C’étaient de braves Helvètes sans histoire, qui vivaient une petite existence tranquille, sans que leur entourage ne se doute de rien. Pourtant, dans le plus grand secret, ils avaient appris à semer leurs poursuivants, disposaient de radio secrètes et pour certains, étaient formés à l’art du sabotage.
Aujourd’hui démobilisés, ces soldats de l’ombre racontent leur appartenance à l’armée secrète suisse, la P-26, chargée d’organiser la résistance en cas d’invasion soviétique pendant la Guerre froide. Sa découverte fut un scandale.
La presse révèle en février 1990 l'existence de la P-26, une «armée secrète» dont seuls quelques membres de l'administration fédérale connaissaient l'existence. Les membres de cette P-26 se recrutent aussi bien dans l'industrie, la finance, l'enseignement que dans l'armée. Certains d'entre-eux sont entraînés au maniement des armes et aux techniques de subversions.
Les conditions d'activation de la P-26 sont un des sujets qui choque particulièrement. En effet, on peut lire dans un rapport de 1982 du chef de l'Etat-major général de l'armée à usage confidentiel (même du Conseil fédéral) ce passage : «Un bouleversement politique intérieur par chantage, subversion et/ou autres activités comparables, constitue apparemment une possibilité [d'engagement]. Dans ce cas également, l'objectif est une occupation de toute la Suisse.»
Efrem Cattelan en 2014. Photo: RDB
Juin 1940 Création, à Lucerne, de la Ligue des officiers, une organisation militaire secrète destinée à contrecarrer une éventuelle capitulation de la Suisse face au IIIe Reich
1957: le divisionnaire Franz Fey dirige sur mandat politique un réseau clandestin
1966: l'organisation de résistance passe au Groupe renseignement et sécurité (GRS)
1976 Nomination d’Albert Bachmann à la tête des services de renseignement suisses.l'organisation se structure sous l'impulsion du colonel Bachmann en un Service spécial, un Service de renseignement extraordinaire et un Service privé (sic)
1979 Création au sein du Département militaire fédéral (DMF) de la P-26. Arrestation de Kurt Schilling, «l’espion qui venait de l’Emmental» à St. Pölten, en Autriche
1980 Albert Bachmann est congédié. Il sera remplacé par Efrem Cattelan, dit Rico, à la tête de la P-26
1981: un groupe de travail des Chambres sous la direction de Jean-Pascal Delamuraz enquête mollement sur l'affaire Bachmann
1979-1980: création de la P-26 et P-27, Georges-André Chevallaz est alors au DMF
1989: L’enquête parlementaire diligentée par le Parlement sur l’affaire Elisabeth Kopp (le mari de la conseillère fédérale est membre de la P-26) démontre l’existence, au sein du Département de justice et police, de la tenue de fichiers sur près de 900 000 personnes. Dans la foulée, l’organisation P-26 du DMF est également découverte. Une enquête parlementaire (CEP-DMF) est aussitôt mise en place.
Janvier-février 1990: révélation sur un fichier de militaires suspectés de «subversion» au DMF
Février 1990: mise en congé de Peter Huber, chef de la police fédérale
26 février: la Schweizeriche Illustriert révèle l'existence d'une «armée secrète» (la P-26) gérée par le Groupe renseignement et sécurité (GRS) au DMF
Mars 1990: instauration d'une Commission d'enquête parlementaire sur le DMF à mandat limité
18 avril 1990: La police découvre le corps sans vie de Herbert Alboth, un cadre de la P-26, assassiné chez lui. Il avait préparé des documents à l’intention du conseiller fédéral Kaspar Villiger au sujet de la P-26. De nombreux documents seront détruits par la police sur conseil d’Albert Bachmann
Mai 1990: démission de Hans Schlup, chef du GRS qui a caché la vérité sur des fichiers à Kaspar Villiger
Août 1990: révélation des noms du conseil parlementaire de «l'armée secrète» dont Jacques-Simon Eggly, libéral romand
Eté 1990: l'affaire Gladio éclate en Italie et la presse fait le lien avec la P-26
La P26 est dissoute "officiellement" le 21 novembre 1990
28 novembre 1990: La CEP-DMF rend son rapport. La Weltwoche dévoile le nom de «Rico», le chef de la P-26, Efrem Cattelan
12 décembre 1990: suppression par Kaspar Villiger de la P-26 et P-27 après la publication par la presse du nom de son chef
Janvier 1991: le Conseil fédéral mandate le juge Pierre Cornu sur d'éventuels liens entre la P-26 et des organisations similaires en Europe occidentale
