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vendredi 1 novembre 2019

Qui est « Abu Ibrahim al-Hashemi al-Qurachi », le nouveau chef de Daesh ?


Le 31 octobre, l’État islamique [EI ou Daesh] a confirmé la mort de son chef, Abu Bakr al-Baghdadi, lors d’une opération des forces spéciales américaines menée à Barisha, dans la province syrienne d’Idleb, ainsi que celle de son porte-parole, Abu Hassan Al-Mouhajir, visé par une frappe aérienne alors qu’il cherchait a priori passer clandestinement en Turquie.

« Ô musulmans, Ô moujahidines, soldats de Daesh […], nous pleurons le commandeur des croyants Abu Bakr al-Baghdadi », a en effet indiqué un certain Abu Hamza al-Qurashi, présenté comme étant le nouveau porte-parole de l’organisation jihadiste, via un message audio diffusé via l’application Telegram.

Puis, a ajouté ce dernier, la « Majlis al-choura [assemblée consultative, ndlr] a prêté allégeance à Abu Ibrahim al-Hashemi al-Qurashi en tant que commandeur des croyants et nouveau calife des musulmans. » Ce qui, en clair, signifie qu’un successeur d’al-Baghdadi a été désigné.

Reste maintenant à savoir qui se cache derrière le nouveau chef de Daesh, sachant qu’il a été désigné par un nom de guerre. Ainsi, la mention d' »al-Qurashi » signifie qu’il prétend descendre de la tribu au sein de laquelle naquit Mahomet. Ce qui est un pré-requis clef pour prétendre à devenir calife. D’ailleurs, al-Baghdadi avait usé du même artifice au moment de proclamer le califat depuis la mosquée de Mossoul, en juillet 2014 [son nom complet ayant été « Abu Bakr al-Baghdadi al-Husseini al-Qurashi, ndlr].

Le seul élément donné par Daesh au sujet de son nouveau chef est qu’il s’agirait d’un vétéran du jihad… Ce qui est mince.

Cela étant, d’après le département d’État américain, un certain Amir Muhammad Said Abdal Rahman al Mawla, alias « Hajji ‘Abdallah », fait partie des successeurs potentiels d’al-Baghadi. D’ailleurs, le programme « Reward for Justice » a mis sa tête à prix pour 5 millions de dollars.

Le profil d’Hajji ‘Abdallah coche beaucoup de cases : passant pour un « érudit religieux », c’est un membre de la première heure de l’État islamique.

« En tant qu’un des idéologues les plus importants de l’EI, Hajji ‘Abdallah a contribué à motiver et à justifier l’enlèvement, le massacre et le trafic de la minorité religieuse yézidie dans le nord-ouest de l’Irak. Il est censé superviser certaines des opérations terroristes menées par le groupe dans le monde », relève la diplomatie américaine.

Selon Reuters, le nouveau chef de Daesh pourrait avoir été choisi parmi trois autres responsables jihadistes, dont le saoudien Abu Abdullah al-Jizrawi, Abdullah Qaradash [un ancien officier de l’armée irakienne] et Abu Othman al-Tounsi, un tunisien.

L’été dernier, il fut avancé qu’al-Baghdadi avait désigné Abdullah Qardash comme son éventuel successeur. Mais, a priori, cette information serait fausse, à en croire SITE Intelligence, un organisme qui suit les activités numériques de la mouvance jihadiste. D’ailleurs, l’intéressé aurait été tué en 2017. Mais il n’y aucune certitude absolue à ce sujet, dans la mesure où il n’y a jamais eu de confirmation.

Quoi qu’il en soit, d’après Fadhil Abu Ragheef, un expert irakien cité par Reuters, le nouveau chef de Daesh va certainement commencer par rassembler et mobiliser ses troupes en vue de lancer une série d’attaques en représailles de la mort de Baghdadi. Dans le même temps, sa nomination peut éventuellement susciter des tensions internes, comme cela s’était passé pour le mouvement taleb afghan après la mort du mollah Omar.

D’ailleurs, la disparition d’al-Baghdadi semble encourager les groupes jihadites rivaux de l’EI. Ainsi, en Irak, l’organisation Ansar al-Islam, liée à al-Qaïda, vient de revendiquer son premier attentat depuis 2014, sa cible ayant été des miliciens chiites irakiens présents dans la province de Diyala.

Appel à la vengeance

Dans son enregistrement audio d'une durée de sept minutes, l'organisation djihadiste a appelé jeudi à venger cette mort, en menaçant spécifiquement les Etats-Unis de représailles et en qualifiant son président de «vieil homme insensé».

