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samedi 6 juin 2020

Abdelmalek Droukdel alias Abou Moussab Abdelwadoud, chef d'AQMI; a été neutralisé


C’est un gros coup que viennent de porter les forces françaises à al-Qaïda au Maghreb islamique [AQMI]. En effet, ce 5 juin, la ministre des Armées, Florence Parly, a annoncé que le chef de cette organisation jihadiste, l’algérien Abdelmalek Droukdel [alias Abou Moussab Abdelwadoud], a été tué dans le nord du Mali, lors d’une opération de la force Barkhane [vraisemblablement menée par la Task Force Sabre, c’est à dire les forces spéciales].

« Le 3 juin, les forces armées françaises, avec le soutien de leurs partenaires, ont neutralisé l’émir Al-Qaida au Maghreb islamique, Abdelmalek Droukdal, et plusieurs de ses proches collaborateurs, lors d’une opération dans le nord du Mali », a en effet indiqué Mme Parly, via Twitter.

« Ce combat essentiel pour la paix et la stabilité dans la région vient de connaître un succès majeur », a encore fait valoir Mme Parly, sans donner plus de détails sur cette opération qui aura été fatale au chef d’AQMI. « Je félicite et remercie tous ceux qui ont permis et mené ces opérations audacieuses, qui portent des coups sévères à ces groupes terroristes. Nos forces, en coopération avec leurs partenaires du G5 Sahel, continueront à les traquer sans relâche », a-t-elle ajouté.

Né en 1970 à Meftah, en Algérie, Abdelmalek Droukdel [ou Droukdal] avait pris la tête du Groupe salafiste pour la prédication et le combat [GSPC] en 2004. Sous sa houlette, l’organisation fit allégeance à al-Qaïda en 2006 et prit l’appellation d’AQMI.

Les mois suivants, Droukdel revendiqua plusieurs attentats particulièrement meurtriers en Algérie, pour lesquels il fut d’ailleurs condamné à mort par contumance. Ses activités s’étant étendues au Sahel, AQMI multiplia les enlèvements d’Occidentaux. En 2011, Michel Germaneau fut assassiné, après une tentative des forces mauritaniennes et françaises pour le libérer.

Cela étant, le Sahel, et plus particulièrement le Mali, constituera la pierre angulaire de la stratégie de Droukdel. En juillet 2012, il fut l’auteur d’un document intitulé « Orientation du jihad dans l’Azawad« , dans lequel il détailla la marche à suivre pour assoir l’emprise jihadiste dans le nord du Mali, en mettant notamment Iyad ag Ghali, le chef d’Ansar Dine, en avant. Seulement, ses recommandations seront ignorées pour la plupart, ce qui posa la question de son autorité sur ses troupes.

En novembre 2019, certains médias algériens avancèrent que Droukdel était mort, étant donné qu’il n’avait plus publié de communiqué depuis près d’un an.

Quoi qu’il en soit, la « katiba » d’AQMI au Mali s’était fondue dans le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans [GSIM], dirigé par Iyad ag Ghali. Et l’un de ses chefs, Djamel Okacha, a été tué lors d’une opération française menée en février 2019 dans la région de Tombouctou.

En outre, le GSIM doit faire face à la concurrence l’État islamique au Grand Sahara [EIGS], les deux organasitions jihadistes, après avoir coopéré formellement, étant désormais en conflit ouvert. Lors d’une audition à l’Assemblée nationale, le 4 juin, Mme Parly a résumé cette situation avec la formule « les terroristes font la guerre aux terroristes. » Et d’ajouter : « C’est une dynamique récente que nous surveillons avec beaucoup d’attention. De même que nous continuons de surveiller les agissements de Boko Haram à la frontière du Niger et du Tchad. »

Outre l’opération contre Droukdel, les forces françaises ont également capturé Mohamed el Mrabat », un « vétéran du djihad au Sahel et cadre important de l’EIGS », selon Mme Parly. Cette capture, annoncée ce 5 juin, a eu lieu le 19 mai dernier.