Septembre 1991: publication d'une partie du rapport Cornu, qui prouve des liens entre la P-26 et les Services secrets anglais
2009 Le Conseil fédéral délie les anciens membres de la P-26 de leur devoir de réserve
2040 La confidentialité sera levée sur les archives concernant la P-26
Armes, explosifs et documents provenant d'un dépôt P-26
Le lundi 11 juillet 2016, un avis mortuaire paru dans la Neue Zürcher Zeitung en a laissé plus d’un abasourdi. Jamais encore la vénérable feuille zurichoise d’information n’avait connu pareil étalement de ressenti, d’amertume, pareille accusation contre un membre retraité du Conseil fédéral. Car c’est bien ainsi que les «amis et camarades» de Hans-Rudolf Strasser, décédé le 23 juin dernier, à peine une semaine avant sa femme, Yvonne, également mentionnée comme camarade de lutte dans le même avis, ont traité Kaspar Villiger, l’ancien chef du Département militaire fédéral (DMF), coupable selon eux d’avoir «chassé de son poste» Hans-Rudolf Strasser, cet «ancien membre émérite de la P-26»… Il n’en fallait pas plus pour que d’anciennes querelles resurgissent, pour que tout un pan de l’histoire suisse, encore largement méconnu, car toutes les sources s’y rapportant éventuellement sont toujours scellées du sceau «secret d’Etat» jusqu’en 2040 au moins, refasse surface.
Hans-Rudolf Strasser était à la fois porte-parole du Département militaire fédéral et membre, sous le nom de code Franz, de l’état-major de la P-26. D'anciens «camarades» de Franz ont publié, en juillet dernier, un avis de décès où ils rappellent son engagement au sein de la P-26 et fustigent – du jamais vu – l’attitude de Kaspar Villiger, qui l’avait «chassé de son poste». Photo: Keystone
Huit cents membres pour 80 cellules
Le décès de Hans-Rudolf Strasser, de son nom de code Franz, interdit désormais à ceux qui s’y intéresseraient de connaître l’avis de l’un des membres éminents de l’état-major, fonctionnel de 1979 à 1990, de l’organisation armée la plus secrète qu’ait connue notre pays au temps de la guerre froide. Tout à la fois porte-parole du DMF, donc directement rattaché à Kaspar Villiger, et bras droit d’Efrem Cattelan, dit Rico, le chef très indépendant de la P-26 Hans-Rudolf Strasser avait été «démasqué» par la radio suisse alémanique en décembre 1990. A cette époque-là, l’existence de la P-26, ses ramifications, ses 800 membres, ses 80 cellules disséminées dans tout le pays et ses bunkers surdotés en armes en tout genre faisaient l’objet d’une enquête parlementaire diligentée par le sénateur Carlo Schmid. Jusqu’alors, un cercle très restreint de personnalités militaires et de hauts fonction-naires de la Confédération avaient été mis au secret.
Le chef de la P-26, Efrem Cattelan, alias Rico (à droite sur la photo) ne rendait des comptes qu’à un cercle très restreint d’officiers, dont le chef de l’état-major général, ici le commandant de corps Heinz Hasler. Photo: Keystone
Ni le Conseil fédéral ni Kaspar Villiger ne connaissaient le nom d’Efrem Cattelan. Quant au Parlement, il n’était apparemment pas au courant des missions ni peut-être même de l’existence de cette véritable armée secrète. Surtout, il n’existait aucune base légale justifiant sa mise sur pied ni bien sûr l’attribution à son fonctionnement de fonds – considérables si l’on songe que, au début des années 80, la P-26 disposait de 1,4 million de francs par année. Cette somme avait ensuite régulièrement augmenté jusqu’à atteindre les 11 millions - pris sur le budget de la Confédération.
Guerre froide et paranoïa
Faute de documents disponibles, hors le rapport de la commission d’enquête parlementaire déjà cité, pour comprendre ce qu’était véritablement la P-26, il faut se replonger au cœur des années 70, dans cette Suisse laminée par la peur de «l’invasion rouge» et par une paranoïa rampante concernant toute forme «d’agitation intérieure». Durant ces années-là, la Confédération, par sa police fédérale et en collaboration avec les cantons, fichait tous les citoyens suspects, amassant au fil du temps près de 900 000 fiches de renseignements qui furent découvertes puis épluchées en 1989 par une commission d’enquête parlementaire, créant un scandale sans précédent dans notre pays. Dans les casernes, on préparait recrues et officiers à combattre l’ennemi venu de l’Est et chaque famille avait pour devoir de constituer des réserves en cas d’attaque nucléaire.
