Le sujet de la protection des câbles de communication sous-marin n’est évoqué que du bout des lèves en France. Ainsi, la récente Revue stratégique aborde cette question dans un cadre plus général.
« Les espaces maritimes sont au cœur de tensions croissantes, par leur rôle central dans la mondialisation des flux de toutes natures, y compris numériques (câbles sous-marins), les ressources qu’ils contiennent et le développement des capacités navales et aériennes de frappe à distance. Outre la mer de Chine, où les tensions ont des conséquences dans le Pacifique en général, l’Atlantique Nord, la Méditerranée et l’océan Indien illustrent cette problématique », y est-il affirmé.
En avril, dans son étude prospective « Chocs futurs« , le Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN), a quant à lui seulement souligné que les « câbles sous-marins assurant les communications numériques deviennent par exemple de potentielles cibles dans le jeu des puissances. »
En revanche, au Royaume-Uni, la question de la sécurité de ces câbles sous-marin fait l’objet d’une attention particulière. Début décembre, le centre de réflexion britannique Policy Exchange a publié un rapport sur ce sujet.
Et, selon ce dernier, 97% des communications mondiales et l’essentiel des transactions financières transitent par les 900.000 km de câbles installés sous la mer. Aussi, la moindre perturbation aurait un impact économique potentiellement énorme.
En octobre 2015, le New York Times s’était fait l’écho de l’inquiétude de responsables du renseignement américain devant l’activité de plus en plus importante de sous-marins et autres navires espions russes près de ces câbles sous-marins.
Interrogé sur un éventuel sabotage de ces câbles, le contre-amiral Frederick J. Roegge, alors commandant de la flotte américaine de sous-marins dans le Pacifique, s’était dit « inquiet à propos de ce que font peut-être les Russes. »
D’autant plus que, rappelle le rapport de Policy Exchange, couper les câbles sous-marin de communication pourrait faire partie de la stratégie russe en cas de conflit, comme cela fut le cas lors de l’annexion de la Crimée.
« Ce que la Russie a appris de la Crimée est que, pour interrompre les communications dans une zone cible, vous n’avez pas besoin de cyberarmes coûteuses, de techniques pertubatrices comme les attaques par déni de service. Tout ce dont vous avez besoin est un accès physique à l’infrastructure de communication et une expertise des forces spéciales », a résumé, auprès de la BBC, Keir Giles, du centre de réflexion Chatham House.
Ancien commandant suprême des forces alliées de l’Otan (SACEUR), l’amiral américain James Stavridis, cité par le rapport de Policy Exchange, a déploré le fait que « nous avons permis à cette infrastructure vitale [les câbles sous-marins, ndlr] de devenir de plus en plus vulnérable. » Et d’ajouter : « Cela devrait nous inquiéter tous. »
L’amiral Stavridis a en outre relevé que l’Atlantique, jusqu’alors « caractérié par une quasi-suprématie de l’Otan » est désormais devenu un espace que « la Russie conteste activement au travers d’une doctrine navale renaissante. »
« Si la relative faiblesse de la Russie rend improbable un conflit conventionnel avec l’Otan, les câbles à fibres optiques peuvent constituer pour elle une cible asymétrique. Nous devrions nous préparer à une augmentation des actions hybrides dans le domaine maritime, non seulement de la Russie, mais aussi de la Chine et de l’Iran », a expliqué l’ex-SACEUR.
« Les câbles sous-marins ont généralement installés par des sociétés privées. Bien que cela soit bon pour les contribuables, cela signifie également que la plupart des gouvernements n’ont pas accordé suffisamment d’attention aux câbles sous-marins », a relevé le député conservateur britannique Rishi Sunak dans le rapport de Policy Exchange. « Alors que nous débattons de nos priorités futures en matière de défense, il est primordial de protéger la liberté des mers et toutes les voies de communication. La Grande-Bretagne et ses alliés de l’OTAN doivent veiller à ce que nos capacités maritimes obtiennent l’investissement dont elles ont besoin », a-t-il fait valoir.
Cet avis a été repris par l’Air Chief Marshal Stuart Peach, le chef d’état-major des forces armées britanniques (et futur président du comité militaire de l’Otan). Lors d’une intervention devant le Royal United Services Institute (RUSI), la semaine passée, il a déclaré que la « vulnérabilité des câbles [sous-marins] face au risque de sabotage russe constituait une menace économique potentiellement catastrophique. »
« En plus de ses nouveaux navires et sous-marins, la Russie continue de perfectionner ses capacités non-conventionnelles et la guerre de l’information. Par conséquent, nous devons continuer à développer nos forces navales avec nos alliés pour égaler la modernisation de la flotte russe », a ensuite plaidé le chef d’état-major britannnique.
Cependant, certains jugent peu probable que la Russie soit prête à saboter les câbles sous-marins. Pour la bonne raison qu’elle en subirait également les conséquences économiques. Du moins est-ce l’avis de Keir Giles. Toutefois, a-t-il dit à la BBC, c’est « certainement un scénario pour lequel ils [les Russes] s’exercent. »
Cela étant, la hausse de l’activité des navires russes près de ces câbles sous-marins telle qu’elle a été rapportée peut obéir à une autre motivation : collecter du renseignement, comme le font les Occidentaux, à commencer par les États-Unis qui, pour cela, utiliser le sous-marin USS Jimmy Carter.