S’agissant d’AQMI, il reste maintenant à voir qui succèdera à Abdelmalek Droukdel. L’organisation jihadiste est dirigée par un conseil des chefs [Majlis al-Ayan] présidé par un émir [Droukdel jusqu’à présent] et comptant 14 membres. Elle dispose également d’un conseil consultatif [Majlis al-Shura], constitué de chefs, de qadi [juges] et de membres de différents comités. Enfin, il sera également intéressant de voir la réaction de l’Algérie, après l’élimination de son ennemi public n°1. Il ne serait pas étonnant qu’elle soit suivie par celle d’Iyad ag Ghali…

Quelques détails sur l’opération

Chimiste de formation, Droukdel devint l’un des artificier du Groupe islamique armée [GIA], puis du Groupe salafiste pour la prédication et le combat [GSPC], dont il prit la tête en 2006. Sous sa direction, l’organisation terroriste se transforma en branche régionale d’al-Qaïda et lança une vague d’attentats particulièrement meurtriers en Algérie.

Puis, vers le début des années 2010, AQMI chercha à étendre son influence et ses activités [contrebande, prises d’otages, etc] au Sahel. La situation dans le nord du Mali [Azawad] allait lui offrir cette occasion, en nouant un alliance avec les mouvements touaregs indépendantistes et les groupes jihdistes [dont Ansar Dine, dirigé par Iyad ag Ghali] de la région. Il faudra le lancement de l’opération française Serval, le 11 janvier 2013, pour porter un coup d’arrêt aux avancées jihadistes.

Cela étant, la présence de Droukdel dans le nord du Mali peut paraître surprenante… En tout cas, selon Le Monde, elle a été repérée par le renseignement américain, qui, a confié une source du quotidien, a « d’importants moyens de surveillance aérienne au Sahel. » L’information a ensuite été communiquée aux forces françaises.

Porte-parole de l’État-major des armées [EMA], le colonel Frédéric Barbry a livré quelques détails à la presse peu après l’annonce de la « neutralisation » du chef d’AQMI.

« L’opération s’est déroulée le 3 juin, au nord de l’Adrar des Ifoghas, à 80 km à l’est de Tessalit. Elle a été réalisée par un module d’intervention, composé d’hélicoptères et de troupes au sol, le tout étant appuyé par de l’aviation », a dit le colonel Barbry.

S’agissant de l’appui aérien, on peut supposer qu’il a mobilisé au moins une patrouille de Mirage 2000D et un drone MQ-9 Reaper, lequel a dû suivre le chef jihadistes et ses hommes. D’après Europe1, ces derniers circulaient alors à bord d’un véhicule 4×4.

Le mode opératoire des forces françaises a probablement été identique à celui suivi en février 2019 pour éliminer Yahia Abou-El-Hammam, alias Djamel Okacha, alors le chef d’AQMI pour le Sahara et cadre de haut rang du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans [GSIM], dirigé par Iyad ag Ghali.

Plusieurs hommes accompagnaient Droukdel, dont Toufik Chaïb, le responsable de la coordination et de la propagande d’AQMI. Tous ont été « neutralisés » avec leur chef, à l’exception de l’un d’eux qui a « préféré se rendre sans combattre », a précisé le colonel Barbry. Du matériel de communication aurait été saisi lors de cette opération, ce qui devrait permettre d’obtenir des informations sensibles de nature à planifier d’autres « coups » contre la mouvance jihadiste.

Évidemment, après l’épisode d’Amadou Koufa, chef de la katiba « Macina » et membre du GSIM, dont la mort avait été annoncée par Paris alors qu’il n’en était rien, la question de l’identification de Droukdel se pose… « Toutes les précautions ont été prises pour s’assurer de l’identité » du chef d’AQMI, a fait valoir le colonel Barbry.

L’élimination de Droukdel est survenu quelques heures après un entretien téléphonique entre le président Macron et son homologue algérien, Abdelmadjid Tebboune. Selon le compte-rendu qu’en a fait l’Élysée, les deux responsables « ont fait le point sur la situation au Sahel et en Libye et affirmé leur volonté de travailler ensemble pour la stabilité et la sécurité dans la région. »

Reste à voir qui succédera à Abdelmalek Droukdel… Le chef du Majlis al-Shura [conseil des notables], l’algérien Abou Obeida Youssef al-Annabi a régulièrement été désigné comme étant le candidat « favori » à la succession du désormais ex-émir d’AQMI. Inscrit sur la liste noire américaine des « terroristes internationaux » en septembre 2015, il s’était fait connaître deux ans plus tôt en appelant « les musulmans dans le monde entier » à « attaquer les intérêts français partout » en les qualifiant de « cibles légitimes. »

Dans un entretien donné à France24, en mai 2019, al-Annabi a réaffirmé cette position, assurant qu’il ne fixait « aucun limite pour combattre la présence française au Sahel ».