La guerre froide allumait tous les esprits de l’époque et la chasse aux espions s’affichait partout,
même à l’entrée des caches de l’armée secrète
Photo: Keystone
Du colonel Bachmann à Rico
C’est dans ce contexte particulier que fut décidée, en 1977, la création au sein du DMF d’un service de renseignement extraordinaire pour la recherche d’informations «à haut risque». Ce service travailla dans le secret sous la direction du colonel Albert Bachmann, qui dirigeait, toujours au DMF, une autre armée secrète dont la mission serait de créer les conditions d’une résistance intérieure en cas d’invasion, sur le modèle de la résistance française durant la Seconde Guerre mondiale. Congédié en 1980 à la suite de la malheureuse arrestation, en 1979, d’un de ses agents en Autriche, Albert Bachmann s’exila en Irlande dans le somptueux manoir qu’il avait préparé en cas de retraite du Conseil fédéral. Il céda sa place à Efrem Cattelan, un juriste bâlois, dont la ressemblance avec Mikhaïl Gorbatchev fit beaucoup gloser par la suite. Celui-ci prit le nom de code Rico, sans raison particulière, ou juste, selon une des rares interviews qu’il a laissées, parce que «le nom de Monaco ne me plaisait pas».
Cattelan avait un budget de 10 millions de francs par année (un total de 100 millions aurait été dépensé pour la P-26), pris très discrètement sur le budget fédéral pour, notamment, se fournir en armes. Photos: DR/RTS
Le Bâlois mit en place une organisation tellement fine que lui seul en connaissait parfaitement tous les rouages. La P-26 (un acronyme pour Projet-26 cantons) se développa ainsi pendant près de dix ans, dans le silence et le secret les plus absolus. Enfin, quand le Conseil fédéral, pressé par le Parlement, décida de dissoudre la P-26 en 1990, il pria tous les anciens membres, en les remerciant pour services rendus, de continuer à se taire sur leurs activités. Ce n’est qu’en 2009 que ces personnes ont été déliées de ce devoir, mais il est encore rarissime de les voir ouvertement faire état de leur participation à la P-26.
Nom de code Andreas
Le journaliste zurichois Adalbert Hofmann, 73 ans aujourd’hui, a été membre, sous le nom de code d’Andreas, de la P-26 de 1986 à 1990. Il a accepté de revenir sur ces années et témoigne de ce qu’il appelle un «engagement patriotique». «J’ai été contacté par une connaissance qui m’a demandé si j’étais prêt à m’engager dans un projet de défense globale de la Suisse. J’ai accepté parce que je souhaitais encore rendre service à mon pays, même après avoir terminé mes engagements militaires. J’ai donc signé le contrat. Il ne s’agissait pas de renseignement ou d’espionnage, et mes activités au sein de l’organisation étaient liées à ma profession de journaliste. Dans mon groupe régional, j’étais chargé de l’information, ce qui revient à dire, dans ce cas, de la propagande.»
Auteur du manuel «Défense civile», le colonel Albert Bachmann fut le premier chef de la P-26
Photo: Keystone
Adalbert Hofmann a suivi sept cours de formation. «Nous avons exercé toutes sortes de techniques, comme les exercices de tir avec de très normales armes d’ordonnance, l’installation et l’utilisation de boîtes aux lettres fantômes, la détection d’une filature, la livraison de matériel secret, le chiffrage d’informations, etc. Nous nous retrouvions dans des endroits convenus d’avance, comme le centre de Gstaad. J’ai ainsi eu l’occasion de rencontrer d’autres membres de la P-26, qui venaient de toutes les régions de Suisse. Je n’ai jamais su leur nom: nous nous appelions par nos noms de code et toute conversation privée était taboue. Tout devait rester secret. Je n’ai pu parler qu’à ma femme de mes activités et elle a dû pour cela également signer une convention de confidentialité.
