Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

jeudi 11 juillet 2019

Affaire Orlandi: exhumations en cours au cimetière teutonique du Vatican


Le cimetière a été construit à l'emplacement du cirque de l'empereur romain Néron, théâtre du martyre de nombreux chrétiens. Sur ce lieu des bâtiments furent édifiés par Charlemagne, avant d'être repris en main par les Allemands de Rome au XVe siècle, qui construisirent son actuel mur d'enceinte


C'est à 8h15 ce jeudi 11 juillet, après une prière de Mgr Hans-Peter Fischer, Recteur du cimetière teutonique à l’intérieur du Vatican, qu'ont débuté les opérations d'ouverture des tombes de deux princesses pour des vérification liées au dossier sur la disparition d'Emanuela Orlandi, la fille de quinze ans d'un employé du Vatican disparue mystérieusement dans le centre de Rome dans l'après-midi du 22 juin 1983. Grâce au travail du Corps de la Gendarmerie du Vatican, toutes les précautions ont été prises pour assurer le bon déroulement de la procédure, dans le respect de la vie privée des familles concernées, le caractère sacré du lieu, le secret de l'enquête ainsi que toutes les garanties aux parties. La zone a été couverte de gazebos, pour la protéger des orages et pour plus de confidentialité.

"Il n'est pour l'instant pas possible de prévoir, le temps qu'il faudra pour mener à bien ces opérations, qui emploient une quinzaine de personnes", a déclaré le directeur par intérim du Bureau de presse du Vatican, Alessandro Gisotti. Le personnel de la ‘Fabbrica di San Pietro’ est chargé de l'ouverture et de la fermeture des tombes, tandis que le professeur Giovanni Arcudi, assisté de son équipe, est chargé du prélèvement des restes osseux, en présence d’experts nommés par l'avocat de la famille d'Emanuela Orlandi. Le Promoteur de la Justice du Tribunal d'Etat de la Cité du Vatican, Gian Piero Milano, et son adjoint Alessandro Diddi, ainsi que le Commandant du Corps de la Gendarmerie du Vatican, Domenico Giani, sont également présents.

Comme l'indique le décret du promoteur de la justice de l'État de la Cité du Vatican, les opérations concernent le «Tombeau de l'Ange» dans lequel repose la princesse Sophie Von Hohenlohe et la tombe adjacente dans laquelle repose la princesse Charlotte Federica de Mecklembourg. Bien que la tombe indiquée par l'avocat de la famille Orlandi, Laura Sgrò, soit en fait celui où l'ange tient dans ses mains un livre ouvert avec l'inscription «Requiescat in pace», le promoteur de justice - s'agissant deux tombes proches l'une de l'autre, avec des niches similaires - a demandé l'ouverture des deux sépultures afin d'éviter tout malentendu sur la tombe impliquée.

En ce qui concerne la vérification des ossements retrouvés, ceux-ci seront analysés et étudiés par le professeur Arcudi et son équipe, selon des protocoles internationalement reconnus. Il s'agit dans un premier temps d'examens morphologiques. Ensuite, les résultats seront envoyés en laboratoire pour une enquête génétique médico-légale : l'examen de l'ADN devrait permettre d'obtenir la certitude de leur attribution.

Pietro Orlandi, le frère qui la recherche sans relâche

Cela fait 36 ans que Pietro Orlandi, cheveux blancs mais détermination intacte, cherche sans relâche sa sœur disparue Emanuela.

Si Pietro Orlandi dénonce des décennies «d'omerta» du Saint-Siège, il parle désormais d'un «tournant» dans l'enquête sur cette disparition non résolue qui passionne les Italiens depuis des décennies, sur fond de théories du complot impliquant la pègre et le Vatican.

Et il sera aux premières loges jeudi matin pour assister à une messe, suivie de l'exhumation des tombes de deux princesses mortes au 19ème siècle.

«Le geste qui aura lieu jeudi change tout», s'anime Pietro, dans un entretien mercredi à l'AFP. «Le seul fait d'ouvrir, même si on ne trouve rien, veut dire que le Vatican admet la possibilité de responsabilités internes», estime cet infatigable frère enquêteur, aujourd'hui âgé de 60 ans.

