Les mouvements sectaires et complotistes prennent un nouvel essor avec la crise du coronavirus, selon un récent rapport français. Sur internet, certains ont trouvé dans la pandémie l’occasion d’attirer des personnes fragilisées par le contexte sanitaire.
Loin des cérémoniaux type Temple solaire, ces dérives prennent de nouvelles formes, s'arrimant aux questions de santé et de bien-être.
Se déployant via la toile, elles proposent des explications alternatives à la réalité de la pandémie. À l'exemple de théories assimilant le virus à une manipulation à grande échelle pour instaurer une dictature ou pour implanter des puces électroniques sur les humains.
Enquêtes longues et complexes
Eric Bérot, chef de la lutte anti-sectes au sein de la police française, a décrit les acteurs de ce renouveau sectaire cette semaine dans l'émission Tout un Monde: "Parmi ces nouveaux gourous, il peut y avoir certains coachs de vie, coachs spirituels, thérapeutes psychocorporels, naturopathes, magnétiseurs, chamans, qu'on a vu fleurir durant le confinement ou qui ont pris de l'importance."
Ces activités sont légales, jusqu'au franchissement de l'article du code pénal qui punit l’abus de faiblesse d'une personne sous emprise psychologique. D'autres infractions constatées sont l'exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie, le travail non-rémunéré des disciples, la fraude fiscale et, dans les cas les plus graves, des agressions sexuelles et la mise en danger de la vie d'autrui.
L'emprise sectaire étant difficile à prouver, et les plaintes des victimes pas évidentes à obtenir, le travail de la police s'avère complexe, admet Eric Bérot. "Il n'est pas rare de voir des enquêtes durer 2 ou 3 ans, afin de recueillir un maximum de preuves, car c'est une infraction compliquée à démontrer. Il faut aussi rassurer et déculpabiliser les victimes."
Autoradicalisation des complotistes
De leur côté, les associations observent également une recrudescence des dérives sectaires avec, comme nouveauté, une autoradicalisation des individus qui tombent dans les théories du complot circulant sur le Covid-19. En résulte, comme lors d'une emprise sectaire, une rupture des liens familiaux.
Marie Drilhon, vice-présidente de l'Association de Défense des Familles et de l'Individu victimes de sectes en France, explique: "La personne qui est devenue complotiste peut parfois exercer des pressions sur les enfants, par exemple, en leur interdisant certains aliments ou la vaccination. Progressivement, le dialogue devient impossible."
En plus de cette autoradicalisation, le phénomène classique de l'emprise d'un gourou et de la communauté se fait de plus en plus souvent en ligne.
"J'ai reçu le témoignage d'un père très inquiet pour son fils, qui était au chômage et qui a passé des journées entières devant l'ordinateur en suivant un gourou adepte d'un mélange entre dialogue avec des êtres supérieurs, magie et chamanisme. Le fils a commencé à vraiment délirer."
Pour Marie Drilhon, l'anxiété et l'isolement provoqués par la crise sanitaire pousse certaines personnes à se rattacher à une communauté, et à se lier ainsi à des sites internet ou à des personnes très actives sur les réseaux sociaux.
Plus de 3000 signalements en 2020
Les cas suivis par cette association ne sont pas isolés. La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a reçu plus de 3000 signalements en 2020, dont 686 jugés sérieux. S'y trouvent certains stages survivalistes dans la nature ou encore des soins personnalisés, à des prix pouvant aller jusqu'à 100’000 euros pour un coaching individualisé.
La "Nouvelle Acropole", sa douzaine de centres en France, sa "milice intérieure" et son "service de renseignement" suscitent également l'inquiétude de la Miviludes, qui pointe du doigt "une idéologie d'extrême droite à l'opposé de la démocratie". Les Témoins de Jéhovah auraient également profité de la crise sanitaire pour "faire du prosélytisme abusif" auprès de la population par courriers et courriels.
Par ailleurs, 383 signalements concernent des églises évangéliques, dont certaines "se développent grâce à des influences étrangères, qui prônent des valeurs contraires (à celles) portées par la République française: refus de l'égalité femme-homme, diabolisation de l'homosexualité, thérapies de conversion", relève la Miviludes.
Venu des Etats-Unis et apparu il y a deux ans en France, le mouvement complotiste pro-Trump Qanon a fait l'objet de dix signalements depuis 2020, qui "constatent l'emprise et l'endoctrinement de proches".
Les gourous prospèrent ainsi sur le filon du Covido-scepticisme. L'un d'entre eux, particulièrement suivi sur YouTube, a récemment vu sa chaîne être supprimée.
Alexandre Habay
Valérie Hauert
Mouna Hussain