mercredi 9 octobre 2019
La Turquie lance l’opération « Source de paix » contre les milices kurdes syriennes; Damas promet de réagir
Les déclarations apparemment contradictoires du président américain, Donald Trump, n’auront certainement pas entamé la détermination de son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, à lancer l’opération militaire qu’il promettait de longue date contre les milices kurdes syriennes [YPG], lesquelles furent en première ligne pour défaire le califat autoproclamé par l’État islamique [EI ou Daesh]. Et les mises en garde adressées par la France et le Royaume-Uni, ainsi que par l’Iran, auront été sans effet. De même que les réticences ouvertement exprimées par la Russie.
En effet, ce 9 octobre, M. Erdogan a annoncé le début de l’opération « Source de paix » dans le nord de la Syrie, sur la rive orientale de l’Euphrate.
« Les Forces armées turques et l’Armée nationale syrienne [des rebelles soutenus par Ankara] ont débuté l’opération ‘Source de paix’ contre les terroristes des YPG/PKK et de Daesh dans le nord de la Syrie », a en effet indiqué le président turc via Twitter. « La zone de sécurité que nous allons créer va permettre le retour des réfugiés syriens dans leur pays », a-t-il ajouté.
L’objectif de cette troisième offensive turque en Syrie depuis 2016 vise à prendre le contrôle d’une bande de territoire longue de 120 km sur 30 km de profondeur. Pour cela, Ankara aurait mobilisé des dizaine de milliers de supplétifs appartenant à des factions réunies sous la bannière du Front national de libération. « 8.000 combattants doivent participer à l’opération sur l’axe de Tal Abyad et 10.000 autres sur l’axe de Ras al-Aïn », a indiqué Abdelrahmane Ghazi Dadeh, le porte-parole du groupe Anwar al-Haq.
Le 8 octobre, le président Trump avait assuré qu’il n’avait pas abandonné les Kurdes syriens, les qualifiant de « gens formidables et de merveilleux combattants. » Et un responsable de la diplomatie américaine avait également assuré que l’espace aérien au-dessus de la zone des opérations turques resterait sous le contrôle de la coalition anti-jihadiste dirigée par les États-Unis.
Or, il semblerait que cela ne soit pas le cas étant donné que l’Observatoire syrien des droits de l’Homme [OSDH], qui dispose d’un réseau d’informateurs en Syrie, a fait état de frappes aériennes turques contre des positions kurdes dans le secteur de Ras al-Aïn. Des tirs d’artillerie ont également été signalés.
« Les avions de guerre turcs ont commencé à mener des frappes aériennes sur des zones civiles, il y a une forte panique parmi les gens », a indiqué Mustafa Bali, un porte-parole des Forces démocratiques syriennes [FDS], dont les milices kurdes syriennes font partie.
Comme l’ont souligné la France et le Royaume-Uni, qui ont déployés des unités de forces spéciales dans le nord de la Syrie, l’opération turque risque de compromettre les efforts jusqu’alors consentis pour défaire l’État islamique.
Aussi, Paris a condamné « très fermement » l’offensive turque, peu après l’annonce de son lancement.
« La France, l’Allemagne et le Royaume uni sont en train de finaliser une déclaration commune qui sera extrêmement claire sur le fait que nous condamnons très fortement et très fermement ce qui est rapporté. […] Nous saisissons le Conseil de sécurité des Nations unies », a déclaré Amélie de Montchalin, la secrétaire d’État aux Affaires européennes.
Plus tôt, Emmanuel Macron avait recontré la responsable kurde Ilham Ahmed. « L’idée est de montrer que la France est au côté des FDS, parce que ce sont des partenaires clés dans la lutte contre Daech, qu’on est très préoccupé de la possibilité d’une opération turque en Syrie et qu’on passera ces messages directement aux autorités turques », avait ensuite expliqué l’entourage du président français auprès de l’AFP.
L’Union européenne a également réagi en exigeant, par la voix de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission de Bruxelles, la fin immédiate de l’offensive turque. « La Turquie doit cesser l’opération militaire en cours. Elle ne donnera pas de résultat. Et si le plan de la Turquie est la création d’une zone de sécurité, n’attendez pas de financement de l’Union européenne », a-t-il dit.
Aux États-Unis, l’influent sénateur républicain Lindsey Graham a visiblement consommé sa rupture avec le chef de la Maison Blanche. « Priez pour nos alliés kurdes qui ont été honteusement abandonnés par l’administration Trump. Je vais mener les efforts aux Congrès pour qu’Erdogan paie très cher », a-t-il lancé via Twitter.
Quoi qu’il en soit, le gouvernement syrien pourrait bien ne pas rester les bras croisés. Après avoir appelé les Kurdes syriens à revenir dans son giron, il s’est engagé à « contrecarrer toute agression » de la Turquie contre son territoire.
« La Syrie réitère sa détermination […] à contrecarrer l’agression turque, et ce par tous les moyens légitimes », a en effet assuré une source du ministère syrien des Affaires étrangères, citée par l’agence Sana.
Cela étant, Damas avait dit la même chose quand la Turquie lança l’opération « Rameau d’olivier » à Afrine, canton syrien alors contrôlé par les YPG. Et, depuis, cette région est toujours sous domination turque.
Poutine a appelé Erdogan à «évaluer la situation avec soin» avant de lancer une offensive
De son côté, lors d'un entretien téléphonique avec Vladimir Poutine ce 9 octobre avant le lancement de l'opération militaire turque, le président turc Recep Erdogan avait assuré que celle-ci contribuerait à apporter «la paix et la stabilité» dans le pays, laissant ainsi peu de doute quant à ses intentions. «Lors de cet entretien, le président a déclaré que l'opération militaire prévue à l'est de l'Euphrate contribuera à la paix et à la stabilité de la Syrie et facilitera la voie vers une solution politique», avait précisé une source de la présidence turque à l'AFP.
Des arguments qui n'ont pas convaincu le président russe Vladimir Poutine, qui a demandé à son homologue d'«évaluer la situation avec soin» avant de lancer une offensive. «Vladimir Poutine a appelé ses partenaires turcs à bien réfléchir à la situation afin d'éviter de porter atteinte aux efforts communs visant à résoudre la crise syrienne», a indiqué le Kremlin dans un communiqué, publié après un entretien téléphonique entre les deux présidents. Des appels qui n'ont, visiblement, pas fait changer le président turc d'avis.