Il en est persuadé : «il y a des personnes qui savent au Vatican, et peut-être des personnes impliquées».

Jusqu'alors, le Vatican avait toujours répondu à la famille : «le cas est clos, nous avons consigné tout ce que nous avions aux autorités italiennes» en charge de l'enquête, pointe-t-il.

«Si Emanuela est morte et se trouve là, il est juste que sorte au grand jour ce qui a été caché», dit-il, même s'il s'accroche encore au rêve de «la retrouver vivante».

Giovanni Arcudi, l'expert en médecine légale chargé d'examiner les squelettes, a indiqué qu'il sera en mesure jeudi de faire une première datation des ossements pour savoir s'ils ont plus de 150 ans. Mais des analyses ADN plus fines prendront jusqu'à deux mois.

«Cherchez où pointe l'ange»

L'été dernier, l'avocate des Orlandi a reçu un message indiquant «Cherchez à l'endroit où pointe l'ange», accompagné d'une photographie d'une tombe. Un ange sculpté en marbre lisant sur une tablette l'inscription «Repose en paix» trône effectivement dans le Cimetière teutonique du Vatican.

Après cet énième signalement anonyme pointant vers ce cimetière bucolique la famille avait déposé une demande de vérification de la tombe. Le Vatican en ouvrira finalement deux.

Six mois après la disparition d'Emanuela, Jean Paul II était venu chez la famille Orlandi et avait parlé d'un «cas de terrorisme international», rapporte Pietro.

«S'il savait déjà la vérité, cette phrase a constitué la première fausse piste de cette histoire. J'ai toujours eu l'impression que ce jour là, il avait mis en balance la vérité sur la disparition et l'image de l'Eglise. Il a fait un choix. Depuis ce jour, il a permis au silence et à l'omerta de régner», affirme-t-il.

Trente ans plus tard, c'est le pape François qu'il rencontre brièvement, quinze jours après son élection, en se rendant à une messe en compagnie de sa mère. «Il nous a dit seulement une phrase, d'abord à ma mère, puis à moi : "Emanuela est au ciel", raconte Pietro Orlandi. «J'ai dit "j'espère qu'elle est encore en vie et que vous allez m'aider à arriver à la vérité". Et il m'a répété "Emanuela est au ciel".

«Un pape, un chef d'Etat, alors qu'une enquête encore ouverte ne permet pas de conclure si Emanuela est vivante ou morte, me dit qu'elle est morte. A ce moment là, je me suis dit qu'il savait quelque chose de plus que nous», analyse Pietro, qui n'a jamais pu revoir le pape ces six dernières années.

Il sourit lorsqu'il évoque sa petite sœur qui étudiait le pianoforte et la flûte, rêvant de devenir une musicienne célèbre. «Elle m'a dit en parlant de ses aptitudes musicales "un jour je serai dans tous les journaux". Malheureusement, elle s'y est retrouvée pour d'autres raisons».

Mystère

Pour percer l'épais mystère, la justice italienne avait donné son feu vert en 2012 à l'ouverture dans une basilique de Rome de la tombe d'Enrico de Pedis, ancien chef de la bande de la Magliana, qui a terrorisé Rome dans les années 1970-1980. La tombe ne contenait toutefois que la dépouille de l'homme tué en 1990 dans un règlement de comptes.

La sépulture du «boss», soupçonné d'être lié à la fois à la mafia, à la loge maçonnique P2 et à des secteurs de la finance du Vatican, avait été transférée la même année dans la basilique, un privilège rare facilité par un prêtre qui l'avait connu en prison. Une ex-maîtresse du malfrat avait soutenu aux enquêteurs qu'Enrico de Pedis avait enlevé la jeune fille, dont le corps avait été coulé dans le béton.

Selon certaines thèses, l'adolescente aurait été enlevée par le groupe criminel pour recouvrer un prêt auprès de l'ancien président américain de la banque du Vatican (IOR), Paul Marcinkus. D'autres affirment qu'elle aurait été kidnappée pour arracher la libération de Mehmet Ali Agca, le Turc qui avait tenté d'assassiner le pape Jean Paul II en 1981. Mais rien n'a jamais été prouvé.

AFP