader mondial des voitures électriques, pratique des différences de prix de l’ordre de 80 à 100 % entre ses modèles vendus en Chine et en Europe. La surtaxe de 17,4 % qui lui est appliquée, ajoutée aux 10 % de droit de douanes habituels et aux frais de transport, n’annule que la moitié de cet avantage de prix. BYD fera moins de profits en Europe mais peut continuer à mener une politique commerciale offensive. C’est moins vrai pour SAIC, qui a été plus durement touché par les droits additionnels car le constructeur shanghaïen n’a pas coopéré activement avec les enquêteurs européens. SAIC est actuellement l’un des tous premiers exportateurs de véhicules électriques vers l’Europe avec près de 100 000 véhicules à énergie nouvelle vendus en 2023. La sanction de Bruxelles risque de remettre en cause cette expansion rapide.
Les constructeurs européens qui importent des voitures électriques de Chine comme Volkswagen ou Renault (avec la marque Dacia) seront touchés par des droits additionnels moyens de 21 % qui peuvent réduire l’intérêt commercial de ces exportations. Stellantis, qui a pris une participation chez un constructeur chinois de second rang, Leapmotor, vient d’indiquer que les sanctions annoncées par Bruxelles ne modifieront pas sa stratégie de commercialisation en Europe de certains modèles du constructeur chinois.
Tesla, qui exporte largement ses modèles assemblés à Shanghai vers l’UE, a obtenu une négociation séparée avec la Commission européenne pour déterminer le niveau des droits additionnels qui lui seront appliqués.
Selon Katrin Hamlin, analyste chez Reuters, la progression des voitures électriques purement chinoises dans le total de celles exportées de Chine vers l’Europe, devrait se poursuivre avec des ventes qui pourraient passer de 7 % du total des importations de voitures électriques européennes en 2023 à 20 % en 2027.
La Commission européenne reste en position de force pour la négociation qui s’engage jusqu’à l’imposition de droits définitifs en novembre prochain. L’annulation pure et simple des droits provisoires est peu probable car il faudrait au sein du Comité de politique commerciale une majorité qualifiée des États-membres pour annuler la décision. L’Allemagne, la Suède et la Hongrie sont des opposants déclarés, mais il faudrait qu’ils rallient au moins une douzaine d’autres États-membres – et pas uniquement les plus petits – pour réunir la majorité qualifiée nécessaire.
Une réévaluation à la baisse des droits additionnels est en revanche possible. Soit parce que certains constructeurs comme SAIC se seront montrés plus coopératifs et auront été en mesure de fournir un dossier technique plus convaincant, soit parce que la pression de Pékin, appuyée par des rétorsions ciblées, et les résistances intra-européennes, auront conduit la Commission à certains compromis.
Les constructeurs chinois ont déjà engagé des projets d’investissements importants en Europe, qui vont s’accélérer. BYD verra ses premières automobiles électriques sortir de sa vaste usine de Szeged en Hongrie avant la fin de l’année prochaine, et vient de confirmer son intention d’implanter prochainement une seconde usine en Europe. Le groupe Geely, propriétaire de Volvo et dont les exportations vers l’Europe seront surtaxées à hauteur de 20 %, est en train de construire une usine en Slovaquie dont la capacité pourrait atteindre 250 000 véhicules. Le groupe Chery construit pour sa part une usine en Catalogne en partenariat avec la société locale EBO EV Motors.
SAIC était déjà en recherche active d’un site pour une première implantation en Europe des véhicules sous la marque MG (anciennement Rover). Durement touchée par les droits additionnels imposés par la Commission européenne, SAIC devrait officialiser dans les prochains mois sa décision d’implantation. La France fait partie des choix possibles pour le groupe shanghaïen.
D’autres initiatives sont possibles pour contourner les sanctions européennes. Le Maroc est en train de devenir une base de production majeure pour l’industrie chinoise des batteries électriques, avec en particulier une méga-usine de batteries annoncée par le groupe Gotion, et des investissements dans la production de cathodes et anodes à Tanger. Une usine d’assemblage de véhicules viendrait compléter la chaîne de valeur qui se met en place pour servir le marché européen en profitant de l’accord de libre-échange entre le Maroc et l’UE.
Le ministre tuc de l’Industrie indiquait en mai dernier qu’Ankara était en « négociations avancées » avec au moins quatre constructeurs chinois (BYD, SAIC, Chery et Great Wall) pour l’implantation d’une chaîne d’assemblage sur le sol turc, avec le marché européen en ligne de mire. La Turquie vient d’annoncer l’imposition de droits additionnels de 40 % sur les importations de véhicules électriques chinois à partir du 7 juillet. Une décision qui peut conduire à l’accélération des négociations d’investissement en cours.
Du côté de la Corée du Sud, Renault Korea Motors a passé un accord avec Geely pour la construction dans son usine de Pusan de véhicules électriques de la marque Polestar, qui seront destinés uniquement à l’exportation. L’Europe est une destination naturelle pour ces exportations, grâce au réseau Volvo dont dispose Geely en Europe et à l’accord de libre-échange UE-Corée du Sud.
Au total, le marché européen reste une cible prioritaire pour l’industrie automobile chinoise à un moment où le marché américain est entièrement fermé avec les 100 % de droits de douane imposés par Washington. Les constructeurs chinois vont continuer à gagner des parts de marché et progressivement produire en Europe comme l’avaient fait les constructeurs japonais et sud-coréens précédemment. La décision de la Commission européenne a au moins le mérite de rééquilibrer pour partie les conditions de concurrence et de favoriser l’accélération des implantations industrielles.
Hubert Testard