Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

samedi 15 février 2020

Affaire Crypto: Kaspar Villiger affirme qu’il ignorait les activités de la CIA


L’affaire Crypto secoue la classe politique suisse. L’ex-conseiller fédéral Kaspar Villiger dit n’avoir rien su des activités d’espionnage de la CIA. Pourtant, des documents prouveraient le contraire.

Kaspar Villiger n’était pas au courant d’une opération d’espionnage menée par des services de renseignement étrangers via l’entreprise zougoise Crypto. L’ancien ministre de la défense a réitéré samedi sa position, suite à de nouvelles révélations dans la presse.

«Je n’étais au courant ni de l’opération, ni du rôle de la CIA ou celui du service de renseignement allemand (BND), ni des manipulations de Crypto AG», affirme Kaspar Villiger dans une prise de position transmise à Keystone-ATS. «Aurais-je reçu ces informations, je ne les aurais pas cachées. J’aurais averti le Conseil fédéral.»

L’ancien ministre a réitéré sa position suite à de nouvelles révélations dans les journaux du groupe Tamedia. Ceux-ci mentionnent l’existence d’une note confidentielle interne du Conseil fédéral l’impliquant. Il s’agirait d’un document de prise de position signé par Viola Amherd et envoyé à ses collègues du gouvernement le 17 décembre 2019.




L’actuelle cheffe du Département de la défense (DDPS) y relaterait une discussion avec le directeur du Service de renseignement de la Confédération. Jean-Philippe Gaudin lui aurait indiqué avoir trouvé des documents d’archive indiquant que Kaspar Villiger «était informé». Aucun détail sur la nature et le contenu des éléments découverts n’est cependant donné.

Conclusions du juge attendue

L’ancien ministre radical affirme ne pas avoir connaissance d’une telle note de discussion. Quant au DDPS, il ne commente pas la fuite de documents confidentiels. Il refuse aussi d’indiquer s’il est en contact avec M. Villiger.

Le DDPS se contente de rappeler que le juge Niklaus Oberholzer a été mandaté pour enquêter. Le Conseil fédéral attend ses conclusions, ainsi que celles de la Délégation des commissions de gestion du Parlement.

Collaboration

Dans sa prise de position de samedi, Kaspar Villiger répète également que la discussion tenue à l’époque avec son collègue de parti et ancien membre du conseil d’administration de Crypto, Georg Stucky, portait sur l’enquête alors en cours de la police fédérale contre Crypto. Et «en aucun cas sur les activités de la CIA et du BND».

«Ce n’est pas quelque chose qu’on oublie, même un quart de siècle plus tard», souligne l’ancien conseiller fédéral. Il précise par ailleurs qu’il collaborera «sans retenue et de manière constructive avec les organes d’investigation».

Tout ce qu’il sait de l’affaire Crypto, il le sait grâce à l’émission Rundschau de la télévision alémanique, a-t-il encore insisté. Cette dernière a révélé que la CIA et le BND auraient, durant des dizaines d’années, intercepté des milliers de documents de plus de 100 pays via les appareils de chiffrement de l’entreprise Crypto.

Pas de conclusion hâtive 

L’affaire Crypto continue de faire parler d’elle. La commission de politique extérieure (CPE) empoignera la thématique la semaine prochaine. Sa présidente, Tiana Angelina Moser, met toutefois en garde contre toute conclusion hâtive.

Des hypothèses rapportent que des fonctionnaires suisses haut placés auraient eu vent d’une affaire d’espionnage des services de renseignement américain et allemand, a dit la conseillère nationale (PVL/ZH) sur les ondes de la radio alémanique SRF. Mais peu d’éléments ont été confirmés.

«Nous n’avons pas de crise étatique pour le moment», a poursuivi la Zurichoise. Les institutions suisses fonctionnent. Elles doivent maintenant faire en sorte que le cas soit examiné en détail. «Expédier le dossier serait une faute». Les commissions de gestion sont déjà en train de plancher sur le sujet. Mme Moser dit leur faire confiance.

Les révélations des journalistes doivent être prises au sérieux, a encore souligné la présidente de la CPE. Pour l’instant, elle n’est au courant d’aucune réaction d’autres Etats vis-à-vis de ces recherches. Jusqu’à présent, l’histoire concerne surtout la politique intérieure. Mais la situation peut changer.

La Suisse n’a pas toujours été exemplaire par le passé en matière de neutralité, a rappelé la députée. Et de donner en exemple le rapport Bergier, les contacts avérés avec le régime apartheid en Afrique du Sud ainsi que les avoirs investis par des despotes en Suisse.

Les modèles de gestion mis en lumière actuellement sont moralement très répréhensibles, a dénoncé Mme Moser. Il serait injustifiable de les taire d’une manière ou d’une autre.

"La neutralité suisse, porte ouverte aux services de renseignement"



Un impact sur la neutralité?

Grâce à des appareils de chiffrement truqués fournis par Crypto, la CIA américaine et le BND ont pu écouter les conversations de plusieurs Etats étrangers et ce probablement jusqu'en 2018. Plusieurs journaux estiment mercredi que cette révélation met un coup à la neutralité de la Suisse, à sa crédibilité et même à sa souveraineté.

Selon Christophe Vuilleumier, la neutralité de la Suisse a certes joué un rôle, mais elle ne doit pas être contestée. "L'impact sur la neutralité est néant. On peut faire une analogie avec les exportations d'armes. En 2019, la Suisse en a exporté pour un demi-milliard dans un grand nombre de pays étrangers. A fortiori, la neutralité helvétique n'a jamais été remise en question", explique-t-il.

"Il faut distinguer les bons offices de la Suisse sur le plan international, dans la diplomatie, et des affaires de ce type-là. Cette entreprise ne relève pas des autorités helvétiques. La question est de savoir si ces dernières étaient au courant et ont donné leur blanc-seing", précise le spécialiste de l'espionnage.

"Pas très étonnant"

Pour plusieurs partis politiques, une commission d'enquête parlementaire (CEP) est une option pour faire la lumière autour de l'entreprise zougoise. "Je pense que le Conseil fédéral, dans sa composition actuelle, ne savait rien. Qu'en était-il dans les années 1950-1960? Là, c'est une toute autre histoire. Dans les administrations fédérales ou cantonales, il y a plusieurs couches. Ce qui paraissait normal hier a été oublié, et nous n'en avons plus conscience de nos jours jusqu'à ce qu'un scandale éclate", relève Christophe Vuilleumier.

L'historien n'est pas surpris par cette affaire. "Quand on a une entreprise qui fabrique du matériel de renseignement depuis les années 1940, qui a été établie aux Etats-Unis et qui est ensuite venue en Suisse en 1952 en pleine Guerre froide, ce n'est pas très étonnant", signale-t-il avant d'ajouter: "La Suisse appartenait au bloc occidental. C'est une tendance naturelle. Nous avons en Suisse une tradition anti-bolchevique de très longue date."


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