L'Etat islamique tente de compenser la disparition de son «califat» physique auto-proclamé en Syrie et en Irak en renforçant leur présence sur la Toile, estiment des experts.
L'organisation djihadiste essaie ainsi de prouver qu'elle n'a pas disparu et de motiver des volontaires pour passer à l'action de leur propre initiative. Elle compte sur ses organes de propagande officiels ou - et c'est sa grande force - sur des cyber-partisans plus ou moins anonymes répartis dans le monde entier.
«Cela a commencé en avril avec la campagne qu'ils ont appelée 'la revanche de la province bénie du Cham', qui a été pas mal partagée en ligne. Il y a un élan récent», assure à l'AFP Laurence Bindner, co-fondatrice du Jos Project, organisation d'étude de l'activité djihadiste en ligne.
«Le message est clair», ajoute-t-elle. «C'est de dire : 'Nous sommes toujours là, vous n'êtes pas débarrassés de nous'. Ils disposent de nombreuses fondations médiatiques, qui sont plus ou moins liées à l'EI, qui vont traduire et diffuser des vidéos de propagande. Elles peuvent être fermées, recréées et remplacées en quelques heures. Il y a tout un continuum».
La diffusion le 30 avril, pour la première fois depuis cinq ans, d'une vidéo de dix-huit minutes de son chef Abou Bakr al-Baghdadi a eu une répercussion mondiale, déclinée et diffusée sous différentes formes par de nombreuses plateformes.
Chevaliers des médias
«Cette vidéo a été traduite, sous-titrée en une vingtaine de langues», ajoute Laurence Bindner. «Puis ils en ont fait une vingtaine de ce que j'appelle des produits dérivés, nichés dans des plateformes plus obscures, ou il y a moins de signalements et où ils parviennent à rester en ligne plusieurs jours».
«Ce qui est frappant, c'est que sur une vidéo de 18 minutes, Baghdadi fait dès la troisième minute l'éloge de ce qu'il appelle les chevaliers des médias, parmi lesquels il cite notamment les frères français Clain. Cela montre l'importance qu'il y accorde. Cet éloge arrive avant celui des soldats et des combattants de terrain», poursuit-elle.
Dans un récent rapport, le cabinet d'analyse américain Soufan Group écrit que «le califat territorial a entièrement disparu. Mais le message de l'EI résonne encore auprès de ses partisans dans le monde entier. Le groupe va continuer de promouvoir son récit par le flux constant d'une propagande efficace».
Pas d'essoufflement Certains organes en ligne officiels de l'EI ont cessé d'émettre, notamment depuis la reprise par la coalition internationale de la ville de Raqa, en Syrie, où une grande partie des médias djihadistes étaient basés. D'autres se sont maintenus malgré la défaite militaire.
Son principal hebdomadaire, al-Naba, «est paru sans relâche toutes les semaines, entre jeudi soir et vendredi matin, avec des éditoriaux, des posters», précise Laurence Bindner. «Une saisie de l'armée irakienne dans une ville d'Irak n'a retardé sa sortie que de quelques heures».
Selon elle, une dizaine de vidéos officielles de l'organisation ont été mises en ligne depuis le début de l'année, un chiffre à peine inférieur à ce que les cellules médiatiques de l'EI produisaient aux plus beaux jours du «califat».
«Le califat de l'esprit»
Selon le Soufan Group, le groupe va «utiliser la nostalgie» du califat perdu «comme un outil multi-dimensionnel qui sera décliné au niveau mondial, au niveau des provinces via les unités médiatiques de ces mouvements affiliés et même au niveau individuel, grâce à ses réseaux sous-terrains».
Dans le numéro d'avril de CTC Sentinel, la revue du Combating Terrorism Center de l'académie militaire américaine de West Point, le chef de l'équipe de surveillance de l'EI et d'Al Qaïda aux Nations unies, le britannique Edmund Fitton-Brown, estime que «les médias sont très importants» pour les dirigeants du groupe djihadiste.
«Ils veulent être sûrs que leur message passe», ajoute-t-il. «Et ils y sont parvenus malgré la pression exercée sur eux (...) Ils évoquent parfois ce qu'ils appellent le califat de l'esprit, ou le califat virtuel».
ATS