A la suite de l’attaque contre la préfecture de police de Paris, dont l’assaillant fréquentait depuis des années une mosquée contrôlée par les Frères musulmans, le consultant Olivier Guitta souligne le rôle des mosquées et des imams dans ces passages à l’acte.
Le 3 octobre, un informaticien à la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris a poignardé et tué quatre de ses collègues, décapitant une des victimes. Le tueur, qui était dans la police depuis seize ans et porteur d’une habilitation secret-défense, s’était converti à l’islam il y a quelques années. Il avait montré des signes de radicalisation, exprimant son soutien aux actions islamistes, sa réticence à avoir des contacts avec les femmes et la justification de l’attentat de Charlie Hebdo en 2015. Les autorités ont trouvé dans une de ses clés USB des vidéos de décapitation de l’Etat islamique ainsi que la preuve d’un contact étroit avec un imam salafiste. Encore une fois, dans le cas de cette dernière attaque djihadiste en Europe, il y a un lien avec une mosquée radicale.
En effet, le djihadiste français à l’origine de l’attaque contre la préfecture de police de Paris fréquentait depuis des années une mosquée contrôlée par les Frères musulmans. Par ailleurs, l’un des imams officiant à la mosquée de Gonesse était fiché S depuis 2015, un an après son arrivée du Maroc. Malgré cela, il a été autorisé à rester en France et à diffuser sa propagande fondamentaliste.
Derrière chaque terroriste, un imam
Les exemples de mosquées radicales liées au djihad se comptent par dizaines: de la mosquée de Hambourg où certains des pirates de l’air du 11-Septembre se sont radicalisés, à la mosquée de Finsbury à Londres, qui fut l’aimant de beaucoup de figures djihadistes au début des années 2000. Comme l’a dit Louis Caprioli, ancien chef de la lutte contre le terrorisme au sein des services de renseignement français, «derrière chaque terroriste musulman, il y a un imam radical». Pour preuve, les frères Kouachi, qui ont perpétré l’attentat contre Charlie Hebdo, ont été radicalisés dans une mosquée du XIXe arrondissement de Paris. Aussi l’un des kamikazes français de l’Etat islamique qui a participé aux attaques de novembre 2015 a été radicalisé dans une mosquée de Chartres.
Ce phénomène n’est pas exclusif à la France: même dans la tranquille Suisse, la mosquée du Petit-Saconnex à Genève a été un vecteur de radicalisation. Le djihadiste suisse le plus dangereux présent en Syrie a été radicalisé là-bas, ainsi qu’un des ressortissants suisses arrêtés dans le cadre du meurtre en 2018 de deux jeunes filles scandinaves au Maroc. Incidemment, deux des imams qui officiaient dans cette mosquée étaient fichés S. Toujours en Suisse, l’imam de la mosquée de Winterthour a été arrêté pour avoir appelé à tuer des musulmans qui n’assistent pas aux prières.
Au Royaume-Uni, la mosquée de Manchester, que Salman Abedi, le djihadiste de l’Etat islamique qui a perpétré l’attaque à la Manchester Arena, a fréquenté, était dirigée par un imam radical qui appelait au djihad armé et a poussé cinq autres jeunes à rejoindre l’EI. Aussi, l’imam radical d’une mosquée de Birmingham, où un des terroristes du Bataclan priait, a été arrêté pour avoir recruté des djihadistes. En Belgique, en 2018, l’OCAM, l’entité gouvernementale chargée d’évaluer le niveau de la menace, a averti que l’école de la mosquée de Bruxelles enseignait le djihad armé. Au Kosovo, 22 mosquées appelaient ouvertement en 2015 à rejoindre le djihad en Syrie.
Cibler les «généraux»
Mais de toutes les affaires du djihad européen, l’attaque terroriste de Barcelone/Ripoll est d’une certaine manière la plus étonnante. Le cerveau derrière l’attaque était l’imam marocain de la mosquée de Ripoll. Il était lié à l’attaque d’Al-Qaida à Madrid en 2004 et il est mort en manipulant des explosifs la veille de l’attentat de Barcelone. Plutôt que de se contenter de radicaliser ses fidèles, il avait décidé d’être le chef d’une cellule opérationnelle de l’Etat islamique et de mourir en «martyr».
La Commission sur le terrorisme du Parlement européen conseille judicieusement de mettre en place une liste à partager entre les pays européens de tous les imams radicaux. En effet, nombreux sont ceux-ci prêchant encore en Europe sans être dérangés. A la source de cette radicalisation se trouvent des mouvements islamistes très bien financés et extrêmement bien organisés. Par exemple, le salafisme s’est récemment développé en Europe: en Belgique, où on a répertorié plus de 100 organisations salafistes actives dans le pays; en France, où le nombre de mosquées salafistes a augmenté de 15 en 1990 à 60 en 2015 puis 132 en 2018. L’Office allemand pour la protection de la Constitution a récemment averti que la plus grande et plus influente organisation islamiste, les Frères musulmans, constitue désormais un plus grand danger pour l’Allemagne que l’Etat islamique et Al-Qaida.
Lutter contre le terrorisme djihadiste ne peut pas se faire seulement en se concentrant sur les «soldats», mais doit aussi cibler les «généraux». En fait l’incitation au terrorisme a un effet multiplicateur: un prédicateur intelligent peut convaincre des dizaines ou des centaines de recrues. Pour faire une analogie avec la lutte contre la drogue, devrions-nous blâmer seulement le consommateur et oublier le trafiquant? Malheureusement, pour le moment l’Europe laisse le dealer tranquille…
Olivier Guitta
directeur général de GlobalStrat
société de conseil en sécurité et en risques géopolitiques pour les entreprises et les gouvernements