Le cas de la province syrienne d’Idleb est épineux. Échappant au contrôle de Damas, cette région abrite à la fois des rebelles soutenus par Ankara, réunis au sein du « Front national de libération » [FNL], et des groupes jihadistes alliés ou affiliés à l’organisation Hayat Tahrir al-Cham [HTS], l’ex-branche d’al-Qaïda en Syrie.
Déclarée « zone de désescalade » dans le cadre des accords d’Astana qui, signés par la Russie, l’Iran et la Turquie, ne concernaient pas les mouvements jihadistes, la province d’Idleb a servi de refuge aux rebelles syriens au fil des succès militaires obtenus par Damas.
« Chaque fois que le régime de Bachar-al-Assad, appuyé par les Russes, parvient à résorber une poche, il le fait en permettant l’évacuation et le regroupement des mouvements terroristes les plus durs dans cette poche d’Idleb », avait ainsi expliqué le général François Lecointre, le chef d’état-major des armées [CEMA], lors d’une audition parlementaire, en juillet 2018.
D’où la crainte du CEMA de voir cette province devenir une base à partir de laquelle les organisations jihadistes « n’auront d’autre souci que d’organiser des actions en Europe et en France en particulier. »
Durant l’été 2018, Damas et Moscou ont affiché leur volonté de « vider » cet abcès. Seulement, une offensive dans cette région aurait provoqué une crise humanitaire d’une ampleur « encore jamais vue tout au long » de la guerre civile syrienne, pour reprendre les mots de John Ging, haut responsable du Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU [OCHA]. De quoi faire craindre à Ankara un afflux massif de réfugiés sur son territoire… ainsi qu’une déroute des groupes rebelles soutenus par les forces turques.
En septembre, la Russie et la Turquie ont alors trouvé un accord au sujet d’Idleb, avec l’instauration d’une « zone démilitarisée » de 15 à 20 km de large et le retrait des « armes lourdes » de « tous les groupes de l’opposition ». Seulement, ces dispositions n’ont été que partiellement appliquées, les jihadistes ne s’étant pas retirés de cette zone tampon qui devait séparer les secteurs tenus par les insurgés des régions contrôlées par Damas.
C’est donc dans ce contexte que Hayat Tahrir al-Cham a lancé, ces derniers jours, une série d’assauts contre les autres factions rebelles du FNL. À l’issue des combats, qui ont fait plus de 130 tués, l’organisation jihadiste a pris le contrôle d’une cinquantaine de localités et de villages, notamment dans l’ouest de la province d’Alep.
Et le FNL a visiblement rendu les armes face au HTS… étant donné que les deux organisations ont conclu un accord donnant le contrôle de la province d’Idleb aux jihadistes.
« Ce matin [10 janvier], HTS et le FNL ont signé un accord mettant fin aux hostilités et établissant le contrôle du gouvernement du salut sur l’ensemble » d’Idleb, a en effet annoncé l’ex-branche d’al-Qaïda en Syrie. Or, ce « gouvernement de salut » est le nom de l’administration locale qu’elle a mise en place dans cette province.
Cité par l’AFP, Thomas Pierret, chercheur de l’Institut de Recherches et d’Études sur les Mondes Arabes et Musulmans [CNRS-IREMAM] explique la stratégie de HTS est « d’apparaître comme un fait accompli qu’on ne peut plus vraiment contester, c’est-à-dire la force dominante, voire la force hégémonique », avec l’objecfif de montrer « acteurs internationaux plutôt hostiles au groupe » qu’on ne peut « rien faire pour déloger » l’organisation jihadiste d’Idleb.