«Ne te réjouis pas Amérique (...)», est-il dit. «Il est venu celui qui te fera oublier les horreurs» d'Abou Bakr al-Baghdadi et «les coupes amères (...) dont le goût te paraîtra doux», a ajouté l'organisation en référence à son nouveau chef.

Quelque 14'000 combattants

Son successeur hérite d'un mouvement djihadiste qui a dû, après la chute de son «califat» en mars et d'autres défaites militaires, se dissoudre en une multitude de cellules clandestines en Syrie et en Irak, avec des communications difficiles dans des pays en plein chaos.

Le nouveau chef djihadiste pourrait être amené à commander quelque 14'000 combattants dispersés en Syrie et en Irak et se rapprocher du chef actuel d'Al-Qaïda, l'Egyptien Ayman al-Zawahiri, a affirmé mercredi Russ Travers, directeur par intérim du National Counterterrorism Center, l'organisme qui supervise la lutte antiterroriste aux Etats-Unis.

Parmi eux, on dénombre 4 000 Syriens, environ autant d'Irakiens, et au moins 2 500 individus issus d'une cinquantaine de pays étrangers, dont une majorité de Tunisiens.

Des responsables français ont fait état de 60 à 70 de leurs ressortissants parmi ces détenus, tandis que Bruxelles n'a confirmé la présence que de 13 Belges.

Les détenus sont répartis dans au moins sept structures. Les Forces démocratiques syriennes (FDS), dominées par les Kurdes, ne révèlent pas le lieu exact de ces centres de détention, mais certains sont connus, comme Roj, Dachicha, Jerkin, Navkur ou encore Derik, dans le nord et l'est de la Syrie. Néanmoins, selon un haut responsable kurde, ces «bâtiments» sont insuffisamment fortifiés, et le niveau de sécurité dans ces structures est donc jugé relativement faible.

Outre les combattants de l'EI, les forces kurdes détiennent des milliers de leurs proches, femmes, enfants et parents, dans des camps aménagés à cette fin. Celui d'al-Hol, surpeuplé, accueille plus de 70 000 personnes, dont des Syriens, des Irakiens, mais aussi des Français, des Belges ou encore des Allemands.

Une autre structure abritant des «familles de l'EI» se trouve à Aïn Issa, d'où 800 personnes se sont évadées dans le sillage de l'offensive turque. Certaines auraient réintégré le camp depuis, d'autres seraient passées du côté turc de la ligne de front ou auraient rejoint des cellules de l'EI opérant dans la région.

Le redéploiement des FDS pour faire face aux Turcs a créé un vide sécuritaire dans la région susceptible de profiter à l'EI. Le risque d'une résurgence est d'autant plus réel que les cellules clandestines de l'EI n'ont jamais cessé leurs activités selon les experts, et ce, même depuis la chute en mars du «califat» qui avait réussi à étendre son pouvoir sur un territoire entre l'Irak et la Syrie.

«On s'attend à tout»

Dans le message audio diffusé jeudi, le porte-parole de l'EI a par ailleurs fait référence à l'appel de l'ex-chef du groupe djihadiste en faveur de la libération des détenus de l'EI dans des prisons et des camps contrôlés par les forces kurdes. Celles-ci affirment détenir environ 12'000 djihadistes présumés de l'EI, dont plus de 2000 étrangers en provenance de plus de 50 pays.

Les forces kurdes en Syrie, partenaires de Washington durant les années de lutte contre les djihadistes de l'EI, ont eux aussi dit craindre des représailles du groupe après la mort d'Abou Bakr al-Baghdadi.

«On s'attend à tout, y compris des attaques contre les prisons», a déclaré Mazloum Abdi, commandant en chef des Forces démocratiques syriennes (FDS), en référence aux centres tenus par les Kurdes qui abritent des milliers de djihadistes.

Le Pentagone diffuse des images du raid 

Photo Armée américaine

Dans la soirée du 30 octobre, le Pentagone a rendu public des images [à la qualité « dégradée »] du raid, conduit par la Delta Force, c’est à dire une unité des forces spéciales relevant de l’US Army. Dans le même temps, le général Kenneth F. McKenzie, le chef de l’US Centcom, le commandement américain chargé du Moyen-Orient et de l’Asie Centrale, a corrigé quelques détails dans le récit fait de la mission par le président Trump et infirmé quelques hypothèses faites par la presse.

Premier point : La décision de lancer cette opération, appelée « Kayla Mueller », n’a pas été dictée par l’ordre de retrait des troupes américaines de Syrie. « Nous avons choisi l’heure en fonction de divers facteurs : météo, certitude, données lunaires, etc », a expliqué le général McKenzie. En outre, ce dernier a confirmé que les « premiers renseignements sur les allées et venues de Baghdadi, qui se sont révélés très utiles, provenaient des Forces démocratiques syriennes [FDS]. »

Ensuite, les hélicoptères utilisés pour ce raid n’ont pas décollé d’Erbil [Kurdistan irakien] ou de la base irakienne d’Assad, dans la province d’al-Anbar, mais de Syrie. Ce qui, au regard des distances parcourues, est plus cohérent. La Russie et la Syrie avaient été préalablement prévenue de cette opération, au titre des mesures de « déconfliction » convenues avec la coalition anti-jihadiste dirigée par les États-Unis.

