Deux semaines après la fin de la mission de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à Wuhan visant à rechercher l’origine de la pandémie de Covid-19, la pression monte sur la Chine. Pékin est sommé d’en dire davantage et de partager ses informations avec le monde. En parallèle, les langues commencent à se délier et parlent désormais de la possibilité d’une contamination beaucoup plus large que ce qui était dit jusqu’à présent dans la métropole chinoise dès décembre 2019.
Mercredi 17 février, c’était au tour du Royaume-Uni de décocher une flèche en direction de Pékin. Selon son secrétaire d’État aux Affaires étrangères Dominic Raab cité par la BBC, la Chine doit en faire plus et coopérer avec l’OMS afin que le monde puisse enfin comprendre ce qui s’est passé et quelles ont été les responsabilités. « Nous voulons voir une coopération complète », a réclamé le chef de la diplomatie britannique. Le monde doit savoir l’origine de la pandémie « car alors seulement la question de la responsabilité pourra être comprise et ceci aussi, franchement, pour permettre d’aller de l’avant et d’en tirer les leçons », a-t-il ajouté
La Maison Blanche est, elle aussi, montée au créneau. « Nous avons de fortes inquiétudes sur la façon dont les premiers résultats de l’enquête sur le Covid-19 ont été communiqués et des questions sur la procédure utilisée pour y parvenir, a affirmé samedi 13 février Jake Sullivan, conseiller à la Sécurité nationale de Joe Biden. Pour mieux comprendre cette pandémie et préparer la prochaine, la Chine doit rendre accessible ses données sur les premiers jours de l’épidémie. »
Au terme de leur mission de presque un mois à Wuhan, les enquêteurs de l’OMS sont repartis de Chine en laissant derrière eux plus de questions que de réponses. Ils n’ont pu en effet percer les origines de la pandémie, se bornant à déclarer à la presse que le coronavirus a probablement migré de chauves-souris vers une espèce non déterminée, avant de contaminer des humains. Ils ont toutefois jugé « hautement improbable » que le Covid-19 provienne d’un laboratoire de haute sécurité de Wuhan, infirmant ainsi nombre de théories allant en ce sens.
Cependant, Peter Ben Embarek, chef de la mission, a implicitement critiqué le peu de liberté de manœuvre laissée par Pékin aux enquêteurs à Wuhan pour tenter de comprendre l’origine de l’épidémie. « Nous voulons plus de données. Nous avons demandé plus de données, a-t-il confié à l’AFP samedi 13 février. Il y a un ensemble de frustrations, mais aussi d’attentes réalistes quant à ce qui est faisable dans un délai donné. »
« Aucune hypothèse n'est écartée concernant le lieu d'apparition », ce sont les mots du directeur général de l'OMS mais également du chef de mission, Peter Ben Embarek, envoyé en Chine pour diriger l'enquête. Dans une interview accordée à la revue Science, ce dernier explique que l'hypothèse de l'erreur de laboratoire est devenue peu plausible après la réalisation d'auditions et d'analyses d'échantillons sanguins du personnel. Cela ne veut toutefois pas dire que ce n'est pas la bonne. Mais avec les données que les experts ont maintenant en leur possession, la probabilité qu'elle le soit est considérablement réduite.
Les autres scénarios classiques sont envisagés comme la transmission via un hôte animal, mais une petite dernière vient de faire son apparition : celle de l'importation sur des produits surgelés. Une hypothèse qui a le don de brosser le gouvernement chinois dans le sens du poil. En effet, cette hypothèse suggère que le virus a été importé en Chine. Elle ne serait donc, potentiellement, pas le pays d'origine du virus. Cette hypothèse est prise au sérieux par les experts de l'OMS, notamment car le marché de Huanan dans la ville de Wuhan, lieu emblématique considéré pendant longtemps comme l'épicentre de l'épidémie, est un endroit où l'on vend beaucoup de produits de ce type.
Nous pensions que le SARS-CoV-2 ne circulait pas dans le monde avant le 8 décembre 2019, date du premier rapport de cas en Chine, dans la province de Wuhan. Les analyses des experts de l'OMS sur des patients ayant eu des symptômes semblables à la grippe avant la flambée de l'épidémie en Chine suggèrent que ce n'était pas la Covid-19. Par conséquent, il n'y aurait pas eu de circulation antérieure à décembre 2019 en Chine et donc, dans le monde. Pour autant, leur conclusion n'est pas définitive. En effet, ils proposent, dans des enquêtes ultérieures, de comparer les résultats de ces analyses sur des cas confirmés en décembre 2019 pour corroborer leur conclusion. Aussi, avec les nouvelles hypothèses concernant le lieu d'apparition du virus, rien ne peut être balayé d'un revers de main pour l'instant. Tout est encore une histoire de probabilités plus ou moins plausibles qui vont s'affiner au fil du temps et des enquêtes. Espérons simplement que les intérêts politiques ne viennent pas polluer exagérément l'investigation scientifique.
