Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

lundi 16 juillet 2018

Entretien d'Abu Wael al-Swissri détenu à Qamishli


Depuis plus d'une demi-année, Abu Wael al-Swissri est détenu à Qamishli, en Syrie, par la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG). Chez lui, à Lausanne, le jeune homme de 25 ans est connu sous un autre nom: A. B.* Pendant longtemps, on ignorait où il se trouvait. Nos confrères de «20 Minuten» sont parvenus à le retrouver. Ils ont pu parler deux heures avec lui.

«Ça va faire trois ans que je n'ai plus vu de Suisses! Je suis content de pouvoir vous parler. Ça me donne l'impression qu'on ne m'oublie pas ici.» Le Suisse aux racines bosniennes explique s'être converti à l'islam en 2013. Il dit s'être radicalisé après avoir rencontré des extrémistes bosniens à Lausanne, plus précisément dans la mosquée de Prélaz. En 2015, il a épousé sa femme Selina*, une Suissesse aux racines bosniennes elle aussi. Tout comme lui, elle vivait à Lausanne. Son épouse se trouve actuellement au nord de la Syrie, dans un camp fermé pour les familles de combattants du groupe Etat islamique (EI).

«Je me suis rendu compte que c'était une grosse erreur»

C'est via Twitter qu'A. et Selina sont entrés en contact avec un recruteur de l'EI. Il leur a dit de rejoindre Gaziantep, en Turquie, en passant par Istanbul, Antalya et Alanya. En 2015, le couple s'est finalement rendu en Syrie.

«Après trois jours, je me suis rendu compte que c'était une grosse erreur», assure A. «Le premier jour, ils nous ont laissé dormir. Le deuxième jour, ils nous ont pris nos passeports et le troisième jour ils m'ont demandé quel rôle je voulais jouer.» Et d'ajouter: «Ils ont refusé de m'envoyer à l'école du coran et m'ont dit que j'étais là pour mourir. Au début, j'ai cru qu'ils faisaient une blague.»

Rapidement, A. a été séparé de son épouse. L'EI avait pour projet de le former au combat. «Je m'y suis opposé. Je ne voulais pas combattre, mais ils m'ont dit que c'était mon devoir. Je leur ai dit que je voulais rentrer à la maison. Tout ce qu'ils ont fait c'est rire.»



«Je ne sais plus ce que je dois croire»

Tout au long de l'entretien avec notre collègue de «20 Minuten», A. n'a cessé de répéter qu'il n'avait jamais combattu pour l'EI et qu'il n'a jamais tué personne. Comme de nombreux autres membres de l'Etat islamique désormais prisonniers, il assure être une victime, une personne naïve.

Une vie dans le «califat» justifie-t-elle toutes les atrocités commises par l'EI? «Non», répond le jeune homme de 25 ans sans pour autant trop insister. Il précise cependant: «Vous comprenez, l'EI fait miroiter un monde plein de possibilités pour les musulmans. Je croyais m'engager dans un combat juste.» Et vous le croyez toujours maintenant? «Non. Je ne sais plus ce que je dois croire.»

Après avoir terminé son entraînement, A. explique avoir rejoint le bataillon Tariq bn Ziad. Cette unité est exclusivement composée d'étrangers. «Il y avait des gens du Portugal, d'Espagne, beaucoup de Belges et des Français. On était au moins 300 étrangers. J'étais le seul Suisse.» A. explique ne jamais avoir voulu se battre. Raison pour laquelle, il aurait rapidement fait partie de la catégorie des «Mutasaib», soit des personnes qui ne sont pas disciplinées et qui ne respectent pas la loi.

«J'ai de gros trous de mémoire»

Des documents saisis en janvier 2017 par l'armée irakienne à Mossoul confirment du moins en partie la version livrée par A. Selon ces documents, le Lausannois aurait justifié son refus de combattre en avançant des problèmes à un genou. Or les papiers indiquent aussi qu'A. est capable de manier des lance-roquettes et des mitrailleuses. Lui avait pourtant assuré à nos confères qu'il savait uniquement se servir d'une kalashnikov. Interrogé à ce sujet, Abu Wael al-Swissri répond: «J'ai de gros trous de mémoire depuis que j'ai rejoint l'EI. Mais je suis certain que je n'ai jamais tué personne.»

Le jeune homme explique qu'au bout d'un certain temps, lui et sa femme ont décidé de fuir le groupe extrémiste. En janvier de cette année, le couple a finalement été arrêté par la milice YPG. A. explique à «20 Minuten» qu'il souhaite retourner en Suisse. «Si je dois encore rester plusieurs années ici, je préfère mourir d'une balle dans la tête.» Et d'ajouter: «Je suis prêt à payer pour ce que j'ai fait. J'irai aussi dix ans en prison en Suisse s'il le faut.» Pour finir, le Suisse explique que son voyage en Syrie était la plus grosse erreur de sa vie. «Je regrette d'avoir rejoint les rangs de l'EI.»

Radicalisée à Renens, elle raconte depuis sa prison 

«J'étais trop stupide... Je pensais y aller, voir ce que c'était, et que si je n'aimais pas, je reviendrais. Mais quand tu y arrives, t'es piégée et tu ne peux pas partir». Voici quelques-uns des mots que Selina S., 29 ans, ancienne étudiante en droit à l'UNIGE ou à l'UNIL -l'histoire ne le précise pas-, a confié au journaliste d'investigation de Tamedia Kurt Peld. Selina S., aujourd'hui 29 ans, d'origine bosnienne, naturalisée suisse, fait partie des 100 femmes étrangères retenues dans cette prison féminine du nord-est de la Syrie qui compte 370 femmes et 700 enfants. Son tort? Avoir voulu rallier la Turquie pour fuir l'Etat islamique qu'elle avait rejoint en 2015 avec son mari A., Lausannois de 25 ans. Aujourd'hui, tout comme son époux, Selina demande une deuxième chance à la Suisse et s'inquiète pour la santé de son enfant de 15 mois.

*Noms d'emprunt

Ann Guenter