Après la divulgation par la DGSE d'une vidéo tournée clandestinement au cœur d'Al-Qaïda, Europe 1 fait la lumière sur les hommes et les femmes de la Direction générale de la sécurité extérieure. Ces agents infiltrés, parfois pendant des années, qui choisissent une vie placée sous le signe du secret et de la solitude pour protéger les intérêts de la France et des Français.
"Ils sont là pour protéger les intérêts de la France et des Français où que ce soit" sur la planète. Eux, ce sont les quelque 7.000 hommes et femmes de la Direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE) - dont 1.500 à 2.000 militaires, parmi lesquels "les clandestins", des infiltrés en terrain hostile. Autour de Julian Bugier, l'ancien membre de la DGSE Vincent Crouzet, le spécialiste des services de renseignements Jean-Christophe Notin, et le grand reporter d'Europe 1 Didier François, également spécialiste de ces questions, mettent la lumière sur ces hommes et ces femmes qui consacrent parfois leur vie entière à une mission, après la divulgation par la DGSE d'une vidéo tournée clandestinement au cœur d'Al-Qaïda.
L'adaptabilité, la première des qualités sur le terrain
Il y a "mille métiers à la DGSE", rappelle Vincent Crouzet. Il est ainsi possible de l'intégrer "par des concours de catégorie A, B, C ou D comme n'importe quelle administration". Mais ce n'est pas le cas des hommes de terrain qui constituent sans doute l'une des parties les plus secrètes de l'activité de la Direction générale de la Sécurité extérieure. Les hommes et les femmes, triés sur le volet, du "service action", chargés de la planification et de la mise en œuvre des opérations clandestines, sont des militaires, "mais pas des gros bras, surtout pas".
"C'est la spécificité de la DGSE et des services français en général : on met l'accent sur le renseignement humain et donc sur l'empathie, la curiosité, sur les capacités d'adaptation", justifie l'ancien membre de la DGSE. Comme le laisse suggérer la série Le Bureau des Légendes sur Canal+, la capacité à utiliser la violence n'est pas la première qualité requise pour l'infiltration et le renseignement. D'ailleurs, "la première chose que l'on fait [la DGSE, ndlr] quand on intègre du personnel militaire, c'est de les dégrossir et de les démouler", indique-t-il encore. Totalement "adaptés à tout ce que sont des techniques de guerre", ces hommes vont être formés pour en "faire de vrais clandestins adaptés au renseignement moderne". Un procédé qui peut prendre un an et demi.
"L'adaptabilité est la première des qualités" à avoir, décrypte au micro d'Europe 1 Didier François. "C'est vraiment important parce qu'il faut être capable de comprendre les autres cultures, de s'y adapter, de se mettre dans la tête de l'adversaire, voire de l'ennemi, et d'être capable de côtoyer pendant de longues périodes des gens qui vous sont a priori hostiles. C'est un travail très compliqué." "Il y a eu des infiltrés pendant 30 ans", précise de son côté Jean-Christophe Notin. "Le tout est de tenir la légende, la couverture. Plus vous y restez, plus vous êtes crédibles vis-à-vis de vos interlocuteurs."
La loyauté pour supporter une vie dure et solitaire
Mais pour rester infiltré presque une vie entière, l'adaptabilité, l'intelligence, la discrétion et le discernement ne suffisent pas. La loyauté est également indispensable, pointe Jean-Christophe Notin en évoquant un témoignage recueilli pour son livre La Guerre de l'ombre des Français en Afghanistan, un ouvrage sur les opérations clandestines tricolores dans ce pays.
"Il y a eu des infiltrés qui sont restés très longtemps dans des conditions très rustiques auprès du commandant Massoud, des Pachtounes et des Talibans. Donc si vous n'avez pas cette motivation de vous mettre dans des conditions terribles, de mettre votre vie en jeu, vous ne le faites pas." Infiltré est un métier "très ingrat, où les risques sont maximums, avec très peu de reconnaissance. Ce sont des guerriers sans nom, des guerriers de l'ombre, on ne sait pas ce qu'ils font."
Une véritable vie secrète et solitaire dans laquelle il ne faut sous aucun prétexte révéler ses activités, même à sa famille. "En général les plus proches, la femme ou le mari, sont au courant de l'appartenance à la DGSE et savent souvent grosso modo où l'infiltré va se rendre", nuance toutefois Jean-Christophe Notin. "En revanche, ils ne savent jamais ce qu'ils y font." "Il faut bien comprendre que l'une des spécificités de ce métier, c'est la solitude", renchérit de son côté Vincent Crouzet. "Tout est très compartimenté et on se retrouve souvent seul face à des situations qui sont anormales".
Un "des meilleurs services de renseignement du monde"
Alors pour pallier tous risques de fuite, notamment à un agent ennemi, la DGSE a mis en place un énorme service de surveillance interne charger de contrôler non seulement qu'un infiltré "reste parmi les purs du service", mais aussi veiller à ce qu'il ne perde pas pied. "Car la pression qui pèse trop souvent sur les épaules d'un agent de renseignement" peut être énorme. "Et tout agent peut avoir des défaillances psychologiques".
Un travail et une organisation bien spécifiques qui permettent à la DGSE de figurer "parmi les meilleurs services de renseignement du monde", selon Vincent Crouzet. Et Didier François de rappeler qu'"aujourd'hui, il n'y a que deux services au monde qui ont pu 'taper des têtes de gondoles' [terroristes] : les Américains avec Ben Laden, et les Français avec Abdelmalek Droukdal", l’émir historique d’Al-Qaïda au Maghreb neutralisé le 3 juin dernier par les forces spéciales françaises, sur la base d’un renseignement tricolore.