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vendredi 2 octobre 2020

Envoi de « jihadistes » au Haut-Karabakh : l’Otan doit « regarder en face » les provocations de la Turquie

 


« Retenez-moi ou je fais en malheur ». Telle est, en susbtance, la teneur du message que l’Union européenne a envoyé à Ankara au sujet de ses forages jugés illégaux dans les eaux de la République de Chypre.

« Nous voulons une relation positive et constructive avec la Turquie, ce qui serait aussi dans l’intérêt d’Ankara. Mais cela ne sera possible que lorsque les provocations et les pressions cesseront. Nous attendons donc de la Turquie qu’elle s’abstienne de toute action unilatérale. Si elle reprend de telles opérations, l’Union européenne fera usage de tous les instruments [comprendre : des sanctions, ndlr] », dont elle dispose », a en effet prévenu Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, lors d’un sommet réunissant à Bruxelles les chefs d’État et de gouvernement des 27 États membres, le 1er octobre.

Auparavant, le président français, Emmanuel Macron, s’était montré ferme. « La solidarité à l’égard de la Grèce et de Chypre […] est non négociable », avait-il dit, dès son arrivée à Bruxelles. « Quand un État membre de l’UE est attaqué, menacé, lorsque ses eaux territoriales ne sont pas respectées, il est du devoir des Européens de se montrer solidaires », avait-il ajouté. Un propos nuancé par la chancelière allemande, Angela Merkel, pour qui « l’Union européenne a beaucoup d’intérêt à développer une relation réellement constructive avec la Turquie, malgré toutes les difficultés. » La position allemande a donc prévalu.

En revanche, les 27 membres de l’UE ont su se mettre d’accord pour sanctionner la Biélorussie. Ou du moins une quarantaine de responsables, accusés d’avoir jouer un rôle dans la répression des manifestations contestant la réelection d’Alexandre Loukachenko [qui ne figure cependant pas sur la liste des personnalités sanctionnées]. Mais c’est une autre affaire.

Pourtant, les sujets de contentieux avec la Turquie ne manquent pas : instrumentalisation de la question migratoire, menace sur les intérêts de la Grèce et de la République de Chypre, offensive contre les milices kurdes syriennes, pourtant partenaires de premier plan dans la lutte contre l’État islamique [EI ou Daesh], intervention en Libye et, désormais, envoi de combattants auprès des forces azerbaïdjanaises, engagées depuis le 27 septembre au Haut-Karabakh, un territoire soutenu par l’Arménie.

Et c’est d’ailleurs ce dernier point que le président Macron a évoqué avec insistance à Bruxelles. Dans un premier temps, il a confirmé que des informations selon lesquelles la Turquie aurait recruté des combattants parmi les groupes rebelles syriens qu’elle soutient pour les envoyer ensuite en Azerbaïdjan.

« Nous disposons d’informations aujourd’hui, de manière certaine, qui indiquent que […] des combattants de groupes jihadistes, en transitant par Gaziantep, [ont rejoint] ce théâtre d’opérations du Haut-Karabakh », avait-il dit, y voyant un « fait très grave, nouveau, qui change aussi la donne. »

Plus tard, le président français est revenu à la charge, en adoptant un ton plus mordant. Ainsi, a-t-il d’abord précisé, « 300 combattants jihadistes » auraient quitté la Syrie pour rejoindre l’Azerbaïdjan via la Turquie.

« Une ligne rouge est franchie. Je dis que c’est inacceptable, et j’invite l’ensemble des partenaires de l’Otan à regarder simplement en face ce qu’est un comportement de membre de l’Otan : je ne pense pas que ça en relève », a lancé Emmanuel Macron, devant la presse. « D’autres contingents se préparent, à peu près de la même taille […] Une ligne rouge est franchie […] c’est inacceptable », a-t-il insisté.

« J’appellerai le président Erdogan dans les tout prochains jours parce qu’en tant que coprésident du groupe de Minsk je considère que c’est la responsabilité de la France de demander des explications », a également indiqué M. Macron.

Pour rappel, au sein de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe [OSCE], le groupe de Minsk, formé par la France, la Russie et les États-Unis, est le médiateur entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie sur la question du Haut-Karabakh.

En attendant, et malgré les appels au cessez-le-feu lancés par la communauté internationale [à l’exception de la Turquie, qui soutient et encourage l’Azerbaïdjan], les combats se poursuivent. Et ils donnent lieu à des communiqués contradictoires selon qu’ils sont publiés par l’un ou l’autre camp.

En tout cas, dans un entretien donné au quotidien Le Figaro, le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian, a accusé la Turquie de participer directement au conflit. « Ils [les Azerbaïdjanais, ndlr] utilisent des drones et des F-16 turcs pour bombarder des zones civiles au Haut-Karabakh. […] Il y a des preuves que des commandants militaires turcs sont directement impliqués dans la direction de l’offensive. Ankara a fourni à Bakou des véhicules militaires, des armes, ainsi que des conseillers militaires. Nous savons que la Turquie a formé et transporté des milliers de mercenaires et terroristes depuis les zones occupées par les Turcs dans le nord de la Syrie », a-t-il affirmé.

Par ailleurs, et preuve de la complexité de cette affaire, bien que la population azerbaïdjanaise est majoritaitement chiite, Téhéran soutient Erevan tandis qu’Israël, qui n’a pourtant pas de bonne relations avec Ankara, vend des armes… à l’Azerbaïdjan. Ce qui donne lieu à des tensions diplomatiques entre l’Arménie et l’État hébreu.

« Nous considérons comme inacceptables les livraisons par Israël d’armes ultramodernes à l’Azerbaïdjan, surtout au moment de l’agression azerbaïdjanaise soutenue par la Turquie », a fait valoir la diplomatie arménienne, après le rappel de son ambassadeur alors en poste à Tel-Aviv.

