L'assassinat de Samuel Paty claque comme une alerte de plus. Le service du renseignement territorial des Yvelines, en charge de la surveillance de la radicalisation, n'a pas anticipé la tragédie. Par ailleurs, quelques mois plus tôt, le patron de ce service avait été remercié.
"Une magistrale erreur d’analyse. Malgré la plainte déposée par un parent d’élève contre le professeur d’histoire-géo de Conflans, Samuel Paty, le service de renseignement territorial des Yvelines n'a pas tilté du danger qui guettait. Dans une note produite quelques jours avant l'attentat, il avait même estimé que l’affaire était « en voie d’apaisement ».
Sans doute un signe que le RT, en charge de la surveillance des territoires, doit adapter son logiciel. Mais les élus locaux ont aussi un rôle à jouer, quitte à s’asseoir sur de vieux arrangements électoraux. Exemple dans les Yvelines.
Il y a trois ans, un commissaire précédé d'une bonne réputation avait pris la direction du renseignement territorial du 78 : Jean-Luc Taltavull. A son arrivée dans ce territoire étendu entre Trappes au Sud et Mantes-la-Jolie au Nord, le commissaire décide de demander des renforts - il en obtient une dizaine - mais surtout de changer de logiciel. Il met en place des binômes, des formations à l’islam radical, et impose à ses troupes d’enregistrer systématiquement tous les faits déclarés, petits ou plus importants. « Avant lui, il n’y avait aucune uniformité dans les pratiques, il a changé d’état d’esprit », se souvient l’un de ses hommes.
70 LIEUX DE PRIÈRE MUSULMANS ET 500 FICHÉS S
En 2017, le département des Yvelines compte 70 lieux de prière musulmans et 500 fichés S. Deux cents sont en surveillance de la DGSI et 300 sous le contrôle du SDRT 78. Sous l’impulsion du commissaire Taltavull, le service met les bouchées double sur la surveillance des milieux islamistes… mais, très vite, dérange. Un autre obstacle intervient, celui des lâchetés locales.
Fin 2019, après deux ans en fonction, le commissaire Tastavull a le sentiment de gêner certains. « Les élus locaux sont peu enclins à travailler avec la police sur les phénomènes de radicalisation, confie un policier. Bien sûr, ils veulent être au courant discrètement de ce qui se passe chez eux, mais sans jamais faire de vague, de peur que cela porte préjudice à l’image de leur ville, et aussi que cela leur coute des voix aux élections ».
En juin 2018, dans une note confidentielle à sa hiérarchie, Jean-Luc Tastavull évoque la brutale éviction du secrétaire général du conseil des institutions musulmanes des Yvelines au profit d’élus plus « rigoristes » soutenus par des élus locaux et notamment par Pierre Bédier, président du conseil départemental, ancien maire de Mantes-la-Jolie (*)… Le document policier fait état de la campagne d’intimidation menée sur cet animateur musulman réputé modéré, avec en toile de fond des soutiens électoraux promis par ses rivaux. « Un an plus tard, le commissaire Tastavull a été viré par Jean-Jacques Brot (*), le préfet des Yvelines, officiellement suite à des incidents à Chanteloup-les-Vignes», se souvient un policer local, très amer par le limogeage de son ancien chef. « A quatre mois des municipales de mars 2020, on lui a reproché ne pas avoir fait remonter au préfet une note sur une possible flambée de violences à Chanteloup, raille cet enquêteur, mais la vérité c’est que la lutte contre l’islamisme radical ne plaisait pas à tout le monde. »
D’ailleurs, selon cet enquêteur, le préfet des Yvelines, en 2020, a réclamé au RT la surveillance du milieu… évangéliste (*). « On a cru rêver », soupire cette source, dénonçant une forme « d’immobilisme général ». (..)
(*) Pierre Bédier et Jean-Jacques Brot n'ont pas souhaité s'exprimer auprès de Marianne.
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