mardi 21 mai 2019
Le « sabotage » de navires au large des Émirats serait « très probablement » le fait de l’Iran
Si les attaques menées par les rebelles yéménites Houthis [appuyés par l’Iran] contre des cibles situées en Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis sont régulièrement évoquées par la presse, les atteintes à la navigation maritime en mer Rouge, et plus particulièrement à proximité du détroit de Bab el-Mandeb, le sont beaucoup moins. Et pourtant, elles ne sont pas rares, à en juger par le rapport du groupe d’experts des Nations unies sur le Yémen, publié en janvier dernier.
« En 2018, les risques pesant sur la sûreté maritime dans la mer Rouge sont restés très élevés. Bien que le nombre d’atteintes à la sûreté n’ait pas été supérieur à celui de l’année précédente, les risques pesant sur les navires civils ont augmenté, les forces houthistes employant des systèmes d’armes de plus en plus complexes pour attaquer les pétroliers battant pavillon saoudien », lit-on dans ce rapport [.pdf].
Ainsi, les rebelles Houthis disposent de missiles anti-navires qui, appelés « Al-Mandab-1 », sont en réalité des C-801 et C-802 de facture chinoise. A priori, ces engins auraient été prélevés dans l’arsenal des forces armées du Yémen.
Du moins, c’est ce que prétend le gouvernement yéménite, lequel a expliqué que ces missiles lui avaient livrés avant l’embargo sur les armes. Toutefois, la Chine a assuré au groupe d’experts « n’avoir exporté aucun missile C-802 au Yémen. »
Quoi qu’il en soit, « ‘l’utilisation de ces missiles prouve que les forces houthistes sont en mesure de faire peser une menace réelle sur la navigation commerciale dans la mer Rouge. Le Groupe d’experts est d’avis que les forces houthistes ont eu recours à la fois à l’observation visuelle [depuis la terre et à bord de skiffs] et à un radar mobile installé au sol pour acquérir leurs cibles », avance le rapport.
Outre les traditionnelles mines navales, les Houthis ont recours à un mode opératoire bien rôdé depuis l’attaque d’une frégate saoudienne appartenant à la classe Al-Madinah, en janvier 2017. En effet, une embarcation chargée d’explosifs est barrée à distance depuis un skiff qui sert de « bateau-mère ». C’est ainsi que l’Arsan, un navire battant pavillon saoudien, a été gravement endommagé, le 24 juillet 2018.
Ces actions, prêtées aux rebelles Houthis, restent insuffisantes pour parler d’un « blocus » étant donné qu’elles ne visent que les navires saoudiens et émiratis. Cependant, pour le groupe d’experts, « il ne faut pas sous-estimer les répercussions économiques de cette situation ». D’autant plus que des « erreurs de calcul » sont possibles, comme l’a montré l’attaque du vraquier turc Ince Inebolu, le 10 mai 2018. Ce dernier acheminait des céréales vers le Yémen quand il fut touché par un missile qui visait, vraisemblablement, le super tanker saoudien « Manifa. »
Cela étant, 12 mai dernier, quatre navires civils [dont les saoudiens Al-Marzoqah et Amjad, l’émirati A. Michel et le norvégien Andrea Victory], ont fait l’objet d’un « sabotage » [pour reprendre le mot utilisé par Abu Dhabi] au large de l’émirat de Fujairah [Émirats arabes unis], au sud du détroit d’Ormuz, lequel est un autre point névralgique pour les échanges d’hydrocarbures. Et cela, dans un contexte marqué par de fortes tensions entre Téhéran et les Washington, l’administration Trump ayant affiché la volonté de réduire à zéro les exportations pétrolières de Téhéran et renforcé la présence militaire américaine dans le Golfe arabo-persique en réponse à des « menaces iraniennes ».
Très peu de détails sur ces « sabotages » ont été rendus publics. La compagnie Thome, qui a affrété le tanker Andrea Victory, a seulement indiqué que le navire avait été « touché par un objet indéterminé » qui a fait un trou à l’arrière de sa coque, le long de la ligne de flottaison. Selon une vidéo ayant circulé sur les réseaux sociaux, certains ont avancé que ce dommage aurait pu être causé par une mine limpet [ou patelle] posée par des nageurs de combat.
