Le 3 octobre 2017, un groupe de 30 militaires nigériens du Bataillon Sécurité et Renseignement (BSR) et 12 Américains des Special Forces quitte la base de Ouallam et se met en route vers le nord de la région de Tillabéri, à la recherche de renseignements sur un lieutenant d'Adnane Abou Walid al-Sahraoui, le chef de l'État islamique dans le Grand Sahara.
Selon la version officielle des États-Unis, cette troupe était chargée de mener une patrouille de reconnaissance ; mais selon ABC News et Le Monde, en cours de route cette patrouille s'est transformée en une mission de combat : l'objectif étant de capturer « mort ou vif » le chef djihadiste Ibrahim Ousmane, dit Dondou Chefou. D'après ABC, la CIA est également impliquée dans l'opération.
La patrouille passe la nuit à Tilwa, à vingt kilomètres de la frontière avec le Mali. Mais le lendemain matin, alors qu'elle s'apprêtait à regagner Ouallam, elle aurait été alertée de la présence du chef djihadiste Dondou Chefou, dans une zone plus à l'ouest. Les militaires nigériens et américains se rendent alors au village de Tongo Tongo, situé à 90 kilomètres au nord de Ouallam et dont la population est majoritairement issue du peuple des Zarmas.
Ils traversent le village une première fois et entrent brièvement au Mali où ils détruisent un campement et des motos suspectes. Ils regagnent ensuite Tongo Tongo et y restent deux heures.
Ils rencontrent le chef de village et des habitants qui seront par la suite suspectés d'avoir retenus les soldats pour laisser le temps aux djihadistes de préparer l'embuscade. Venus du Mali, au moins un cinquantaine, peut-être jusqu'à une centaine de combattants, avec plusieurs dizaines de véhicules et de motos, prennent position.
Les combats s'engagent aux alentours de midi. L'attaque est menée en deux temps : une première embuscade est menée afin d'attirer les soldats nigériens et américains dans un second guet-apens près de la localité d'Akabar. Selon Le Monde « Les assaillants sont embusqués dans un bois dense d’acacias et d’eucalyptus, la végétation était généreuse dans cette zone alimentée par des affluents du Niger ». Les djihadistes ouvrent le feu avec des mitrailleuses et tirent des obus de mortiers ; les soldats nigériens et américains répliquent. Selon RFI : « Le combat, dit-on, a été d’une rare violence ».
Une heure après le début des combats, les militaires américains et nigériens lancent un appel pour demander des renforts. Deux avions Mirage de l'armée française sont envoyés dans la zone des combats ; ils y arrivent après 30 minutes officiellement, mais ne peuvent intervenir, les forces au sol étant trop imbriquées.
Les avions font alors un « show of force », des passages à basse altitude pour impressionner l'ennemi, ce qui aurait suffit pour faire décrocher les djihadistes.
Deux hélicoptères français Puma arrivent ensuite sur place pour extraire les blessés nigériens et américains, ainsi que les soldats nigériens morts, en direction de Niamey. Les corps des soldats américains sont quant à eux emporté par Berry Aviation, un sous-traitant de l’armée américaine. Des opérations de ratissage sont ensuite organisées pendant la nuit.
Les pertes
L'armée nigérienne déplore quatre morts et huit blessés selon un communiqué du ministère nigérien de la Défense, publié le lendemain de l'attaque. Le bilan est ensuite rehaussé à cinq morts. Les corps des quatre militaires tués sont enterrés le 7 octobre à Niamey. Quatre véhicules sont également capturés.
Trois militaires américains ont trouvé la mort et deux ont été blessés selon un bilan donné par des sources miliaires de RFI et de l'AFP, et ensuite confirmé par le Commandement des États-Unis pour l'Afrique. Mais le 5 octobre, le corps d'un autre militaire américain est retrouvé, faisant passer le bilan à quatre tués. Selon l'armée américaine, ce dernier est découvert par des militaires nigériens, mais pour ABC News il est en réalité restitué par des villageois à des soldats américains. Les deux blessés américains sont transférés à l'hôpital militaire de Landstuhl, en Allemagne. Les forces françaises ne déplorent pour leur part aucune perte.
RFI indique également que « selon certaines sources, les terroristes auraient perdu plusieurs hommes ». ABC News indique que selon un haut responsable des renseignements américains, 21 djihadistes au moins ont été tués lors des combats. Le général Joseph Dunford, chef d'État-Major des armées des États-Unis, déclare cependant le 23 octobre que les pertes des assaillants sont inconnues.
Conséquences
L'embuscade révèle au grand jour la présence des forces spéciales américaines au Sahel, pourtant connue depuis le début des années 2000. En octobre 2015, le Niger et les États-Unis avaient signé un accord militaire engageant les deux pays « à travailler ensemble sur la lutte contre le terrorisme ». Les Américains s'étaient également engagés à « former les militaires nigériens dans la lutte contre le terrorisme ». En 2017, 6 000 soldats américains sont présents au Afrique, dont 800 au Niger déployés à Niamey où se trouve une base de drones et à Agadez.
Selon Célian Macé, journaliste pour Libération : « C’est la première fois depuis le désastre de la bataille de Mogadiscio, en 1993, que plusieurs militaires américains sont tués au combat sur le sol africain. Et dans un pays où la majorité des citoyens des Etats-Unis ignoraient que leur armée y était engagée ».
Dans les jours qui suivent, l'attaque n'est pas revendiquée, mais le groupe djihadiste actif dans la région, l'État islamique dans le Grand Sahara dirigé par Adnane Abou Walid al-Sahraoui, est le principal suspect. Selon l'enquête menée par des services de sécurité sous-régionaux, des hommes de Boko Haram — l'État islamique en Afrique de l'Ouest — auraient également pris part à l'attaque ; selon une source nigérienne du journal Le Monde, une cinquantaine de djihadistes venus du Nigeria auraient gagné isolément, en empruntant des transport en commun, l'ouest du Niger et le Mali. L'État islamique dans le Grand Sahara revendique l'attaque de Tongo Tongo le 12 janvier 2018.
Quelques jours après l'attaque, le chef du village de Tongo Tongo est arrêté ; il est accusé de complicité avec les djihadistes pour avoir retardé de quelques minutes une réunion entre des chefs locaux et une partie des soldats américains, ce qui aurait permis aux assaillants d'arriver sur place et aurait favorisé leur embuscade.
Une polémique a également lieu aux États-Unis, après un appel téléphonique du président Donald Trump à Myeshia Johnson, la veuve de La David Johnson, un des soldats tués dans l'embuscade. Celle-ci rapporte : « Le président a dit que [ La David Johnson] savait ce pour quoi il s’était engagé, mais ça fait mal. Ça m’a fait pleurer. J’étais en colère à cause du ton de sa voix et de la manière dont il l’a dit. [...] Il ne se souvenait pas du nom de mon mari. La seule raison pour laquelle il s’en est souvenu, c’est parce qu’il m’a dit qu’il avait son dossier sous les yeux, et c’est là qu’il a prononcé le nom “La David”. Je l’ai entendu bafouiller en essayant de se souvenir du nom de mon mari, et c’est ce qui m’a fait le plus mal, parce que si mon mari est là-bas à se battre pour notre pays, s’il a risqué sa vie, pourquoi ne pouvez-vous pas vous souvenir de son nom ? ».
Pour plus de détail; l'excellent article du New York Time