Le FSB dispose pour ses tueurs d'un vivier : les vétérans. C'est ce que révèle l'affaire du Géorgien Zelimkhan Khangochvili, tué le 23 août 2019 à Berlin. Un crime qui, à l'époque, fait grand bruit et suscite l'indignation de la chancelière Angela Merkel. Cet ancien commandant d'origine tchétchène, âgé de 40 ans, abattu dans une allée du parc Kleiner-Tiergarten, figurait sur une liste. Une liste de dix-neuf noms établie par Moscou. Ceux d'anciens combattants engagés contre les forces russes durant les deux guerres de Tchétchénie.
Chargé des exécutions, le FSB (ex-KGB) devrait en principe s'en charger. Sauf que, par souci de discrétion, l'agence de renseignements choisit de sous-traiter ce type de mission à… ses retraités. Des « hors service » regroupés au sein d'une « fondation de bienfaisance des anciens officiers Spetsnaz du FSB ». « Notre but est de rendre le monde plus doux », indique le site de la fondation. Un club où se côtoient les ex-membres du département Vympel du FSB, spécialisé dans les actions clandestines. Et dont l'une des activités consiste encore à participer aux basses œuvres du service de renseignements. En recourant à une « société-écran », le FSB s'estime ainsi à l'abri.
Une ficelle un peu grosse. Le site d'investigation britannique Bellingcat montre que le FSB n'a jamais cessé de s'impliquer dans les préparatifs de l'opération berlinoise en fournissant de faux passeports et surtout en mettant à la disposition du tueur son site d'entraînement, situé à Balachikha, en banlieue de Moscou.
Les bonnes vieilles méthodes
À la tête de cette « fondation de bienfaisance » évolue un homme en vue : Edouard Bendersky, lui-même ex-commando des Spetsnaz, jadis président de l'Association de chasseurs et pêcheurs de Russie et parfois surpris aux côtés de Poutine, lors de réunions sur le sort de la faune.
C'est aussi lui qui recrute les fines gâchettes. Dans l'affaire du Géorgien, il s'est attaché les services de Vadim Krasikov, 54 ans, un ancien de la maison, déjà impliqué dans deux meurtres. Ce dernier a une particularité : il s'approche de ses victimes à bicyclette. C'était déjà le cas en 2013, lorsqu'il a éliminé de cinq balles le propriétaire d'une chaîne de restaurants dans un parking de Moscou. À Berlin, l'an passé, il agit de la même manière. Ce jour-là, aux environs de midi, il surgit sur son vélo, dans le dos de Khangochvili qui revient de la mosquée. À l'aide d'un silencieux Glock 26, il lui loge deux balles dans la tête. Cette fois, cependant, il joue de malchance. Deux adolescents le surprennent au moment où il jette à la rivière sa perruque, une partie de ses vêtements et son pistolet. Les policiers l'appréhenderont le jour même. Depuis, il séjourne en prison. L'enquête révèle qu'au cours des deux mois précédant la mission il a parlé une vingtaine de fois au téléphone avec Bendersky, le patron des vétérans.
Muni de faux documents et du faux nom de Vadim Sokolov, l'homme à la bicyclette avait pris soin de brouiller les pistes en s'offrant une pause touristique de deux jours à Paris. Le 19 août, soit quatre jours avant son forfait, il visite le Sacré-Cœur, les Champs-Élysées, les Invalides, l'église de la Madeleine, le Louvre et la tour Eiffel. Puis il s'envole pour Varsovie, avant de rejoindre la capitale allemande en train ou en voiture.
Selon les derniers éléments de l'enquête de Bellingcat, le tueur aurait bénéficié d'un complice. Son nom ? Roman Demianchenko, 40 ans, lui aussi un ancien des forces spéciales. On retrouve sa trace deux semaines avant le meurtre en Pologne et en Allemagne, où il aurait participé aux actions de reconnaissance et à la localisation de la cible. Un habitué des coups tordus. Ses fausses identités le lient à d'autres opérations. Telle l'élimination d'un commandant tchétchène en 2015 à Istanbul. Demianchenko est un jeune retraité. Il a quitté l'unité Vympel du FSB à l'âge de 31 ans, sans doute grâce à ses faits d'armes et à une brillante carrière à l'étranger. Lui court encore. Et la liste des Tchétchènes dont Moscou veut la tête n'est pas épuisée.
Marc Nexon