Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

jeudi 5 novembre 2020

Attentat de Vienne : 2 arrestations en Suisse

 

Les deux jeunes hommes suisses arrêtés mardi près de Zurich «connaissent» l’attaquant de Vienne, a indiqué mardi soir le ministère fédéral de la Justice.

«Ils se connaissent et maintenant on mène l’enquête pour savoir comment ils étaient en contact», a précisé à l’AFP Philipp Schwander, porte-parole du ministère.

La ministre de la Justice Karin Keller-Sutter a évoqué l’affaire au cours d’une table ronde organisée par le quotidien régional St. Galler Tagblatt.

Selon le quotidien, la ministre a indiqué que «les trois hommes se sont aussi rencontrés physiquement». Une citation que le porte-parole n’a pas pu confirmer.

Toujours, selon le quotidien, la ministre a aussi déclaré que les deux jeunes gens étaient des «collègues» de l’attaquant de Vienne, mais sans élaborer.

Les deux jeunes gens de 18 et 24 ans «ont été arrêtés par une unité spéciale à Winterthour, non loin de Zurich, mardi après-midi en coordination avec les autorités autrichiennes», a indiqué la police cantonale de Zurich dans un communiqué.

Winterthour avait déjà défrayé la chronique de l’islamisme radical. En 2017, l’imam éthiopien de la mosquée An’Nur avait été inculpé pour avoir appelé au meurtre de musulmans non pratiquants.

A l’origine de l’attaque qui s’est déroulée lundi soir en plein coeur de la capitale autrichienne, près d’une importante synagogue et de l’Opéra, un «sympathisant» de 20 ans du groupe jihadiste Etat islamique qui avait tenté de rejoindre la Syrie.

Originaire de Macédoine du Nord, Kujtim Fejzulai, tué lundi soir par la police, avait été condamné en 2019 à de la prison en Autriche mais il a été libéré de manière anticipée.

«L’objectif principal est de faire toute la lumière» sur leur éventuelle implication, a indiqué la police cantonale zurichoise, qui travaille en étroite collaboration avec la police fédérale helvétique et la police autrichienne.

Le Service de renseignement de la Confédération (SRC) a indiqué à l’AFP ne disposer «à l’heure actuelle d’aucun indice concret concernant d’éventuels attentats en Suisse».

Toujours selon la même source, la menace terroriste «reste élevée» en Suisse. Ce niveau avait été déclaré en 2015 après les attentats en France.

Contrairement à d’autres pays européens, la Suisse ne dispose pas de système de degré d’alertes.

La Suisse n’a pas connu d’attaques d’extrémistes jihadistes d’envergure, comme cela a pu être le cas chez les voisins français.

Mais le 12 septembre à Morges (ouest), un jeune turco-suisse, connu des services de police et libéré pour des raisons psychiatriques, a poignardé un homme choisi au hasard dans la rue.

Les services de renseignement avaient évoqué un homicide à caractère «terroriste».

Le parquet fédéral mène l’enquête sur ce meurtre.

La présidente de la Confédération, Simonetta Sommaruga, a exprimé mardi sa «solidarité avec l’Autriche et la France».

«La Suisse condamne fermement le terrorisme et tout acte de violence quel qu’il soit», a-t-elle souligné. «Nos valeurs démocratiques de liberté et de tolérance, fondées sur le droit, doivent s’élever en rempart contre la barbarie».

Le BVT savait que l'assaillant prévoyait d'acheter des munitions

Le ministre de l’Intérieur autrichien a annoncé, mercredi, que les services autrichiens du renseignement (BVT) avaient été informés par la Slovaquie d’un projet d’achat de munitions par l’auteur de l’attaque qui a fait quatre morts lundi soir à Vienne.

« Au cours des dernières heures, des informations sont apparues, montrant que quelque temps avant l’attaque terroriste, les services secrets slovaques avaient informé le BVT au sujet de l’assaillant. Ils avaient indiqué qu’il voulait se procurer des munitions », a déclaré Karl Nehammer lors d’une conférence de presse.

Face à cette faille dans le système du renseignement autrichien, le ministre de l’Intérieur a rejeté la faute sur son prédécesseur d’extrême droite en l’accusant d’avoir sérieusement nui par son action aux services de renseignement (BVT). « Mon prédécesseur Herbert Kickl a causé des dommages durables, pour ne pas dire qu’il a détruit le BVT », a déclaré Karl Nehammer devant la presse.

Autre question qui se pose: comment K. F., «soldat du califat», a-t-il pu échapper au suivi des autorités judiciaires, dont il était connu? Car cet Autrichien, dont les parents sont originaires de Macédoine du Nord, avait été condamné à de la prison en avril 2019 pour avoir essayé de rejoindre les rangs des combattants djihadistes en Syrie mais il avait été relâché en décembre, de manière anticipée.

