Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

vendredi 19 avril 2024

L’Autriche ébranlée par un scandale d’espionnage massif

 

Egisto Ott. Impossible désormais en Autriche d’ouvrir un journal sans croiser ce nom. Placé en détention provisoire, cet ancien membre des services de renseignement autrichiens (ex-BVT, désormais DSN) est soupçonné d’avoir revendu des informations confidentielles à la Russie durant des années. Depuis son arrestation le 29 mars, des détails dignes d’un roman d’espionnage sont publiés presque chaque jour.

M. Ott n’est pourtant pas un inconnu aux yeux de la justice. En 2017, il avait déjà fait l’objet d’une enquête: il aurait fait de nombreuses recherches portant sur des personnes d’origine russe dans des bases de données européennes. Déjà soupçonné de revendre des informations aux services de Moscou, il avait été suspendu de ses fonctions au sein du BVT, mais avait ensuite été blanchi en 2018 et intégré à l’institut de formation pour le personnel du Ministère de l’intérieur. De là, il aurait continué à informer la Russie.

Le Royaume-Uni en action

Ce sont finalement des informations des services de renseignement britanniques qui ont conduit à son interpellation. Le Royaume-Uni avait arrêté une cellule de ressortissants bulgares opérant sur son sol, soupçonnés de travailler pour la Russie via l’intermédiaire d’un autre Autrichien, Jan Marsalek, ancien numéro deux de la société de paiements Wirecard dont la faillite retentissante a fait les gros titres en 2020. Après avoir fui l’Allemagne, il serait désormais à Moscou sous une fausse identité, protégé par les services secrets russes, selon les enquêtes de plusieurs médias internationaux.

Or les enquêteurs britanniques ont saisi des messages écrits entre Jan Marsalek et les espions présumés, laissant entendre qu’Egisto Ott aurait fourni à la Russie trois téléphones portables appartenant à des hauts fonctionnaires du Ministère autrichien de l’intérieur. Lors d’une excursion en canoë sur le Danube en 2017, l’embarcation des trois hommes s’était renversée et leur téléphone avait pris l’eau. Ils les avaient alors confiés au service informatique du BVT pour tenter de les réparer. C’est là qu’Egisto Ott les aurait récupérés. L’espion présumé est aussi soupçonné d’avoir transmis l’adresse de Christo Grozev, un journaliste du site d’investigation Bellingcat, à l’origine de révélations sur les méthodes russes d’empoisonnement au Novitchok.

L’affaire provoque un séisme dans la vie politique du pays et le chancelier Karl Nehammer a été contraint de reconnaître «un problème de sécurité nationale» et «un danger pour la démocratie». «La conception autrichienne de la neutralité explique en partie sa gestion des activités étrangères sur son sol», juge Paul Schliefsteiner, spécialiste des services de renseignement. «Contrairement à la Suisse, nous n’avons pas cette volonté de défense de la neutralité. Nous n’avons pas investi de manière importante dans l’armée. Il y avait cette idée que rien ne pouvait nous arriver car nous étions neutres. Nous manquons également d’une culture de la sécurité. La politique lie cette question aux missions de la police: la protection contre les vols, les agressions… Mais il y a une certaine indifférence face aux aspects plus internationaux. Il faut voir si le chaos provoqué par l’affaire Ott va changer cela, mais je suis un peu sceptique.»

L'extrême droite visée

Le gouvernement a promis de durcir la loi sur l’espionnage qui peut paraître permissive: aujourd’hui, seul l’espionnage contre l’Autriche est répréhensible, ce n’est pas le cas s’il est dirigé contre un autre Etat ou l’une des nombreuses organisations internationales que compte Vienne. L’affaire pourrait également avoir des conséquences pour le FPÖ, le parti d’extrême droite, un temps uni par un accord de coopération avec le parti de Vladimir Poutine.

Egisto Ott entretenait des contacts avec un ancien député du FPÖ et, selon le quotidien Kronen Zeitung, les enquêteurs auraient retrouvé dans le portable de l’espion présumé le texte annoté et corrigé d’une intervention parlementaire, prononcée en 2020 par l’actuel secrétaire général du parti. Celui-ci a toutefois répondu qu’il n’était pas anormal que des tiers participent à l’élaboration des interventions. A deux mois des élections européennes, les autres partis tentent sans relâche de souligner les liens entre le FPÖ et la Russie. Reste à voir avec quel impact: en Autriche, l’extrême droite fait pour l’instant la course en tête dans les sondages.

Les autorités allemandes ont annoncé jeudi l’arrestation de deux espions russes présumés. Ils sont soupçonnés d’avoir planifié des actes de sabotage pour soutenir le «régime criminel de Poutine» dans sa guerre contre l’Ukraine.

Les deux hommes, qui ont aussi la nationalité allemande, ont été interpellés à Bayreuth, en Bavière, a indiqué le parquet antiterroriste. Dieter S. et Alexander J. sont accusés d’avoir effectué des repérages pour des cibles potentielles en vue d’attaques, dont des «installations des forces armées américaines» stationnées en Allemagne.

Vianey Lorin

laliberte.ch