vendredi 22 mai 2020
Les services de renseignements misent sur les jeunes pour renforcer la cybersécurité en France
La crise du Covid-19 accélère la dépendance de la planète toute entière au numérique. Et pour y faire face, les services de renseignement extérieurs français misent sur les geeks, explique à l’AFP leur directeur technique.
On a besoin de gens très connectés aux nouvelles technologies, donc des jeunes. Il faut qu’on en fasse rentrer à la DGSE, c’est vital, a estimé Patrick Pailloux dans un entretien par téléphone. La cybersécurité, c’est l’alpha et l’oméga de la sécurité du monde dans lequel on vit. Si on n’est pas capable de sécuriser nos systèmes, toute autre sécurité ne sert plus à rien.
Mais la logique et les maths ne sont pas forcément le premier des fantasmes lorsqu’on pense à l’espionnage. Les jeunes ont James Bond et les forces spéciales dans la tête, constate-t-il. Ils se disent : « je ne suis pas un Rambo, je suis un geek » et cela ne leur vient pas à l’esprit de venir à la DGSE. Mais il n’y a pas que des surhommes survitaminés. Si on est survitaminé en sciences, on peut aussi servir son pays.
Repérer les jeunes dès l’enseignement secondaire
Le patron des services techniques de la DGSE était présent derrière sa webcam, lors de la remise des prix du concours Alkindi, coorganisé par les associations Animath et France IOI, qui visait pour la cinquième année à récompenser les meilleurs élèves de 4e, 3e et Seconde en chiffrage et cryptographie.
Ils étaient 65 000 en décembre, moins d’une centaine en finale la semaine dernière, le plus souvent par équipes : l’édition bouclée mercredi par une e-remise des prix a désigné le nec plus ultra d’adolescents passionnés.
L’approche, volontairement, était plus ludique que sécuritaire : Picsou a communiqué le code de son compte en banque à ses neveux Riri, Fifi et Loulou. Comme il n’a pas totalement confiance en eux, il a partagé le secret en trois morceaux, et il en a donné une partie à chacun, indiquait un énoncé. Aux élèves de trouver le code, sur la base d’une série de chiffres.
Sur la plateforme d’échanges entre élèves, les commentaires fusaient dès la fin de la finale. Comment vous avez fait (l’exercice) 7 ?, s’inquiétait un groupe. On a utilisé le pouvoir de la déduction logique, répondait un autre, un rien goguenard, sur un forum inondé d’émoticônes.
« La quoi ? »
Manifestement, la sécurité nationale n’obsède pas ces jeunes prodiges, dont l’un a choisi pour profil la célèbre photo d’Einstein tirant la langue. Sa devise : les hommes sont comme les chiffres, ils n’acquièrent de valeur que par leur position.
C’est quoi pour vous la DGSE ?, demande-t-on à Jeanne et Agathe, élèves de seconde au Lycée Ella Fitzgerald de Saint-Romain-en-Gal (Rhône), membres de l’équipe Jace et les Navajos. La quoi ? oh là là, aucune idée, on ne nous en a pas parlé….
Mais pour Matthieu Lequesne, doctorant à l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA), derrière les maths, la logique, l’informatique, les enjeux sont politiques même si les joueurs sont trop jeunes pour comprendre ces questions-là.
Si on veut tirer un bon parti de l’intelligence artificielle, pour que le big data fonctionne, il faut que ça brasse des tonnes de données qui appartiennent aux individus, résume celui qui est aussi co-organisateur du concours. Il faut faire en sorte que les plateformes qui manipulent ces données n’apprennent rien sur nous. Donc la contrepartie, c’est de la bonne cryptographie.
Bonne nouvelle : si son niveau général en mathématiques n’est pas brillant, la France sait produire des élites. Dans les officines de sécurité, les grands groupes ou la recherche, elles lui assurent une solide réputation internationale en cryptographie.
De quoi aider la DGSE à embaucher chaque année plusieurs centaines d’ingénieurs, chercheurs et techniciens, en vertu de la loi de programmation militaire. D’où l’idée d’instiller le virus à une poignée d’adolescents mordus et de susciter, dans quelques années, des vocations.
Les élèves aux trois premières places ont été encadrés par le même professeur de maths. L’an dernier, il avait déjà trusté le podium. Lui, il faut qu’on regarde…, plaisante Patrick Pailloux.