« Israël regrette la décision de l’Arménie de rappeler l’ambassadeur arménien en Israël pour des consultations. Israël attache de l’importance à sa relation avec l’Arménie et considère l’ambassade arménienne en Israël comme un outil important pour promouvoir des relations aux bénéfices de nos deux peuples », a ensuite réagi le ministère israélien des Affaires étrangères.

Selon l’Institut international de recherche de la paix de Stockholm [Sipri], Israël a été le premier fournisseur étranger connu d’équipements militaires à l’Azerbaïdjan entre 2017 et 2019, avec des échanges supérieurs 375 millions de dollars.

La Russie appelle au retrait immédiat des mercenaires venus de Syrie et de Libye

Même si la Turquie s’en défend, les preuves d’une implication auprès des forces azerbaïdjanaises de mercenaires recrutés par ses soins en Syrie parmi les groupes qui lui sont acquis s’accumulent. Et plusieurs médias, dont l’Express en France et The Guardian au Royaume-Uni, ont produits des témoignages ne laissant guère de place au doute.

Ainsi, le quotidien britannique a rapporté, le 30 septembre, qu’il avait été proposé des salaires de 10.000 livres turques par mois [1.100 euros environ] à des membres de groupes armés syriens implantés dans la région d’Idleb pour tenir des postes d’observation et surveiller des installations pétrolières et gazières en Azerbaïdjan. Mais, visiblement, certains vont au-delà de ces tâches puisque plusieurs d’entre-eux ont perdu la vie dans les combats qui opposent, depuis le 27 septembre, les forces azerbaïdjanaises à celles du Haut-Karabakh, ces dernières étant soutenues par l’Arménie.

En effet, The Guardian a publié le témoignage d’un certain Omar Abdo, lequel a affirmé que son cousin, Mohammed Shaalan, originaire de la localité d’al-Atarib, venait d’être tué en Azerbaïdjan, où il était arrivé le 20 septembre. « Nous ne connaissons pas les circonstances de sa mort et on nous a dit qu’il était difficile de ramener son cadavre pour le moment, mais ils essaieront », a-t-il dit. Deux autres cas ont été documentés par le journal, dont ceux de Sadam Aziz Azkor et de Hussein Talha.

D’après l’Express, depuis la mi-septembre, plus d’un milliers de combattants recrutés en Syrie par la Turquie auraient été acheminés en Azerbaïdjan. Ce qui suggère que Bakou préparait une opérations militaire en direction du Haut Karabakh depuis un certain temps. Et cela remet en cause son affirmation selon laquelle ses forces armées auraient réagi à une attaque lancés par des troupes soutenues par l’Arménie.

Cela étant, l’ampleur de ce déploiement reste à préciser. Si l’Express a évoqué l’envoi d’un millier de combattants syriens, l’Observatoire syrien des droits de l’Homme [OSDH] parle de 320 mercenaires, recrutés principalement parmi les Tukmènes. « Ils se sont rendus en Azerbaïdjan sous prétexte de ‘défendre la cause nationale’ tandis que les factions arabes soutenues par la Turquie ont refusé d’envoyer des combattants », affirme l’organisation.

La Russie, qui dispose d’une base militaire en Arménie, doit surveiller de près les mouvements d’avions affrétés par des société privées de sécurité turques pour acheminer ces mercenaires en Azerbaïdjan. D’où l’appel lancé par le ministère russe des Affaires étrangères, le 30 septembre.

« Selon des informations reçues, des combattants de groupes armés illégaux sont déplacés vers la zone de conflit du Haut-Karabakh depuis la Syrie et la Libye pour prendre directement part aux hostilités », a d’abord affirmé la diplomatie russe, en référence aux organisations rebelles syriennes, qualifiées généralement de « terroristes » par Moscou et Damas.

Pour rappel, la Turquie a également envoyé en Libye des combattants recrutés dans les rangs des groupes syriens qui lui sont affiliés. Si l’on en croit Moscou, ces derniers auraient donc été redéployés vers l’Azerbaïdjan.

« Nous sommes gravement préoccupés par cette évolution qui non seulement aggrave les tensions dans la zone de conflit, mais crée également des menaces à long terme pour la sécurité de tous les pays de la région », a ensuite continué le ministère russe des Affaires étrangères. « Nous exhortons les dirigeants des États intéressés à prendre des mesures efficaces pour empêcher l’utilisation de terroristes et de mercenaires étrangers dans le conflit, et nous appelons à leur retrait immédiat de la région », a-t-il conclu.

Dans cette affaire, la Turquie est la seule puissance à ne pas appeler à un cessez-le-feu entre les belligérants. Au contraire même : elle ne cesse d’affirmer qu’elle se tiendra toujours aux côtés de l’Azerbaïdjan, qu’elle encourage à reprendre « ses terres occupées », en faisant référence au Haut-Karabakh. Ce territoire, dont la population est majoritairement arménienne, avait été confié à Bakou par Staline dans les années 1920.

Mais cette position fait qu’elle est isolée. Après le Conseil des Nations unies, le groupe de Minsk, formé par la France, la Russie et les États-Unis, a condamné « dans les termes les plus forts l’escalade de la violence récente sur la ligne de contact dans la zone de conflit du Haut-Karabakh », dans un communiqué publié conjointement par les président Macron, Poutine et Trump, lesquels ont rarement été d’accord ces derniers temps.

« Nous appelons à la cessation immédiate des hostilités entre les forces militaires concernées. Nous appelons également les dirigeants de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan à s’engager sans délai à reprendre les négociations de fond, de bonne foi et sans conditions préalables, sous l’égide des co-présidents du Groupe de Minsk de l’OSCE », ont indiqué ces derniers.

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