Lors de leur progression vers Barisha, les hélicoptères américains ont effectivement été visés par des combattants au sol. Ce qui a donné lieu à une frappe aérienne pour les neutraliser.

Le général McKenzie a en outre précisé que ce raid héliporté avait été appuyé par des drones ainsi que par des avions de combat de 4e et de 5e génération. Aux Émirats arabes unis, l’US Force dispose de F-15E Strike Eagle [récemment arrivés, ndlr], des F-35A ainsi que des avions ravitailleurs et des drones RQ-4 Global Hawk.

Une fois arrivés sur les lieux, les commandos américains ont échangé des tirs avec deux jihadistes, qui ont été « éliminés » rapidement. Puis, ils ont demandé, en arabe, aux occupants du complexe visé de se rendre. « Certains en sont sortis », dont 11 enfants et, a priori, deux hommes, qui ont été faits prisonniers. Cinq autres, dont 4 femmes et 1 hommes, ont été perçus comme une menace. Ils ont été tués alors que les opérateurs de la Delta Force faisait une brèche dans le mur d’enceinte.

Quant à l’attitude du chef de Daesh, me général McKenzie n’a pas confirmé les propos de M. Trump. Pour rappel, ce dernier avait expliqué qu’al-Baghdadi s’était montré lâche, avant de mourir « comme un chien ».

Ainsi, al-Baghdadi s’est effectivement réfugié dans un souterrain, emmentant non pas trois [comme l’a dit M. Trump] mais deux enfants. Il « a peut-être tiré de son trou dans ses derniers moments », c’est à dire avant d’actionner sa ceinture d’explosifs, mais les ‘rapports reçus jusqu’à présent ne sont pas concluants », a indiqué le chef de l’US CENTCOM. « Je ne peux tout simplement pas confirmer cela d’une façon ou d’une autre », a-t-il insisté.

Quant aux enfants, « ils avaient moins de 12 ans et sont morts dans l’explosion », a dit le général McKenzie.

Enfin, l’identité d’al Baghdadi a pu être établie grâce à un échantillon d’ADN prélevé pendant sa détention au Camp Bucca, en Irak, dans les années 2000. Ses restes ont été immergés en mers dans les 24 heures ayant suivi son décès.

Enfin, le général McKenzie a estimé qu’il « faudra une certain temps » à Daesh pour se remettre de la disparition de son chef et que, durant cette période, ses « actions pourraient être un peu décousues ». Et d’ajouter : « Nous ne voyons pas un avenir sans effusion de sang car, malheureusement, cette idéologie [jihadisme, nldr] s’est répandue ».



Un ancien membre haut placé de l'EI pourrait toucher 25 millions de dollars

Un indicateur ayant fourni des informations qui ont mené à Abou Bakr al-Baghdadi, mort ce week-end, devrait recevoir l'intégralité ou une partie de la récompense de 25 millions de dollars promise à quiconque donnerait des renseignements cruciaux sur le chef du groupe Etat islamique (EI), rapporte le «Washington Post» mercredi.

Selon le journal américain, cet indicateur était haut placé dans les rangs de l'EI et chargé notamment d'organiser les déplacements en Syrie de l'homme le plus recherché du monde, que l'on surnommait «le fantôme».

Présent lors du raid

Dans la nuit de samedi à dimanche, lors d'une opération des forces spéciales américaines à Baricha, petit village du nord-ouest de la Syrie près de la frontière turque, Abou Bakr al-Baghdadi s'est fait exploser avec trois enfants, après avoir été acculé dans un tunnel de la maison dans laquelle il se cachait. Selon le «Washington Post», l'indicateur, présent lors du raid, a été exfiltré deux jours plus tard avec sa famille.

Les Etats-Unis avaient offert jusqu'à 25 millions de dollars de récompense pour des informations sur le «calife» autoproclamé de l'EI. La «source» des Américains avait fourni une description de la cachette d'al-Baghdadi: la disposition des pièces, les tunnels secrets, et jusqu'au nombre de gardes.

Cet indicateur, qui s'est retourné contre l'EI après la mort d'un membre de sa famille aux mains du groupe djihadiste, selon un responsable cité par le Washington Post, était rentré en contact avec les Kurdes, qui l'avaient transféré aux Américains.

TF121