Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

jeudi 18 août 2022

La lutte au sein des services secrets algériens neutralise toute réforme

 

Les projets d’une vaste amnistie touchant à la fois les militaires emprisonnés, les oligarques de l’ère Bouteflika et les opposants ainsi que la volonté d’élargir la base politique du régime ne sont plus d’actualité en Algérie. Les chicayas incessantes au sein de l’institution militaire ont eu raison de la volonté d’une partie du pouvoir de trouver un nouveau souffle.

À la fin de février 2022, une réunion informelle est convoquée par le chef d’état-major au siège de la toute nouvelle « direction du conseil et du suivi » (DCS) dans les locaux flambants neufs situés à Douira sur les hauteurs d’Alger.  La nouvelle structure est dirigée par le général Djebbar M’hénna, un homme du tout puissant général Toufik qui avait été condamné à huit ans de prison pendant le court règne du général Gaït Salah. Le message était clair: les anciens du DRS avaient à nouveau droit de cité. Le général Chengriha, le nouveau chef d’état major, est, à l’égal de son prédécesseur, l’homme fort et rassembleur dont l’Algérie avait besoin.

La mise en place d’une coordination des services, qui existait avec le président Bouteflika sous l’autorité du général Tartag, est jugée indispensable. La situation actuelle où on assiste à des chicayas entre les services extérieurs de la DGDSE et ceux du contre terrorisme intérieur DGSI empêche toute stratégie commune, notamment dans la répression contre les opposants de la diaspora. L’heure devrait être au rassemblement pour affronter les défis sécuritaires face aux mobilisations du Hirak et aux contentieux régionaux (Maroc, Libye, Sahel).

La tentation d’une très large amnistie

Comment lutter contre les mobilisations populaires qui s’expriment dans les stades et sur les réseaux sociaux? Comment faire face aux exigences  de libération de plus de trois cent détenus politiques sans jugement? Ces questions, ce jour là, sont posées.

Une proposition d’une large amnésie, le 5 juillet, jour du 60eme anniversaire de l'Indépendance,  touchant aussi bien les officiers supérieurs que les hommes d’affaires mis en prison sous le règne du général Gaîd Salah est avancée. Nommé pour réfléchir, en vue du deuxième mandat de Tebboune, à un élargissement de la base politique du régime, le colonel Mohamed Chafik Mesbah, conseiller « des affaires réservées » à la Présidence, propose d’élargir l’amnistie à quelques dizaines d’opposants récupérables. 

Ce scénario auquel Mondafrique dans ses précédents papiers a cru tournait autour de deux idées somme toute raisonnables pour le pouvoir en place: une solution politique pour relancer l’action gouvernementale; un rassemblement des forces vives de l’armée qui vit dans l’inquiétude de nouvelles purges.

La DCSA (renseignement militaire) n’a-t-elle pas vu se succéder cinq directeurs en 2019 et en 2020? Et la DGDSE (services extérieurs) n’a-t-elle pas connu cinq patrons de janvier 2020 à juillet 2022? (voir l’encadré ci dessous)  Congédiés, beaucoup de ces hauts cadres ont été inquiétés sur le plan judiciaire. Une trentaine de généraux et une cinquantaine d’officiers sont aujourd’hui emprisonnés. De quoi fissurer l’institution militaire dont une minorité était choquée par le retour des vieilles méthodes dignes des opérations, type GIA, des années noires (1992-1998)

Splendeur et déclin du général M’henna

Le général Djebbar M’henna  croit son heure arrivée. Pour la première fois après le symposium de l’armée, le patron de la Direction du Conseil et du Suivi (DCS) assiste au Haut Conseil de Sécurité, à la droite du général Chengriha. Le colonel Boulahya, son chaouch, est placé à la tète d’une nouvelle direction dite du renseignement et d’analyse (DRA). Des opérations commando contre les opposants à l’étranger qui sont lancées échouent lamentablement. Heureusement pour le pouvoir algérien, la presse française n’a pas montré sur ces initiatives intempestives une très grande curiosité. 

Hélas pour le général M’henna, les hauts cadres du renseignement militaire de la DCSA s’opposent fermement à l’idée de mettre en place une coordination des services qui ne serait pas placée sous leur autorité. Le général Ouled Zmirli, patron de la DCSA, refuse qu’on remette en cause les prérogatives grignotées année après année qui placent son service au niveau où se trouvait, durant les belles années, l’ancien DRS du tout puissant général Toufik.

Pris en étau entre les cadres de la DCSA, bras armé de l’État Major, et les ambitions des revenants de l’ex DRS, qui jouent des cartes politiques (1), le général Said Chengriha choisit les premiers.

L’utile et l’agréable

Lors d’un conclave fermé fin mai, l’état-major décide du gel de toutes les initiatives appelant au rassemblement et se focalise sur le défilé militaire du 5 juillet. Un message clair au frère ennemi marocain. C’est que le Maroc a réalisé, du 20 au 30 juin passé, des manœuvres de grande ampleur -« africain lion 2022 »- en présence de l’armée américaine mobilisant ainsi 7500 soldats issus de dix pays, en présence, pour la première fois, d’observateurs israéliens.

L’heure est au retour aux fondamentaux sécuritaires. L’utile et l’agréable: le général Chengriha ne souhaitait pas de toute façon que des annonces médiatisées sur une amnistie générale portent ombrage à « sa » fête nationale, celle de l’armée et de son chef. Un formidable  défilé militaire était organisé, le 5 juillet, qui coutera 28 millions de dollars et qui vaudra à la ville d’Alger d’être fermée à la circulation pendant six jours. 


(1) Les Toufik boys hésitent entre la reconduction du Président Tebboune ou le choix d’un joker, qui pourrait être l’actuel ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra ou encore l’ancien ministre de la communication et porte parole de Bouteflika, Abdelaziz Rehabi.


En trois ans seulement, la DGDSE a vu défiler cinq directeurs.

  1. Nommé par Gaïd Salah, en 2019 dont il était une éminence grise, le général Kameleddine Remili, longtemps en fonction aux États Unis, cède sa place au général Mohamed Bouzit, alias « Youssef » en avril 2020.
  2. Neuf mois de fonctions seulement avant que le général « Youssef » ne soit  emprisonné.
  3. Le 21 janvier 2021, le général Youssef est donc remplacé par le général Nordine Mokri, alias Mahfoudh « Polisario », un dossier dont il a été chargé pendant une quinzaine d’années. Quinze mois à ce poste, et lui aussi est congédié.
  4. Le 14 Mai 2022, le général Mokri, alias « Polisario », est remplacé par le général Kehal Madjdoub, pur produit du DRS, qui est réhabilité Il avait écopé de trois ans de prison dans l’affaire e 2015 des coups de feu à la résidence présidentielle de Zéralda où il était chargé de la protection de Bouteflika.
  5. En juillet 2022, le général Madjdoub est remplacé par le général KEHAL qui reste seulement deux mois. Une opération de permutation le nomme à la tète de la DGSI à la place du général Rachedi, qui lui est recasé à la tète des services extérieurs.

 Nicolas Beau

mondafrique.com