Après avoir annoncé le recul des forces américaines dans le nord-est de la Syrie, laissant ainsi la porte ouverte à une offensive turque contre les Forces démocratiques syriennes [FDS], constituées en grande partie par des milices kurdes [YPG], le président Trump avait indiqué qu’il interdirait l’accès des sites pétrolers et gaziers situés dans les provinces de Hassaké et de Deir ez-Zor au groupe « État islamique » [EI ou Daesh] mais également aux troupes syriennes et russes.
Les forces américaines garderont le « contrôle des champs pétroliers » parce qu’ils « fournissent une source de financement essentielle aux Forces démocratiques syriennes » afin de leur permettre de « sécuriser les camps de prisonniers de l’EI et de mener des opérations », expliqua alors Mark Esper, le chef du Pentagone.
Seulement, les troupes américaines s’étant donc redéployées autour des sites pétroliers, les positions qu’elles venaient d’abandonner dans le nord-est de la Syrie ne tardèrent pas à être récupérées par les forces russes et syriennes. Et cela, afin de mener des patrouilles conjointes avec leurs homologues turques, dans le cadre d’un accord conclu entre Moscou et Ankara afin de mettre un terme à l’offensive lancée par la Turquie et ses supplétifs contre les milices kurdes syriennes.
Résultat : en janvier et en février, plus incidents entre les forces américaines et russes [voire syriennes] furent signalés, les premières empêchant les secondes de s’avancer vers les champs pétroliers et gaziers situés en zone kurde, en particulier dans la province de Hassaké, sur l’autoroute M4, qui sert de ligne de démarcation entre les deux camps.
« Ces actions s’inscrivent dans le cadre des tentatives américaines de saper le rôle de la Russie dans le nord-est de la Syrie et d’empêcher les Russes d’utiliser l’autoroute M4 dans la région, sauf lorsqu’ils se dirigent vers les zones frontalières avec la Turquie », avait expliqué, en février dernier, l’Observatoire syrien des droits de l’Homme [OSDH].
Puis, les choses semblèrent s’être calmées. Ou du moins, le nombre d’incidents signalés diminua… jusqu’en juin. En effet, à l’ouestde la province d’Hassaké, et selon des vidéos diffusées via les réseaux sociaux, une patrouille russe, composée d’un blindé BTR-80 et d’un véhicule Tigr, drapeau au vent, fut encadrée par des MaxxPro et des M-ATV [des véhicules de type MRAP, pour Mine Resistant Embush Protected, ndlr], qui l’empêchèrent d’aller vers un champ pétrolier.
Le 21 juillet, dans des circonstances non encore précisées, un blindé M-ATV américain se retrouva sur le toit, alors qu’il patrouillait dans le même secteur. Plusieurs soldats de la 82e Division aéroportée de l’US Army furent blessés dans cet « accident » et l’un d’eux décéda plus tard des suites de ses blessures. A priori, un tel incident n’aurait pas été le premier…
Cela étant, depuis, le nord-est de la Syrie a été gagné par de nouvelles tensions, après la révélation d’un accord passé avec les Kurdes par Crescent Delta Energy, une entreprise nouvellement créée [par James Cain, ambassadeur américain au Danemark du temps de l’administration Bush Jr, ndlr] afin d’exploiter les champs d’hydrocarbures contrôlés par les FDS et les troupes américaines.
Delta Crescent Energy, « avec le parrainage et le soutien de l’administration américaine, a conclu un contrat avec la soi-disant milice des Forces démocratiques syriennes […] dans le nord-est de la Syrie, dans le but de voler du pétrole des Syriens et de priver le pays des revenus de base nécessaires pour améliorer la situation humanitaire, subvenir aux besoins du peuple et reconstruire l’État », a accusé Bashar al-Jaafari, le représentant syrien auprès des Nations unies, le 21 août.
Quelques jours plus tôt, des soldats américains ont été la cible de tirs à proximité d’un poste de contrôle tenu par les forces gouvernementales syriennes, à Tal Al-Zahab, dans la province de Hassaké. Lors de la riposte, un soldat syrien a été tué et deux autres ont été blessés.
Si, jusqu’à présent, les forces américaines ont réussi à empêcher les patrouilles russes de se diriger vers les champs de pétrole, elles ont eu affaire à forte partie, le 24 ou le 25 août, dans le secteur de Derik, près d’Al-Malikiyah.
Ainsi, selon plusieurs vidéos diffusées via les réseaux sociaux, on voit des blindés MaxxPro et M-ATV tenter de bloquer une patrouille russe composée de véhicules Typhoon-K, Tigr, BTR-80 et d’un camion Ural-4320, escortés par deux hélicoptères [un Mi-8AMTsh et un Mi-35M].
A longer video of the confrontation. US forces appear to be blocking a road and then attempt to block the path of the Russian patrol when they drive through the field. An American MaxxPro MRAP appears to collide with a Russian Typhoon-K MRAP. 319/https://t.co/iCliZSYVY9 pic.twitter.com/xZTtN6l0Ib— Rob Lee (@RALee85) August 26, 2020
Ce qui a donné lieu à une sorte de rodéo à la « Mad Max », un MaxxPro américain ayant été pris en sandwich par un BTR-80 et un blindé Typhoon-K, avant d’être accroché. Résultat : quatre de ses occupants ont été « légèrement » blessés, selon des responsables américains.
Le porte-parole du Conseil de la sécurité nationale, John Ullyot, a indiqué au site Politico que la patrouille américaine avait ensuite quitté la zone de l’incident afin de « désamorcer » les tensions.
« Des actions dangereuses et non professionnelles comme celle-ci constituent une violation des protocoles de déconfliction, négociés par les États-Unis et la Russie en décembre 2019 », a-t-il fait valoir. « La coalition et les États-Unis ne recherchent aucune escalade […] mais les forces américaines ont toujours le droit et l’obligation de se défendre contre les actes hostiles », a-t-il ajouté.
Le ministère russe de la Défense a commenté cet incident ce 27 août. Dans un communiqué, il explique que la coalition anti-jihadiste dirigée par les États-Unis avait été prévenue de la mission de l’une de ses patrouilles.
« Malgré cela, en violation des accords existants, les soldats américains ont tenté de bloquer la patrouille russe », affirme Moscou, ajoutant que la police militaire russe avait donc « pris les mesures nécessaires » pour continuer sa mission.
Cet incident a été évoqué lors de l’entretien téléphonique qu’a eu le général Mark Milley, le chef d’état-major interarmées américain, avec son homologue russe, le général Valery Gerasimov, le 26 août…
Si le Pentagone n’a pas dévoilé le contenu de leur conversation, le ministère russe de la Défense a assuré que le général Gerasimov a livré des « explications complètes » au général Milley au sujet de cet incident.