L’ancien employé de la NSA, à l’origine d’un scandale mondial en 2013, s’exprimait en direct depuis Moscou dans le cadre des Applied Machine Learning Days.
Il est 21h03 ce lundi soir, quand le visage d’Edward Snowden apparaît sur l’écran géant du SwissTech Convention Center, au cœur de l’EPFL. Réfugié en Russie depuis 2013, l’ancien employé de la National Security Agency (NSA) s’exprimait en direct, par vidéoconférence, dans le cadre des Applied Machine Learning Days. Une demi-heure d’exposé, vingt minutes de questions/réponses avec Marcel Salathé, organisateur de l’événement et professeur à l’EPFL: Edward Snowden a livré durant cinquante minutes un plaidoyer clair et précis pour la défense des libertés individuelles sur internet, menacées par l’appétit des géants du web et la passivité des Etats. Rappelons que les Etats-Unis exigent depuis 2013 son extradition après qu’il a révélé le système de surveillance massive de la NSA.
Pour l’ingénieur américain, l’esprit initial d’internet a été détourné. «A ses tout débuts, le web était utilisé par des gens pour se connecter et créer des liens. Mais très vite, les géants du web se sont imposés entre eux. Ces multinationales ont fait des promesses aux internautes: nos services seront agréables et faciles à utiliser et gratuits. Les pages Facebook, les comptes Gmail, tout cela semblait très beau. Mais nous sommes devenus le produit. Rapidement, nous avons été surveillés en permanence, utilisés, tout cela pour tirer profit de nous.» L’expert fait un parallèle avec la télévision: «Quand j’étais petit, on se réunissait au salon pour regarder la télévision. Désormais, chacun est face à un écran qui le regarde et le surveille…»
Le RGPD? Une farce
Edward Snowden estime qu’en employant massivement des systèmes d’intelligence artificielle, les géants de la tech utilisent au maximum les données récoltées «pour rechercher le prochain business qui rapportera des milliards». Mais quid du Règlement général sur la protection des données (RGPD), entré en vigueur et censé protéger les internautes? «Je ne pense pas qu’il soit utile, au contraire. Est-ce que Google ou Facebook ont déjà été soumis, à cause de leurs pratiques illégales, à une amende équivalant à 4% de leur chiffre d’affaires? Non, les Etats n’osent pas les attaquer. Et même s’ils le faisaient, cela n’affecterait pas ces sociétés. Ce règlement est d’ailleurs très mal conçu: il n’y a pas un problème de protection des données, mais de récolte des données.»
Pour appuyer ses dires, Edward Snowden prend l’exemple d’un internaute qui ne cesse, depuis des années et comme le RGPD l’y autorise, de demander ses données à Facebook. La multinationale lui envoie son historique. Mais c’est une plaisanterie, selon l’ancien employé de la NSA: «Selon le RGPD, Facebook doit lui présenter ses résultats de manière compréhensible pour un internaute moyen: cela signifie qu’une masse énorme d’informations lui est cachée. Et c’est le cas pour tout le monde.»
A chacun de jouer
Faut-il baisser les bras? Non, affirme Edward Snowden. «Ne cessez pas de lutter pour votre liberté. J’entends souvent que les jeunes ont abandonné toute envie de protéger leur vie privée. C’est totalement faux. Simplement, ils sont obligés d’avoir une présence en ligne. Mais ils veulent davantage de protection. Chacun doit réfléchir, à son échelle, aux mesures à prendre pour améliorer la situation. Des gens cherchent des solutions.»
Edward Snowden pointe aussi du doigt une aberration: «Pourquoi les opérateurs télécoms conservent-ils si longtemps nos données de localisation? Pourquoi ne pas faire en sorte qu’elles ne soient disponibles que de manière éphémère?»
L’importance de la vie privée
Exclu, enfin, pour Edward Snowden d’accepter la phrase «si vous n’avez rien à cacher, vous n’avez rien à craindre»: «Si vous soutenez cela, cela signifie que vous vous soumettez aux autres, vous vous mettez à nu. Vous ne protégez plus l’émergence de différences au sein de notre société. Vous empêchez les nouvelles idées d’émerger… Et vous ne devriez pas vous justifier de vouloir vous protéger: ce sont les autres qui doivent justifier leur intrusion dans votre vie…»
La nuit est bien entamée. Emu par la standing ovation d’un auditoire presque comble à Lausanne, Edward Snowden écrase une larme. «Rendez-vous je l’espère bientôt ici en chair et en os», lance Marcel Salathé.
Anouch Seydtaghia