Lady Death photographiée quelques minutes avant de recevoir le titre de Héros de l’Union soviétique (1943)
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Pour Lioudmila Pavlitchenko, tuer des nazis n’avait rien de foncièrement compliqué. Comme elle l’expliqua à l’occasion d’une conférence de presse donnée aux États-Unis « Le seul sentiment que j’éprouve, c’est la grande satisfaction que peut ressentir un chasseur lorsqu’il abat sa proie ».
Lioudmila Pavlitchenko n’était pas qu’un simple soldat : c’était la plus grande femme sniper de l’histoire et l’une des tireuses d’élite les plus prolifiques de tous les temps. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, elle tua 309 nazis pour le compte de l’armée soviétique, ce qui lui valut le surnom approprié de « Lady Death ». Son incroyable notoriété lui permit ensuite de donner des conférences en Amérique du Nord et en Grande-Bretagne, où elle se lia d’amitié avec Eleanor Roosevelt et évoqua l’égalité des sexes devant des journalistes médusés.
Née à Bila Tserkva en 1916, un village ukrainien faisant à l’époque partie de l’Empire russe, Pavlitchenko était une enfant turbulente possédant une véritable âme de compétitrice. Quelques années plus tard, elle déménagea à Kiev avec ses parents, et entendit le fils de ses nouveaux voisins se vanter de ses talents de tireur, ce qui la motiva à rejoindre le club de tir local. Comme elle l’expliqua plus tard : « J’ai voulu lui prouver qu’une fille pouvait faire aussi bien que lui. Je me suis beaucoup entrainée ».
Environ 2 000 femmes tireuses d’élite combattirent pour l’armée soviétique durant la Seconde Guerre mondiale
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En plus d’être tireuse amateur, l’adolescente Pavlitchenko travaillait également dans une fabrique d’armes. Vers l’âge de 16 ans, elle épousa un médecin et donna naissance à un fils, Rostislav, mais leur mariage fut de courte durée. En 1937, Elle commença à étudier l’histoire à l’Université de Kiev, tout en suivant en parallèle une formation de sniper. Lorsque les forces allemandes envahirent l’Union soviétique en 1941, Pavlitchenko décida de quitter l’université, espérant être enrôlée au sein la 25e Division de fusiliers de l’Armée rouge.
Seul problème : Lioudmila Pavlintchenko était une femme, et ces dernières étaient à l’époque reléguées à des rôles de soutien.
Les chefs de l’armée souhaitaient au départ que Pavlitchenko soit infirmière, mais après avoir longuement plaidé auprès d’un registraire, elle put s’enrôler comme tireuse d’élite grâce à l’entrainement rigoureux qu’elle avait suivi. Cependant, en raison d’une pénurie d’armes à feu, elle passa ses premiers jours de service à creuser des tranchées. Comme elle l’écrivit dans ses mémoires : « C’était très frustrant d’avoir à observer le déroulement d’une bataille armée d’une seule grenade ». Lorsque l’un de ses camarades fut blessé par un éclat d’obus, elle récupéra son fusil à lunette. Quelques semaines plus tard, elle tira sur deux soldats roumains à 400 mètres de distance, ce qui lui servit de « baptême du feu », et lui permit de se faire un nom au sein de sa division de tireurs d’élite.
Pavlitchenko devint l’une des 2 000 tireuses d’élite soviétiques qui combattirent durant la Seconde Guerre mondiale (sachant que les femmes soldats ne représentaient alors que 2 % des effectifs de l’Armée rouge). Pavlitchenko tua des centaines de combattants ennemis à Odessa, en Moldavie et à Sébastopol. « Nous avons fauché les soldats d’Hitler comme du grain mûr », déclarerait-elle plus tard. Finalement promue lieutenant, elle passa ensuite des mois à tuer des éclaireurs, des officiers et au moins 36 tireurs d’élite des forces de l’Axe.
Pavlitchenko était tellement déterminée que même le choc des obus et les multiples blessures causées par les tirs ennemis ne parvinrent à la décourager. Les pots-de-vin non plus : Après que les soldats allemands eurent appris ses prouesses au tir, ils essayèrent de la retourner contre sa patrie en lui offrant du chocolat et la promesse d’un grade d’officier dans l’armée allemande. Essuyant un refus catégorique, les Allemands menacèrent ensuite de la découper en 309 morceaux, son nombre de morts confirmés. L’offre l’aurait ravie, car elle signifiait que son compte était largement connu, mais sa détermination ne faiblit jamais.
