Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

mercredi 18 novembre 2020

Le MI6 derrière la deuxième guerre du Haut-Karabakh ?

 

“La Grande-Bretagne recommence le Grand Jeu”, titre le site russe d’analyse stratégique Fond Strateguitcheskoï Koultoury (FSK). Dans la presse russe et arménienne, un nom est évoqué de plus en plus souvent : celui de Richard Moore, 57 ans, patron du MI6 (Military Intelligence section 6, le service des renseignements extérieurs britanniques) depuis juillet 2020. Diplômé d’Oxford, diplomate chevronné, ancien ambassadeur de la reine en Turquie (2014-2017), ami de trente ans du président turc Recep Tayyip Erdogan, polyglotte parlant couramment le turc, et antirusse comme il se doit, Moore est “un personnage tout ce qu’il y a de plus sérieux”, écrit FSK.

Et il pourrait bien être le véritable artisan et le principal bénéficiaire potentiel de l’élan expansionniste turc, à en croire les analyses.

“Des signes sinistres de panturquisme renaissent dans la politique de la ‘nouvelle’ Turquie d’Erdogan, dont les ambitions géopolitiques semblent soutenues par les adeptes et les héritiers du colonialisme britannique”, confirme le journal arménien Noev Kovcheg. Et de rappeler que, dès la nomination de Moore à la tête de MI6, de nombreux experts russes “auguraient une déstabilisation sur le pourtour des frontières” de la Russie.

Londres a voté contre la résolution sur le cessez-le-feu à l’ONU

Le journal arménien Zham insiste sur la nécessité de révéler au grand jour “le sens réel de l’activité de toutes ces organisations financées par Londres en Arménie”. Le titre rappelle que le Royaume-Uni a été le seul pays du Conseil de sécurité des Nations unies à bloquer, le 5 novembre, une résolution sur le cessez-le-feu dans le Haut-Karabakh.

Le Royaume-Uni est “parmi les instigateurs de la deuxième guerre dans le Karabakh”, estime, quant à elle, l’orientaliste russe Karina Guévorguian dans les pages du journal arménien Novostink. D’ailleurs, alors que les hostilités entre l’Azerbaïdjan et le Haut-Karabakh ont été déclenchées le 27 septembre par Bakou, le Parlement britannique adoptait en octobre une résolution condamnant “l’acte d’agression de l’Arménie”, se réjouissait alors le site azerbaïdjanais Media.

Le Karabakh, prorusse depuis deux siècles, brouille depuis lors les cartes des Britanniques : c’est à partir de la libération du Karabakh du joug perse (la région était alors un khanat perse, royaume dirigé par un khan) et sa prise dans le giron impérial russe en 1805 que “la Russie a pu étendre son pouvoir sur tout le Caucase, puis sur le Turkestan [ancien nom de l’Asie centrale actuelle]”, entravant ainsi l’expansion coloniale britannique en Asie, rappelle l’experte. “La Turquie néo-osmanienne et néopanturquiste pourrait bien être considérée par Londres comme une plateforme pour déstabiliser le Caucase du Sud et évincer la Russie”, renchérit l’analyste.

La Turquie, un “bélier” de Londres pour avancer ses pions

“Il paraîtrait que Londres a fait de la Turquie un ‘bélier’ pour avancer ses pions, et Erdogan est tout à fait satisfait que la Grande-Bretagne soutienne son projet”, explique FSK.

L’ancien Premier ministre arménien Grant Bagratian, interrogé par FSK, ne mâche pas ses mots :

Ce qui se passe autour du Haut-Karabakh est une opération des services spéciaux britanniques et de Richard Moore, ami personnel du prince Charles.”

Mais le prince Charles a un autre bon ami : le président de l’Arménie, Armen Sarkissian, citoyen britannique. Bien que son rôle soit honorifique (l’Arménie est une république parlementaire depuis 2018), Sarkissian, investi en avril 2018, “a été le premier signe annonciateur de la révolution [‘de couleur’, financée par les structures du milliardaire américain George Soros]”. La rue a propulsé Nikol Pachinian, antirusse, à la tête de l’État arménien.

Cependant, Pachinian a signé l’accord tripartite de cessez-le-feu sous l’égide de Moscou, le 10 novembre. Il n’était donc pas “totalement contrôlé par l’Occident” et, au dernier moment, “il a pris une décision inattendue pour Moore et Erdogan”. Pas étonnant que deux jours après la signature de l’accord tripartite Moore se soit rendu à Ankara. Officiellement, pour rencontrer le porte-parole d’Erdogan, Ibrahim Kalyn, ce qui serait une “désinformation de la propagande turque pour mieux cacher le fait que Moore était venu voir Erdogan en personne”, croit comprendre le site d’information russe Regnum.

Et les soldats russes sont entrés dans le Karabakh…

Dans le Karabakh, l’objectif de “l’alliance turco-britannique” était de “régler une fois pour toutes la ‘question du Karabakh’, et de stationner à la frontière de l’Arménie pour approcher au maximum de la zone d’influence russe dans le Caucase”, poursuit FSK.

Mais au dernier moment, “quelque chose s’est enrayé, et c’est le soldat russe qui est entré dans le Haut-Karabakh”. Résultat, selon FSK : “Le succès de la stratégie britannique est limité : les troupes russes stationnent dans le Haut-Karabakh, et ce, sans le moindre [observateur ou Casque bleu] turc à l’horizon.” L’efficacité du “bélier turc” “devient ainsi sujette à caution”.

“Erdogan ne reconnaît qu’un seul droit, celui de la force, et il est fort du soutien discret mais efficace de la Grande-Bretagne”, croit savoir Novostink. Efficace, vraiment ? Le turcologue russe Stanislav Tarassov, interrogé par le journal en ligne russe Pravda, estime que le tandem Royaume-Uni – Turquie a perdu la partie : “Leur implantation dans le Caucase du Sud a échoué.”

Alda Engoian