Intégré dans un programme de «déradicalisation», Kujtim Fejzulai avait réussi à «tromper» les personnes chargées de son suivi, a regretté le ministre de l’Intérieur Karl Nehammer. Ce n’était «certainement pas une bonne décision», a fustigé le chancelier conservateur Sebastian Kurz.

Ce «terrible drame aurait pu avoir lieu même si l’attaquant avait purgé la totalité de sa peine, jusqu’en juillet 2020», a toutefois fait remarquer l’association DERAD chargée de ce programme. L’agresseur «n’a à aucun moment été présenté comme déradicalisé», a-t-elle insisté dans un communiqué, tout en disant ne pas posséder les moyens de surveillance dont est équipé le renseignement autrichien. «Personne ne l’aurait cru capable d’un tel acte», a réagi auprès de l’AFP son avocat Nikolaus Rast, qui l’avait défendu lors de son procès en avril 2019.

Les enquêteurs, qui ont saisi «une grande quantité de matériel» au cours de perquisitions, cherchent par ailleurs à déterminer d’éventuelles complicités. Ils interrogeaient toujours mercredi 14 personnes, «âgées entre 18 à 28 ans, issues de l’immigration et certaines n’étant pas des citoyens autrichiens» selon le ministre.

Dans une interview à la presse allemande, Sebastian Kurz a appelé l’Union européenne à mieux lutter contre «l’islam politique», une «idéologie» qui représente un «danger» pour le «modèle de vie européen».

Dans cette optique, il a dit réfléchir à des «initiatives communes» avec le président français Emmanuel Macron. Attendu à Vienne lundi, sa visite a finalement été remplacée par une visioconférence pour des questions d’agenda liées à la gestion de la crise sanitaire. Pour les experts, ce n’était qu’une question de temps avant que l’Autriche, vivier de «toute une nébuleuse islamique» avec de nombreux candidats au djihad, ne soit prise pour cible à son tour.

La Suisse romande est plus concernée par le terreau djihadiste

Le terreau pour la radicalisation islamiste existe en Suisse, estime la procureure fédérale Juliette Noto dans une interview publiée mercredi par la «Neue Zürcher Zeitung». Selon elle, la Suisse romande est plus concernée par le djihadisme que la Suisse alémanique.

La scène islamiste est toutefois hétérogène et peu organisée, constate la magistrate au regard des procédures pénales. Il existe une multiplicité d’acteurs avec des visions et des objectifs très différents, précise la procureure en charge de plusieurs dossiers liés au djihadisme. En outre, «il faut faire la distinction entre les représentants de l’Islam politique et ceux qui sont prêts à recourir à la violence».

Selon Mme Noto, la différence entre Suisse romande et alémanique concerne la dangerosité des personnes impliquées et leurs liens avec l’étranger. «La scène romande est mieux connectée avec l’étranger et plus homogène. Il existe un lien étroit avec des réseaux en France et en Belgique», explique-t-elle.

Ces liens se sont développés historiquement. Il s’agit de personnes qui sont actives depuis les années 1990 et qui ont eu une influence décisive sur la génération plus jeune de djihadistes.

Ces raisons, ajoutées à la dangerosité des acteurs, expliquent que pratiquement tous les voyageurs du djihad qui ont cherché à rejoindre les territoires du groupe Etat islamique (EI) viennent de Suisse romande et que les réseaux qui y sont basés continuent à soigner ces liens.

Un foyer à Winterthour

La scène alémanique, elle, est plus tournée vers l’Allemagne et plus hétérogène, ce qui peut s’expliquer par le fait que la scène islamiste est assez jeune outre-Rhin. Il n’y a pas de liens solides avec les réseaux établis en Allemagne, relève Mme Noto.

La procureure fédérale a expliqué l’accumulation des «voyages du djihad» depuis Winterthour (ZH) par un foyer autour de la mosquée An-Nour et de fortes personnalités locales, à l’instar d’un homme condamné l’été dernier par le Tribunal pénal fédéral. Grâce à son premier voyage en Syrie, il a gagné l’estime des islamistes et a encouragé d’autres personnes à prendre la route du djihad.

Les enquêtes ont montré que certains Suisses avaient assumé des fonctions dirigeantes au sein de l’EI. Il s’agit de «très gros poissons», qui sont actuellement en détention au Kurdistan syrien, a-t-elle relevé.

Juliette Noto relève toutefois que la Suisse n’a pas de scène islamiste comme celle qui s’est développée durant des années en France. La Confédération n’a pas non plus de passé colonial et ne doit pas faire face au ressentiment qui lui est lié, souligne-t-elle.

ATS