Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

mardi 9 mai 2023

Klaus Barbie a été soutenu par les services de renseignements américains

 

Le Mémorial Jean Moulin célèbre les 80 ans de l’arrestation du président du Conseil national de la Résistance. C’est l’occasion de revenir sur le destin de son bourreau Klaus Barbie, le chef de la Gestapo lyonnaise, qui a fui après la guerre en Amérique du Sud avec l’aide de la CIA avant d’être traqué par les époux Klarsfeld et d’être jugé à Lyon pour crime contre l’Humanité. Celui que l’on surnommait le « boucher de Lyon » a terminé ses jours dans les geôles de la cité rhodanienne. 

Entré dans la SS dès 1935, Klaus Barbie avait du sang français, son nom viendrait d’ailleurs de « Barbier ». C’est d’ailleurs sa maitrise de la langue de Molière qui lui a valu de rejoindre la France après être passé par les Pays-Bas et le front russe. Il fut tout d’abord nommé chef de la sécurité du pays de Gex avant de devenir le chef de la section IV des services de la police de sûreté allemande basée à Lyon qui étaient chargés de lutter contre les résistants, les communistes et les Juifs. En février 1943, il est devenu le chef de la Gestapo de la région lyonnaise dont le siège se trouvait dans les bâtiments du centre Berthelot. En occupant cette fonction, il a torturé et exécuté de nombreuses personnes, dont Jean-Moulin, ce qui lui a valu le surnom de « boucher de Lyon ». C’est également sur ses ordres que 86 personnes ont été raflées le 9 février 1943 au siège de l’UGIF (Union générale des israélites de France, NDLR.) qui était située rue Sainte-Catherine. C’est encore lui qui a ordonné la rafle des 44 enfants d’Izieu le 6 avril1944. Sa cruauté et son efficacité redoutable lui avaient valu une lettre personnelle d’Himmler lui exprimant sa gratitude pour la qualité de son travail dans la recherche des criminels et la lutte contre la Résistance.    

Après guerre, Klaus Barbie a fui en Amérique du Sud avec l’aide des services de renseignements américains

À la libération, blessé, il était parvenu à rejoindre l’Allemagne où il se fit discret. Il figurait en effet sur la liste de la Commission des crimes de guerre des Nations unies et sur celle du Registre central des criminels de guerre et des suspects pour raisons de sécurité du CROWCASS (Central Registry of Wanted War Criminals and Security Suspects NDLR.), une base de données créée par les alliés en 1945 pour recenser les nazis et collaborationnistes soupçonnés d’avoir commis des crimes de guerre pendant la Seconde Guerre mondiale. 

En 1945, il n’hésita toutefois pas à organiser un réseau de résistance nazie qui sera vite infiltré. Plusieurs fois arrêté, Barbie a réussi à cacher sa véritable identité et à s’évader. 

En 1947, Barbie rencontra Joseph Merck ou Kurt Merk, ancien officier de l’Abwehr, le service de renseignement militaire allemand qui était en poste à Dijon pendant la guerre, avec qui il avait eu l’occasion de travailler. Celui-ci lui proposa alors d’entrer au réseau Peterson qu’il commandait et qui était fiancé par le CIC, le Counter Intelligence Corps, un service de renseignements de l’Armée de terre des États-Unis actif pendant la Seconde Guerre mondiale et au début de la guerre froide.

À cette époque, malgré le procès de Nuremberg, les États-Unis désireux de montrer que leur modèle était supérieur au communisme ont protégé de nombreux anciens nazis. Ce fut le cas par exemple de l’industriel allemand Alfried Krupp, qui avait été condamné à Nuremberg à 12 ans de prison pour crime contre l’humanité. Durant la guerre, dans ses usines où la main-d’œuvre était issue de camps de concentration, le taux de mortalité rivalisait avec les camps d’extermination nazie, mais il fut gracié en 1951 et a récupéré l’ensemble de ses biens pour contribuer au « miracle allemand ». 

Ce fut le cas également de Klaus Barbie. En 1947, par deux fois des agents français ont demandé à lui parler au sujet de René Hardy, celui qui aurait balancé Jean-Moulin et les autres résistants lors de leur arrestation à la maison du Dr Goujon, mais le CIC l’a protégé. En 1948, la France a commencé à demander l’extradition de Klaus Barbie, mais le Counter Intelligence Corps était intéressé par l’expertise de Barbie en matière de lutte contre la résistance communiste.

Le tribunal militaire de Lyon a engagé des poursuites contre Klaus Barbie dans le cadre des procès visant René Hardy pour sa présumée implication dans la trahison de Jean Moulin. Cependant, Barbie a été exfiltré vers l’Argentine en 1951 avec l’aide de la CIA et de Krunoslav Draganović, un prêtre catholique connu comme étant un des principaux instigateurs des réseaux d’exfiltration ayant permis aux criminels de guerre nazis de fuir l’Europe après la Seconde Guerre mondiale.

Klaus Barbie est entré illégalement en Bolivie sous une fausse identité et a finalement obtenu la nationalité bolivienne en 1957. Pendant son séjour en Bolivie, Barbie a aidé le gouvernement bolivien a traqué les opposants et a aidé à la création d’un service de renseignement. Il a également travaillé comme conseiller en matière de sécurité pour des entreprises multinationales, y compris des sociétés pétrolières. De 1965 à 1967, il aurait également travaillé pour la CIA. 

Les époux Klarsfeld 

Dans les années 70, Serge Klarsfeld et sa femme béate, aidés par deux mères d’enfants d’Izieu,  se sont lancés dans une traque de presque dix années qui aboutira à l’enlèvement et à l’extradition de Klaus Barbie vers la France en 1983. Il y sera jugé à Lyon pour crimes contre l’humanité lors d’un retentissant procès où Klaus Barbie sera représenté par Jacques Vergès.

Dans le cadre d’un reportage pour Lyon Capitale, nous avions rencontré Serge Klarsfeld en 2001 au Centre d’Histoire de la résistance et de la Déportation de Lyon alors qu’il présentait une exposition sur les enfants juifs déportés de France.

« Soit on le laissait finir sa vie tranquillement, à siroter des whiskys à La Paz et à se faire payer pour passer à la télé française, soit on le faisait juger. Nous avons fait tout notre possible pendant des années parce qu’’il fallait gagner. C’était trop important. Systématiquement, nous avons brisé la légalité quitte à faire de la prison. Nous étions trop faibles ; notre seule force était celle de nos actes. L’illégalité n’était rien à côté du scandale de l’impunité vis-à-vis de ceux qu’il avait torturés. Nous avons attendu l’occasion favorable. En 1972, nous avons tenté avec Regis Debray d’enlever Barbie en Bolivie pour le ramener en France via le Chili. Nous avions tout préparé, mais l’opération n’a pas pu se faire, car au dernier moment, Salvador Allende venait de tomber. Il a fallu attendre dix ans que la dictature chilienne tombe et que Mitterand accepte de couvrir l’opération pour qu’on parvienne à extrader Barbie, via la Guyane », nous avait-il expliqué. 

En 1987, Klaus Barbie a été condamné à la réclusion à perpétuité pour crimes contre l’humanité. Il a été incarcéré dans les prisons Saint-Paul et Saint-Joseph à Lyon et est décédé en 1991 à l’hôpital Lyon Sud situé à Pierre-Bénite… Non loin de la ville à laquelle faisait référence son funeste surnom. 

Gregory Fiori

veridik.fr