J’ai toujours détesté les boucs émissaires.
Laurent Wauquiez en est devenu un, idéal, et il convient d’admettre qu’il y a mis du sien.
La semaine dernière, il a donné une conférence d’absolue liberté devant les étudiants de l’EM Lyon Business School. Elle n’était, évidemment, possible que si la confidentialité était respectée. Au demeurant, Laurent Wauquiez devait s’abstenir de tout sujet politique (Le Point).
Durant son propos, qui a été qualifié par les étudiants et la direction de spontané et de passionnant, il a dérivé sur trois minuscules extraits polémiques sortis de leur contexte et, en effet, peu gratifiants pour Nicolas Sarkozy, Gérald Darmanin et Emmanuel Macron au sujet de la chute de François Fillon.
Leur diffusion sur TMC a créé le scandale.
Qui peut jeter la pierre à Laurent Wauquiez ?
En tout cas pas l’étudiant gougnafier qui, violant la morale et le règlement intérieur de son école, a enregistré les échanges et les a livrés, sans doute contre paiement, au média concerné.
Pas davantage ce dernier qui, en toute conscience de l’indécence de la manœuvre, a fait son beurre avec ces révélations résultant d’un montage vicié. Et qui continue, à compte-gouttes sadique, à jouir de sa transgression en rapportant que, selon Laurent Wauquiez, on serait en « dictature totale en France », ainsi que des critiques sur Juppé et Valérie Pécresse.
Le feuilleton médiatique va durer longtemps ainsi. On veut faire boire le Wauquiez jusqu’à la lie, jusqu’à l’hallali !
Celui-ci, auquel on reproche d’être cynique, était pourtant bien naïf. Il a encore des illusions, apparemment, sur la nature humaine et sur la rectitude médiatique.
Ce qui a permis de le tourner en dérision a été son affirmation que, pour une fois, il allait parler « vrai » alors que, dans son rôle officiel, il ne proférait délibérément que « des merdes ».
Je considère en effet, comme l’ont souligné Alexis Corbière et François de Rugy, que sa lourde faute est l’affichage ostensible d’un double discours. L’idée qu’il y aurait une parole « politicienne » et une autre authentique réservée à des initiés. Alors que, pour ma part, je suis persuadé que cette approche est catastrophique qui fait du politique un domaine à part qui n’aurait pas à cultiver les belles vertus ordinaires.
En tout cas pas l’immensité des mondes politique et médiatique, toutes tendances confondues, qui, certes sur un mode moins abrupt que le sien, fonctionnent en général exactement comme lui-même en a donné l’exemple. Même avec mon expérience modeste où j’ai toujours proféré ce que je pensais – à mon détriment, parfois, je peux garantir que la norme était d’user un double langage, les essayistes, les politiques et les journalistes se lâchant seulement quand l’émission était terminée.
Je ne suis pas davantage rassuré par l’émotion répandue et les serments les yeux dans les yeux. Le mensonge, en général, s’accommode assez bien de ces artifices.
Je n’irai pas féliciter Laurent Wauquiez pour avoir si cyniquement révélé qu’il y avait les coulisses d’un côté et la scène de l’autre. Il a absurdement permis à ceux qui pratiquaient comme lui mais sans le dire de se pousser du col. L’opprobre sur lui laisse croire que les autres seraient purs.
Il ne reste plus grand monde.
J’écarte l’hypothèse, qui me semble farfelue, d’un « dérapage » organisé par Laurent Wauquiez lui-même.
Je suis étonné par le fait suivant. Laurent Wauquiez s’est, certes, excusé auprès de Nicolas Sarkozy – sans que nous connaissions le détail de sa contrition -, mais je relève cependant que personne ne s’est interrogé sur ce qui aurait dû être l’essentiel avant le lynchage : ses révélations, supputations et dénonciations sont-elles exactes ou non ? Plausibles ou non ?
La charge de Sarkozy à Wauquiez
Le Canard enchaîné rapporte que Nicolas Sarkozy aurait qualifié indirectement Laurent Wauquiez «de grosse merde», après la fuite d’un extrait sonore dans lequel ce dernier évoquait la supposée paranoïa de l’ancien chef de l’Etat.
Nicolas Sarkozy regretterait-il déjà d'avoir appelé les militants des Républicains à ne pas contester la légitimité du nouveau chef du parti de droite ? Une hypothèse fort probable, au regard de l’échange houleux qui aurait eu lieu entre Nicolas Sarkozy et Laurent Wauquiez.
Si l'ancien chef de l'Etat avait officiellement déclaré avoir «pris note» des excuses de Laurent Wauquiez qui l’avait accusé d’avoir mis ses ministres sur écoute, il n’aurait pas totalement digéré ses propos. Selon Le Canard enchaîné à paraître le 21 février, Nicolas Sarkozy n’aurait pas hésité à invectiver le président de la région Auvergne Rhône-Alpes au téléphone.
Sarko quand il passe une soufflante, il y va au char d'assaut
«Beaucoup de monde me disait que tu n'étais qu'une grosse merde. Aujourd'hui, je n'ai d'autre choix que de penser comme eux. Il paraît que tu as des ambitions présidentielles. Si j'étais toi, je trouverais un autre métier», lui aurait-il asséné.
Laurent Wauquiez a été enregistré à son insu lors d’une conférence donnée à l'Ecole de management de Lyon courant février. Plusieurs enregistrements ont été rendus public le 16 et le 19 février par l’émission Quotidien, dans lesquels il ne mâchait pas ses mots en évoquant Nicolas Sarkozy et plusieurs autres collègues de son parti, comme Alain Juppé.
Philippe Bilger