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mardi 16 avril 2024

Missile antinavire NSM : où s’arrêtera-t-il ?

 

Au cours de la guerre froide, tandis que Français et Américains dominaient le marché des missiles antinavires lourds à guidage radar avec l’Exocet et le Harpoon, l’industriel norvégien Kongsberg Defence & Aerospace (KDA) développait son missile Penguin, plus léger et à guidage infrarouge, pour équiper les vedettes légères et les hélicoptères. Pour succéder au Penguin, KDA a mis au point dans les années 2000 un nouveau missile reprenant cette même formule, le NSM (Naval strike missile). Mais si le Penguin occupait un marché de niche, le NSM s’est progressivement imposé comme un best-seller que rien ne semble pouvoir arrêter.

Produit à partir des années 1970, le Penguin a connu une carrière en demi-­teinte. Bien qu’il pût équiper des navires de premier rang et des avions de combat, il ne faisait pas le poids, sur ce segment de marché, face aux propositions françaises, américaines ou même suédoises et italiennes, basées sur des missiles plus gros et plus performants. Néanmoins, sa compacité lui permettait d’être aisément intégré sur des hélicoptères ou sur de petits patrouilleurs côtiers. Mieux encore, son mode de guidage infrarouge, alors unique au sein de l’OTAN, simplifiait son intégration aux différents systèmes d’arme, tant et si bien que le petit missile norvégien a fini par être adopté par l’US Navy, sous la désignation d’AGM‑119.

La genèse du NSM

Au début des années 2000, l’heure étant venue de remplacer le Penguin, KDA a tout naturellement proposé une nouvelle solution comparable en termes de dimensions, de masse et de charge militaire, mais adoptant les dernières évolutions en matière de discrétion, de propulsion et de guidage. Le moteur à poudre cède la place à un petit turboréacteur conférant au missile une portée d’environ 200 km, quatre fois supérieure à celle de son prédécesseur. Sa formule aérodynamique soignée permet d’optimiser à la fois sa furtivité passive et sa compacité. Enfin, le guidage infrarouge, inertiel et satellitaire profite des dernières évolutions en matière d’électronique et d’algorithmique, permettant au missile de réaliser des navigations complexes et de l’identification de cibles autonomes, même en environnement très dense, tout en lui conférant une capacité secondaire de frappe terrestre.

Le NSM, d’abord appelé Nytt sjømålsmissil (nouveau missile antinavire) est ainsi né, et il apparaît très vite que son potentiel commercial dépassera largement celui de son aïeul. En effet, l’augmentation de portée du NSM lui ouvre soudainement certains marchés jusqu’alors réservés aux missiles lourds, où il se distingue comme un produit unique. Plus léger, il permet des salves plus denses pour les batteries côtières et les petits patrouilleurs côtiers. Mieux encore, si les petites dimensions du Penguin – et les faibles performances associées – limitaient son intérêt pour une intégration sur les chasseurs-­bombardiers de l’époque, la compacité du NSM en fait au contraire un atout pour intégrer les soutes des chasseurs furtifs.

Le coup de pouce américain

Dans ce contexte, et même si sa production en série a été lancée à la suite de la commande norvégienne de 2007, le nouveau missile de KDA réussit rapidement un impressionnant doublé gagnant auprès des forces américaines, ce qui lui assure un grand avenir commercial. D’une part, avant même que le premier exemplaire ne sorte d’usine, le NSM est sélectionné par le Pentagone et Lockheed Martin pour servir de base au développement du JSM (Joint strike missile). Coproduit par Kongsberg et la firme américaine Raytheon, le JSM est le seul missile antinavire pouvant être embarqué à l’intérieur des soutes du chasseur F‑35. Cette exclusivité, qui s’inscrit dans le cadre de la participation industrielle norvégienne au programme JSF/F‑35, a permis de vendre le JSM à la Norvège, aux États-Unis, au Japon et à la Finlande, et d’autres pays ont montré un certain intérêt pour cette solution (Australie, Corée du Sud, Danemark, Pologne, etc.).

D’autre part, après des années de tergiversations, l’US Navy confirme en 2016 son intention d’acheter des NSM pour équiper ses Littoral combat ships (LCS). Pour le marché américain, le missile est commercialisé par Raytheon, qui sert également d’intermédiaire principal lors de certaines ventes à l’exportation, élargissant encore plus les débouchés potentiels. Avec son mode de guidage bien adapté aux opérations littorales et sa capacité de frappe vers la terre, le NSM est un choix logique pour les LCS. En 2019, et sans grande surprise, c’est au tour des Marines de sélectionner le NSM, intégré dans des batteries côtières mobiles. À plus long terme, le NSM est pressenti pour équiper les futures frégates américaines de la classe Constellation, ainsi que les futurs navires amphibies légers des Marines. De quoi acter, définitivement, le passage de relais entre l’ancienne génération de missiles Harpoon et les tout nouveaux NSM et JSM.