Mais après que des éclats d’obus eurent frappé Pavlitchenko au visage au cours de l’été 1942, ses supérieurs décidèrent de la retirer des combats et la chargèrent de former des tireurs d’élite novices. On lui confia également un autre rôle : celui de propagandiste de guerre.
Fin 1942, Pavlitchenko se rendit aux États-Unis afin de galvaniser le moral de troupes américaines sur le point d’être envoyées en Europe. L’une de ses premiers haltes fut la Maison Blanche, qu’elle devint la première citoyenne soviétique à visiter. Elle rencontra le président Franklin Roosevelt ainsi que sa femme Eleanor, avec qui elle développa de forts liens d’amitié : la première dame invita Pavlitchenko à effectuer une tournée à travers tous les États-Unis afin d’évoquer ses faits d’armes.
À l’occasion de son voyage aux États-Unis fin 1942, Pavlitchenko fait la connaissance d’Eleanor Roosevelt © Library of Congress/Wikimedia Commons
S’adressant par l’intermédiaire d’un traducteur à des spectateurs venus par milliers, Pavlitchenko parla de son enfance et de ses triomphes en tant que sniper. Lors d’une conférence à Chicago, elle aurait notamment déclaré : « J’ai 25 ans et j’ai déjà tué 309 occupants fascistes. Ne pensez-vous pas, messieurs, que vous évoluez dans mon ombre depuis trop longtemps ? ».
La presse américaine eut de son côté plus du mal à prendre Pavlitchenko au sérieux. Les journalistes la décrivaient comme une simple « femme soldat » et se concentraient sur son apparence physique, dénigrant son uniforme militaire vert et encombrant et son maquillage minimaliste. Au lieu de lui poser des questions sur ses compétences militaires, les journalistes préféraient l’interroger sur le vernis à ongles, la coiffure des femmes soviétiques et les raisons de son absence de maquillage. Ce à quoi elle répondait : « Il n’y a pas de règle contre cela. De toute manière, qui penserait à se repoudrer le nez au beau milieu d’une bataille ? ».
Timbre poste de 1976 rendant hommage à la tireuse d’élite © Wikimedia Commons
Pavlitchenko se lassa rapidement de ces interrogations machistes, comme elle l’expliqua à un journaliste :
« Je suis stupéfaite du genre de questions que m’ont posées les correspondants de la presse à Washington. Ne savent-ils pas qu’il y a une guerre en Europe ? Ils m’ont posé des questions idiotes telles que : est-ce que j’utilise de la poudre, du rouge à lèvres et du vernis à ongles et est-ce que je frise mes cheveux ? Un journaliste a même critiqué la longueur de la jupe de mon uniforme, arguant qu’en Amérique les femmes portent des jupes plus courtes et que mon uniforme me faisait paraître grosse. Cela m’a mise en colère. Je porte mon uniforme avec honneur. Il porte l’Ordre de Lénine. Il a été couvert de sang au combat. Il est évident que, dans le cas des Américaines, l’important est de savoir si elles portent des sous-vêtements en soie sous leur uniforme. Ce que représente réellement l’uniforme, ils ne l’ont pas encore compris. »
Comparant la parité aux États-Unis et en Union soviétique, elle déclara également à l’occasion d’une de ses conférences : « Aux États-Unis, on me considère un peu comme une curiosité, un sujet de manchettes de journaux, de faits divers. En Union soviétique, je suis considérée comme une citoyenne à part entière, une combattante, un soldat pour mon pays ».
Pavlitchenko finit par retourner en Union soviétique pour continuer à entraîner d’autres tireurs d’élite. Malgré une position relativement privilégiée en tant que figure héroïque, elle dût composer avec les effets durables de ses blessures et de ses démons personnels : l’alcoolisme, ce que nous pourrions appeler aujourd’hui le syndrome de stress post-traumatique, et les souvenirs d’un amant mort en première ligne, dans ses bras, au début de l’année 1942.
Lioudmila Pavlitchenko photographiée dans une tranchée en 1942 © Wikimedia Commons
À la fin du conflit, Pavlitchenko obtint son diplôme d’Histoire à l’Université de Kiev et travailla pour le compte de la marine soviétique. En 1957, elle retrouva Eleanor Roosevelt lors d’une visite de l’ancienne première dame en URSS. Lady Death mourut à Moscou en 1974, à l’âge de 58 ans, et l’Union soviétique lui rendit hommage en la décorant à titre posthume et en publiant deux timbres-poste à son effigie. Un long métrage ukraino-russe racontant sa vie, intitulé Battle for Sevastopol, fut tourné en 2015, et ses mémoires, Lady Death : The Memoirs of Stalin’s Sniper, traduites du russe furent publiées début 2018.
Yann Contegat