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mardi 17 novembre 2020

Biden au défi de la Chine

 

Le 15 novembre, sous l’impulsion de la Chine, quinze pays de la région Asie-Pacifique ont signé un accord de libre-échange, le Partenariat régional économique global (RECEP, Regional Comprehensive Economic Partership). C’est l’accord commercial le plus important au monde, les pays signataires représentant 30 % du PIB mondial, 27 % du commerce de la planète et 2,2 milliards d’habitants. Une victoire de taille pour Pékin face à Washington. La future administration Biden ne compte pas se laisser faire.

Les États signataires sont les dix pays de l’Asean (Indonésie, Thaïlande, Singapour, Malaisie, Philippines, Vietnam, Birmanie, Cambodge, Laos et Brunei) auxquels s’ajoutent la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. L’Inde, préoccupée par la montée en puissance de la Chine, a préféré rester à l’écart. Les États-Unis sont donc exclus de cette initiative majeure qui vient démontrer, si besoin en était, que le centre de gravité économique du monde s’est bel et bien déplacé vers l’Asie.

L’avènement de cette nouvelle zone de libre-échange suscite bien des interrogations sur l’engagement des États-Unis en Asie et pourrait bien cimenter le rôle dirigeant de la Chine dans une région-clé où se trouvent les économies aux taux de croissance économique les plus élevés de la planète. Les Chinois se sont en réalité engouffrés dans le vide laissé par les Américains qui, sur décision de Donald Trump, avaient brutalement quitté le 23 janvier 2017 le Partenariat transpacifique (Trans-Pacific Partnership, TPP) qu’ils avaient eux-mêmes créé sous l’administration de Barack Obama.

Le Premier ministre chinois Li Keqiang n’a pas boudé son plaisir, déclarant que cet accord « apporte un rayon de lumière et d’espoir au milieu des nuages », ajoutant : « C’est une victoire du multilatéralisme et du libre-échange », une pique à l’égard de l’Amérique de Donald Trump repliée sur elle-même, qui s’est précisément éloignée du multilatéralisme.

La signature de cet accord vient sceller huit années de difficiles négociations entre des pays qui entretiennent parfois une profonde animosité, dont tout particulièrement la Chine et le Vietnam ou le Japon et la Corée du Sud. Il illustre indéniablement une victoire de la diplomatie chinoise, Pékin ayant désormais les coudées encore plus franches pour prendre l’ascendant sur une vaste région dont il espère bien exclure les États-Unis.

Mais ces derniers n’ont certainement pas dit leur dernier mot. Gageons que la rivalité sino-américaine va s’aiguiser encore avec l’arrivée le 20 janvier prochain de la prochaine administration du président-élu Joe Biden pour qui la Chine sera l’une des priorités.

Dans des propos tenus deux semaines avant les élections du 3 novembre, Joe Biden a laissé entrevoir qu’il entendait bien conserver des liens étroits avec Taïwan, « l’île rebelle » que Pékin affirme vouloir réunifier avec le continent, au besoin par la force.

Washington a l’intention de « reconstruire » ses relations avec l’ancienne Formose et « cela inclut un approfondissement de nos liens avec Taïwan, une démocratie solide, une économie majeure, une force puissante dans le domaine des technologies et un exemple éclatant de comment une société ouverte peut efficacement venir à bout du Covid-19 », a promis Joe Biden dans un article publié par le journal américain de langue chinoise World Journal.

L’arrivée au pouvoir de l’ancien vice-président de Barack Obama suscite d’autre part des espoirs nouveaux en Europe, avec la perspective d’un retour des États-Unis au multilatéralisme face à la puissance montante chinoise.

Dans une tribune publiée par Le Monde le 17 novembre, le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian et le ministre fédéral allemand des Affaires étrangères Heiko Maas déclarent que l’élection de Joe Biden sera l’occasion de renouer l’axe transatlantique euro-américain pour mieux « faire front » face à la Chine. Rien de moins !

« Nous savons que la Chine restera, sous l’administration Biden, le point focal de la politique étrangère américaine, soulignent les chefs de la diplomatie française et allemande dans des propos d’une franchise inhabituelle à l’égard de Pékin. Pour nous, elle est tout à la fois un partenaire, un concurrent et un rival systémique. Nous avons donc intérêt à faire front commun pour répondre à sa montée en puissance avec pragmatisme, tout en conservant les canaux de coopération qui nous sont nécessaires pour faire face, avec Pékin, aux défis globaux que sont la pandémie de Covid-19 et le changement climatique. »

Pierre-Antoine Donnet

asialyst.com