Un succès qui s’accélère à l’exportation

Et il n’y a pas qu’aux États-­Unis que le remplacement des vénérables Harpoon (et d’autres missiles similaires) propulse le NSM au sommet des ventes de missiles antinavires. La carrière internationale du NSM débute en 2008 avec une première vente remarquée auprès de la Pologne, qui a acheté au fil des années plusieurs centaines de missiles afin d’équiper ses batteries côtières, et qui a d’ailleurs récemment signé un contrat pour la production sous licence du NSM. La seconde vente s’effectue en 2015 auprès de la Malaisie, qui décide d’en équiper ses corvettes Gowind achetées auprès de la France. S’ensuit, peu de temps après, la sélection par l’US Navy, déjà évoquée, ainsi qu’un accord de coopération entre la Norvège et l’Allemagne, qui décide de s’équiper du NSM afin de remplacer le Harpoon sur ses frégates existantes. En 2018, le Canada annonce vouloir intégrer le NSM sur ses futures frégates.

En 2021, le missile est sélectionné par la Roumanie, dans sa version de défense côtière. Début 2022, l’Indonésie déclare vouloir se doter de patrouilleurs lance-­missiles équipés de NSM, sans toutefois passer commande. Puis, toujours en 2022, les déclarations et contrats se multiplient. Coup sur coup, l’Australie, l’Espagne puis le Royaume-­Uni confirment avoir opté pour le NSM afin de remplacer les Harpoon vieillissants sur les frégates en service. Puis, en fin d’année, les Pays-Bas sélectionnent officiellement le NSM pour leurs futures frégates achetées conjointement avec la Belgique, qui devrait donc en toute logique s’équiper également de NSM. Le tout sur fond de commandes supplémentaires de la part de la Norvège, des États-­Unis ou encore de la Pologne.

Chez KDA et Raytheon, l’année 2023 aura donc été en grande partie consacrée à la signature de ces divers contrats, aux dernières négociations avec la Lettonie, dernière cliente en date du système, mais aussi à la construction d’une nouvelle usine. Indispensable pour pouvoir gérer toutes ces nouvelles commandes, cette nouvelle chaîne de production doit normalement entrer en service en 2024. Et outre les commandes en cours, elle pourrait bien s’avérer utile pour absorber les futures commandes issues d’autres nouvelles opportunités commerciales. En effet, plusieurs négociations sont en cours, notamment en Europe de l’Est, en Europe du Nord et en Asie.

Qui pourra arrêter le NSM ?

Étant donné la séquence commerciale de 2022-2023, on pourrait croire qu’aucun concurrent ne pourra arrêter le NSM, et que ce missile léger, au mode de guidage passif, représente un nouveau standard immuable pour les missiles antinavires occidentaux. Mais en réalité, si le NSM présente de très nombreux avantages, aussi bien sur le plan des performances qu’en matière de modèle industriel, il ne représente pas pour autant un système d’armes parfait en tous points. Et ce qui peut apparaître comme une solution idéale pour certains utilisateurs, dans certaines circonstances, peut au contraire rebuter d’autres clients potentiels ayant d’autres besoins et impératifs opérationnels.

En premier lieu, il convient de revenir sur certains des compromis techniques du NSM qui, dans certaines circonstances, peuvent s’avérer handicapants. Avec une masse de 350 kg, le NSM est deux fois plus léger que l’Exocet français, le Harpoon américain ou le RBS‑15 suédois, ce qui permet de l’intégrer sur de plus petits porteurs. En contrepartie, toutefois, il dispose d’une charge militaire également deux fois plus légère, ce qui le rend moins efficace face à certaines cibles de grandes dimensions. Son autodirecteur infrarouge, totalement passif, lui permet en théorie de trouver sa cible sans émettre d’ondes radar, et donc sans trahir sa présence.

Toutefois, le guidage IR présente une portée bien plus réduite qu’un autodirecteur radar dans des conditions météo dégradées (brumes, embruns, mers formées, etc.), obligeant alors le NSM à prendre plus d’altitude qu’un missile à guidage radar, l’exposant plus facilement aux capteurs (actifs ou passifs) des navires ciblés. De plus, lorsque les missiles ne peuvent compter sur une désignation de cible par liaison de données, le facteur discriminant pour la distance d’engagement est la portée intrinsèque de l’autodirecteur. Or, les autodirecteurs radars modernes restent plus performants par tous les temps, notamment lorsqu’il s’agit d’estimer la distance exacte de la cible, et donc d’adapter au mieux la trajectoire du missile. De fait, pour beaucoup de clients du NSM, le missile norvégien s’avère être un excellent système, notamment pour les navires légers et les batteries côtières, sans être pour autant l’alpha et l’oméga de la lutte antinavire. Ainsi, la Pologne, l’Allemagne et la Finlande vont utiliser conjointement le NSM/JSM norvégien (1) et le RBS‑15 suédois, tandis que la Malaisie et l’Indonésie devraient opérer simultanément des NSM et des Exocet, les différents missiles étant plus complémentaires que concurrents.

Enfin, la question des délais de livraison, qui se rallongent malgré l’extension des capacités de production, pourrait bien finir par pousser certains clients potentiels à se tourner vers d’autres fournisseurs capables de livrer plus rapidement en plus grande quantité. La rançon du succès, en quelque sorte, que beaucoup d’autres missiliers seraient sans doute prêts à payer également. 

Note

(1) Le JSM, Joint strike missile, est la désignation commerciale du NSM vendu par Raytheon et intégrable au F‑35.

Yannick Smaldore

areion24.news