Deux jours plus tard, le même Peter Ben Embarek a déclaré lundi 15 février est allé plus loin dans une nouvelle déclaration à CNN : la mission de l’OMS a trouvé « plusieurs signes » attestant du fait que la pandémie est probablement plus répandue qu’imaginé. La même mission a en outre établi pour la première fois qu’il existait plus d’une douzaine de souches du virus circulant à Wuhan en décembre 2019.
Enfin, une correspondance récemment publiée par une équipe française dans l'European Journal of Epidemioology vient également donner du grain à moudre à l'hypothèse d'une circulation antérieure du virus en Europe, dès l'automne 2019. Cette dernière avait été émise par Michel Schmitt, médecin Chef du département d'Imagerie à l'hôpital de Colmar, après avoir observé des scanners suspects de patients malades pendant la période automnale. Les analyses - tests sérologiques détectant les anticorps spécifiques du SARS-CoV-2 y compris les anticorps neutralisants - réalisées par les scientifiques suggèrent que le virus circulait en France et en Italie depuis le début de l'automne 2019.
Cette mission de l’OMS laisse donc un goût amer quant à la volonté réelle du régime chinois de faire la lumière sur l’origine d’une pandémie qui, en date de ce jeudi 18 février, avait contaminé plus de 109 millions de personnes et tué 2,42 millions d’autres à travers la planète.
Cela n’empêche pas la Chine de mener une diplomatie du vaccin très active. Pékin a exporté quelque 220 milliards de masques chirurgicaux en 2020, selon les chiffres du ministère chinois du Commerce, soit 40 masques par être humain vivant en dehors du pays. Premier État touché par le coronavirus, la Chine s’était rapidement imposée comme le principal fabricant de masques au monde, Pékin n’hésitant pas à en user sur le plan diplomatique avec des dons très médiatisés à l’étranger. La Chine a par ailleurs exporté 2,3 milliards de combinaisons de protection et un milliard de trousses de dépistage contre le virus, a précisé devant la presse le vice-ministre du Commerce Qian Keming. Il s’agit pour la Chine d’une « contribution importante à la lutte mondiale contre l’épidémie », s’est-il félicité le 29 janvier.
Mais qu’on se le dise, si Pékin a certes fait don d’une partie de ces masques et de ces matériels sanitaires (plusieurs millions au total), pour la très grande majorité d’entre eux, elle les a en réalité vendus, en retirant même un commerce juteux.
Il reste qu’après la diplomatie du masque, la Chine s’est dorénavant engagée dans une offensive politique et diplomatique très agressive de dons de vaccins, exportés vers 22 pays jusqu’à présent. Du Zimbabwe à la Hongrie, en passant par le Maroc ou l’Algérie, elle espère ainsi conquérir les cœurs mais aussi les sympathies de l’opinion publique à travers le monde.
C’est ainsi qu’en date du 15 février, la Chine avait expédié un total de 46 millions de doses de vaccins élaborés sur le sol chinois par les laboratoires Sinovac et Sinopharm. c’est davantage que le nombre de vaccins inoculés à la population chinoise (40,52 millions), selon les chiffres du South China Morning Post ! À cette date, une proportion de seulement 3 doses de vaccins pour 100 habitants ont été administrée en Chine, contre plus de 15 doses aux États-Unis, presque 22 doses pour 100 habitants au Royaume-Uni et même 70 doses en Israël.
Priorité donc est donnée par les autorités chinoises à leur politique de dons de vaccins sur les soins à la population chinoise ! Il est vrai que très tôt, le président chinois Xi Jinping avait promis de faire des vaccins chinois un « bien commun au service de l’humanité ».
Ce mercredi 17 février, le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi ne s’est pas privé de critiquer la politique des pays occidentaux de stocker sur leur sol une grande quantité de doses, entraînant ainsi un approvisionnement insuffisant pour les pays pauvres. La coopération mondiale sur la pandémie doit être « à somme nulle », a-t-il lancé, ajoutant que la Chine n’avait, pour sa part, aucune intention géopolitique cachée dans sa politique de dons de vaccins.
Pierre-Antoine Donnet