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mardi 8 octobre 2019

La mort suspecte d'un ex-chef de l'ONU


Le Suédois Dag Hammarskjöld, deuxième secrétaire général dans l'histoire de l'ONU, avait été tué le 18 septembre 1961 quand son DC-6 s'était écrasé près de Ndola, en Rhodésie du Nord, l'actuelle Zambie. (Photo: Keystone)


La mort en 1961 en Afrique du Suédois Dag Hammarskjöld, alors secrétaire général de l'ONU, n'est peut-être pas accidentelle. C'est ce que laissent entendre les conclusions d'une enquête obtenues mardi par l'AFP, qui vont dans le même sens que des rapports précédents.

Une attaque délibérée contre son avion est «plausible», indique Mohamed Chande Othman, un ancien juge tanzanien, dans son rapport dont la publication est attendue prochainement. Ce document bénéficie de nouvelles informations issues d'archives belges, britanniques, canadiennes, allemandes et américaines.

Le Suédois Dag Hammarskjöld, deuxième secrétaire général dans l'histoire de l'ONU, avait été tué le 18 septembre 1961 quand son DC-6 s'était écrasé près de Ndola, en Rhodésie du Nord, l'actuelle Zambie. Le patron de l'ONU était alors en route pour aller négocier un cessez-le-feu pour la province du Katanga au Congo, riche en minerais.

Théorie du complot

Deux enquêtes avaient conclu à une erreur de pilotage. Souhaitées par une résolution de l'Assemblée générale de l'ONU adoptée en 2014, de nouvelles enquêtes ont depuis réorienté les recherches vers la théorie du complot. «Sur la base de la totalité des informations que nous avons, il semble plausible qu'une attaque extérieure ou une menace ait été la cause du crash», indiquent les conclusions du juge Mohamed Chande Othman.

L'avion a pu être abattu «lors d'une attaque directe contre le vol SE-BDY ou qui a poussé les pilotes à détourner leur attention». Plusieurs témoins «ont vu plus d'un avion dans le ciel» au moment du crash de l'appareil du secrétaire général, indiquent ces conclusions.

Selon certains témoignages, le deuxième avion dans l'espace aérien était un jet, d'autres ont affirmé que le vol SE-BDY était menacé par un autre avion et/ou en flammes avant de toucher le sol.

Espions

A l'époque, des rebelles katangais, opposés à l'indépendance de la colonie belge du Congo, aurait pu avoir davantage de moyens aériens que le seul jet de type Fouga qui leur était connu. Selon des informations fournies par les Etats-Unis, ils en avaient acheté trois du même type à la France, livrés en 1961, «malgré les objections du gouvernement américain». Les rebelles possédaient aussi un autre appareil de fabrication allemande, selon des documents évoqués dans le rapport de l'ex-juge tanzanien.

Des documents reçus de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis montrent aussi que ces pays avaient des agents secrets au Congo et dans la région, ajoute-t-il, considérant que leurs services pourraient déclassifier (enlever la mention secret-défense) d'autres éléments liés à l'affaire.

Dans ses conclusions, Mohamed Chande Othman explique ne pas être en mesure de confirmer l'allégation d'un pilote belge, surnommé «Beukels», ayant assuré en 1967 à un diplomate français, Claude de Kemoularia, qu'il avait abattu l'avion du patron de l'ONU ou poussé à son crash.

«Opération Celeste»

La Russie et la France ont été sollicitées pour fournir des documents, selon l'ex-juge tanzanien qui recommande à l'ONU de désigner un responsable pour gérer l'ensemble des documents liés à l'affaire, notamment les enregistrements audios réalisés à l'époque.

En août 2016, un précédent rapport du patron de l'ONU d'alors, Ban Ki-moon, faisait déjà valoir que «certains documents» en provenance d'Afrique du Sud mentionnaient une «Opération Celeste» dont l'objectif aurait été d'éliminer Hammarskjöld.

En juillet 2015, sur la base d'un rapport d'experts indépendants, l'ONU avait retenu l'hypothèse d'une attaque aérienne contre le DC-6. L'ONU avait notamment cherché à avoir accès à des enregistrements de conversations dans le cockpit du DC-6 et de messages radio, que l'Agence nationale de sécurité américaine (NSA) aurait réalisés en 1961.

Des enquêtes ont conclu à une erreur de pilotage mais après 2014 de nouvelles investigations ont réorienté les recherches vers la possibilité d'une attaque par un autre avion. Depuis début 2018, le Tanzanien Mohamed Chande Othman travaille sur ce dossier en vertu d'un mandat de l'Assemblée générale de l'ONU expirant cet automne. Dans son rapport, il parle d'avancées mais affirme «ne pas être en mesure de dégager une quelconque conclusion sur la cause de l'accident».

Dans son document, il se félicite que plusieurs pays (France, Belgique, Suède et Zimbabwe), via la nomination comme il l'avait demandé d'«un responsable indépendant», lui aient apporté des réponses. Mohamed Chande Othman déplore en revanche n'avoir obtenu aucun retour à ses questions de la part des Etats-Unis, de l'Afrique du Sud et du Royaume-Uni, même s'ils ont aussi désigné un «responsable indépendant» pour recenser leurs archives nationales sur le dossier.

Banque de données

«L'Afrique du Sud, le Royaume-Uni et les Etats-Unis doivent très certainement détenir d'importantes informations non divulguées», indique-t-il, en reprochant par ailleurs à la Russie de ne pas avoir nommé de «responsable indépendant» national.

A l'appui de sa demande d'une prolongation de l'enquête internationale, le juriste tanzanien évoque l'existence probable d'interceptions de communications par des Etats membres de l'ONU et l'existence de moyens aériens katangais qui auraient pu permettre une attaque contre l'avion de Hammarskjöld. Il cite aussi la présence sur le terrain de paramilitaires étrangers (pilotes, agents de renseignement, etc) au moment du crash de l'avion.

Ses recommandations, qui incluent la constitution d'une banque de données sur tous les documents liés au dossier, sont soutenues par le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres. Dans une lettre publiée lundi, ce dernier affirme que le secret a été levé à l'ONU sur des milliers de nouveaux dossiers relatifs au Congo.

Il revient maintenant à l'Assemblée générale de l'ONU de décider ou non d'une prolongation de l'enquête, avec les moyens financiers adéquats, et à la confier soit à Mohamed Chande Othman, soit à une autre personnalité indépendante.

ATS