De son côté, le ministre saoudien de l’Énergie, Khaled al-Falih, a fait état de « dégâts importants » sur les deux pétroliers du royaume visés. Mais il n’en a pas précisé la nature exacte.
Le 16 mai, interrogé sur cette affaire étant donné que la France y est partie prenante puisqu’elle participe à l’enquête internationale ouverte après les faits, le porte-parole de l’État-major des armées [EMA], le colonel Patrik Steiger, a simplement répondu qu' »aucune conclusion formelle n’avait été tirée à ce stade. » Au regard de la situation dans le Golfe, la prudence est de mise. Même les Émirats arabes unis, concernés au premier chef, ont appelé à ne pas envenimer la situation.
Cependant, selon une « évaluation » du renseignement américain, il est « hautement probable » que l’Iran ait été à l’origine de ces « actes de sabotage ». Du moins, c’est qu’ont confié, le 17 mai, trois responsables à NBC News. « Les États-Unis ont des preuves, y compris des photos des dégâts et des éléments matériels liant l’Iran ou ses mandataires » à ces attaques, a assuré l’un d’eux.
Mais le renseignement américain n’est pas le seul à faire une telle évaluation. Tel en effet le cas de l’association mutualiste DNK [Den Norske Krigsforsikring for Skib], qui assure les navires norvégiens contre le risque de guerre dans le monde entier.
Selon une évaluation confidentielle de la DNK évoquée par l’agence Reuters, le Corps des Gardiens de la révolution iraniens [IRCG] a « très probablement » facilité ces actes de sabotage commis au large du terminal de Fujairah, en ayant recours à un navire de surface pour diriger des drones sous-marins chargés d’assez d’explosifs pour provoquer les dégâts constatés sur l’Andrea Victory.
La DNK a fondé son évaluation sur plusieurs éléments. Le premier est que l’IRCG a fourni aux rebelles Houthis un tel mode opératoire, à la différence que les Gardiens de la révolution ont utilisé un drone sous-marin à la place de « drones de surface », capables de se positionner avec précision sur des coordonnées GPS. Le second est la « similarité » entre les petits fragments générés par l’explosion découverts sur le pétrolier Andrea Victory et ceux retrouvés lors d’attaques du même ordre en mer Rouge.
Enfin, le dernier élément avancé est que l’Iran avait déjà menacé de recourir à la force dans le secteur d’Ormuz. « Nous sommes le garant de la sécurité de ce détroit depuis toujours, ne jouez pas avec la queue du lion, vous le regretterez », avait ainsi prévenu Hassan Rohani, le président iranien, en s’adressant aux États-Unis, en juillet 2018.
Pour la DNK, face à un adversaire puissant, l’Iran choisirait « très probablement » de mener des actions « asymétriques », susceptible d’être aisément démentie. Aussi, pour l’assureur norvégien, il est possible que le but des attaques contre les 4 navires était de « faire comprendre aux États-Unis et à leurs alliés que l’Iran n’avait pas besoin de bloquer le détroit pour perturber la liberté de navigation dans la région. »
Pour le moment, cela aura certainement pour conséquence de faire augmenter les primes d’assurance pour le transport maritime dans les environs du détroit d’Ormuz et du golfe d’Oman, les assureurs du Lloyd’s of London ayant annoncé, la semaine passée, leur décision de placer ces régions parmi celles les plus concernées par les risques de « conflit naval, piraterie, terrorisme et périls associés. »
Le fait que Fujairah ait été visé est aussi une façon d’adresser un avertissement aux monarchies sunnites du Golfe, dont l’économie repose quasi-exclusivement sur l’exportation de pétrole. Or, pour contourner un éventuel blocus du détroit d’Ormuz, les Émirats lancèrent, en 1978, la construction de port. Aujourd’hui, ses deux terminaux ont la capacité de faire transiter plus de 50 millions de tonnes de pétrole par an. Et son installation de stockage peut contenir jusqu’à 70 millions de barils. D’où l’importance d’y garantir la sécurité des navires…