samedi 5 octobre 2019
Alors qu’une activité militaire russe est suspectée dans le Svalbard, la Norvège serait incapable de faire face à une attaque
Le 9 février 1920, dans la foulée de la Conférence de Paris, la Norvège obtint la reconnaissance de sa souveraineté sur l’archipel du Svalbard, situé au milieu d’une surface maritime d’environ 800.000 km2, non loin du Pôle Nord. En échange, cette région fut déclarée zone démilitarisée et les ressortissants des quarante pays signataires du « Traité concernant le Spitzberg » eurent le droit d’en exploiter les ressources naturelles. D’ailleurs, la France y dispose encore de deux stations de recherches [les bases « Charles Rabot » et « Jean Corbel »].
Dans les années 1930, les relations entre la Oslo et Moscou connurent quelques tensions quand les mines de charbon de Barentsburg, situées à 55 km de Longyearbyen, la capitale administrative de l’archipel du Svalbard [2.200 habitants, ndlr] furent cédées par leur propriétaire néerlandais aux Soviétiques, lesquels mirent ainsi la main sur une surface de 250 km2. Mais les Norvégiens ne purent s’y opposer, en raison du traité signé en 1920.
Durant la Guerre Froide, l’archipel du Svalbard était « théoriquement » démilitarisé… En 1955, dans le cadre de l’opération « Sunshine », les services de renseignements norvégiens et américains y déployèrent le Godønes, un navire de pêche qui était en réalité bardé de matériels électroniques pour intercepter les émissions radios soviétiques en mer de Barents. Mais l’URSS ne resta pas en reste puisqu’elle avait installé, à Barentsburg, des moyens pour écouter les communications de l’Otan et surveiller les mouvements des sous-marins.
Et quand, dans les années 1970, un aérodrome fut construit près de Longyearbyen, les Soviétiques exigèrent de pouvoir l’utiliser et d’y placer leurs hommes, étant donné que, à Moscou, on craignait de voir cette infrastructure être utilisée par les chasseurs-bombardiers de l’Otan.
La fin de la Guerre Froide mit ses chicayas en sourdine. Jusqu’à récemment. Notamment parce que, outre ses ressources halieutiques [la région est riche en crabes], l’archipel du Svalbard serait riche en hydrocarbures.
Ainsi, selon le site norvégien AldriMer, spécialiste des affaires de défense, des « équipes tactiques russes » auraient « mené des opérations militaires » dans l’archipel du Svalbard tandis que d’autres unités, également russes, auraient effectué des « opérations de reconnaissance en Norvège », en s’intéressant en particulier aux « infrastructures critiques. » Le média, qui s’appuie sur les confidences faites par « quatre sources » liées à la défense et au renseignement et provenant de « trois pays différents », affirme aussi qu’un sous-marin P-650 Midget, utilisé pour les missions spéciales, aurait été utilisé.
L’ambassade de Russie à Oslo a catégoriquement démenti les informations d’Aldrimer, y voyant une « fausse nouvelle » et une « provocation » destinée « à justifier une hausse du budget norvégien de la Défense ». Et d’ajouter : « Nous considérons que de telles méthodes sont incompatibles avec l’éthique journalistique. »
Mais sollicité par le quotidien Klassekampen et la radio publique NRK, le ministère norvégien de la Défense a dit ne pas disposer « d’informations sur les allégations formulées dans cette affaire » et refuser de commenter des « demandes non documentées émanant de sources anonymes. »
Toutefois, Aldrimer maintient ses affirmations. D’autant plus que le contre-espionnage norvégien, le Politiets Sikkerhetstjeneste [PST], n’a pas clairement démenti les informations du site. Ou plutôt, il s’est refusé à commenter cette affaire en particulier, préférent évoquer la situation en des termes plus généraux.
« Je ne souhaite pas commenter en détail les informations d’Aldrimer.no, si ce n’est que les activités de renseignement menées par certains États étrangers contre la Norvège sont importantes et représentent une menace persistante », a dit Trond Hugubakken, le porte-parole du PST.
Reste que le journal russe Novaïa Gazeta a apporté de l’eau au moulin d’Aldrimer en publiant une enquête démontrant que, via leurs données de géolocalisation sur les réseaux sociaux, des militaires d’origine tchétchène étaient présents dans l’archipel du Svalbard, en janvier dernier.
Quoi qu’il en soit, le scénario imaginé par l’écrivain Jo Nesbø pour la la série « Occupied » serait crédible, à en croire le général Rune Jakobsen, le chef quartier général opérationnel des forces armées norvégiennes.
En effet, même si Oslo se garda de réduire drastiquement ses dépenses militaires au moment de la crise financière de 2008, comme le firent quasiment tous les pays européens à l’époque, et alors que les forces norvégiennes devraient bénéficier d’un budget équivalent à 1,8% du PIB en 2020, les effectifs ne suivent pas.
Ainsi, en mars dernier, le général Tonje Skinnarland, chef de la Luftforsvaret [force aérienne norvégienne, ndlr] déplorait le manque de pilotes et de techniciens qualifiés, ainsi que les coûts d’exploitation des 52 F-35A. Mais ce problème vaut aussi pour les forces navales et terrestres. Le ministère norvégien de la Défense emploie 23.250 personnes, militaires et civils compris.
« Maintenant, l’armée est trop petite pour sa tâche la plus essentielle : défendre le territoire norvégien jusqu’à l’arrivée des renforts alliés », a affirmé le général Rune Jakobsen. Il manquerait ainsi l’équivalent d’une brigade pour les forces terrestres [qui n’en ont qu’une actuellement]… Quant à la marine norvégienne, elle doit faire avec une frégate en moins [coulée lors d’une collision après l’exercice Trident Juncture, en 2018] tandis qu’une autre est en maintenance et qu’une troisième participe à une mission de l’Otan.
Cela étant, le général Jokobsen n’a pas précisé le temps que les forces norvégiennes pourraient tenir en cas d’attaque. En 2012 le général suédois Sverker Göranson s’y était risqué pour son pays, en parlant d’une « semaine ». Ce qui avait donné lieu à une vive polémique à Stockholm.