Boîte fantôme. Cattelan dirigeait, à Bâle, une entreprise écran,
Consec, qui servait à blanchir l’argent reçu de Berne
Photo: Keystone
Ici, dans l’Oberland zurichois, je ne connaissais que la personne qui m’a contacté. J’ai su après qu’il était le chef de notre cellule. Personne ne pouvait donner de détails sur l’existence ou les activités des autres cellules. L’idée était clairement que nous ne devions savoir que ce qui était nécessaire.»
Adalbert Hofmann, journaliste retraité, a gardé de son activité comme chef de l’information du groupe de l’Oberland zurichois de la P-26, sous le nom de code Andreas, un croquis donnant le lieu d’un rendez-vous (à d.) et la lettre de remerciement (à g.) signée par Heinz Hasler et Efrem Cattelan, reçue en 1990. Photo: Hervé LeCunff
Des ballons à croix suisse
Concrètement, à quoi se préparait Adalbert Hofmann dans ses fonctions de «propagandiste»? «L’idée, pour moi et mes collègues, était de redonner courage à la population par des actions qui rendraient l’occupant ridicule. Nous ne planifiions pas d’actes violents. Par exemple, nous nous préparions à distribuer des ballons estampillés de la croix suisse lors du 1er Août ou des flyers motivants.
Sincèrement, je pense que la P-26 était très bien pensée et qu’elle aurait été très utile en cas d’invasion. Je ne comprends pas vraiment ce qui motive toutes ces polémiques…» En effet, pour le retraité zurichois, une chose est sûre: «Si c’était à refaire, je referais sans l’ombre d’un doute la même chose!»
Le sénateur Carlo Schmid (à droite), président, et le conseiller national Werner Carobbio (à gauche), vice-président, ont remis au Conseil fédéral en novembre 1990 un rapport faisant état de l’enquête diligentée par leurs soins depuis janvier 1990. Ils recommandent la dissolution de la P-26, et la suspension de tout recrutement. Photo: Keystone
Au-delà de toute querelle idéologique ou politique, et alors que les historiens attendent avec impatience de pouvoir objectivement se pencher sur le dossier, notamment sur les questions demeurant toujours sans réponses, comme les liens que la P-26 entretenait avec d’autres organisations du même type, actives dans des pays de l’OTAN, l’armée de résistance secrète de la Suisse continue d’alimenter son propre mystère.
En plus des actions de renseignement et de résistance en cas d'invasion, elle devait mettre en œuvre un plan d’évacuation du gouvernement suisse pour l’Irlande.
Plusieurs immeubles en Irlande furent achetés dans cette optique. Albert Bachmann participa à la création de cette armée secrète et à l'achat des terrains en Irlande.
Jean-Philippe Aeschlimann, alias Guy, membre de la P26 (Podcast)
Vidéos :
Le journaliste Martin Matter décrit ce climat et réhabilite la P-26 en montrant que le commandement de l’armée contrôlait cette organisation bien dirigée, que plusieurs conseillers fédéraux en étaient informés et qu’un groupe de parlementaires étaient tenus au courant. Passionnant, ce livre tire de l’ombre et d’un opprobre injustifié les patriotes qui se sont engagés, dès le temps de paix, à entrer en résistance si le malheur du pays devait un jour la rendre nécessaire.
Martin Matter, né en 1944, est journaliste et historien. Il a fait des études d’histoire et de droit public à l’Université de Zurich. Après l’obtention de son doctorat, il a travaillé pour divers médias, en dernier lieu comme rédacteur, chef de rubrique et membre de la direction de la rédaction de la Basler Zeitung. Il a vécu de tout près la découverte de la P-26 en 1990, mais a modifié depuis lors son jugement sur cette organisation.
Le livre est disponible ici
Le bunker de la P-26 transformé en musée
Le propriétaire du bunker, Daniel Miescher, projette d’ouvrir un musée privé. Il veut faire revivre l’époque de la guerre mondiale et aussi de la P-26, cette armée secrète dont l’existence a été révélée en 1990.
Une grange en bois insignifiante surplombe le lac de Thoune (BE). Son propriétaire Daniel Miescher ouvre la porte coulissante et déverrouille une grille, puis une porte blindée. Une échelle en métal verticale conduit le visiteur dans le bunker de la légendaire armée secrète P-26.
Le nom de code de cette installation souterraine située près de Spiez, dans l’Oberland bernois, est «jardin alpin». Elle a été construite durant la Deuxième Guerre mondiale pour faire office de fort d’artillerie. Un système de galeries relie les trois bunkers au bâtiment d’entrée.
Toutes les parties situées en surface sont camouflées en granges. Un observateur attentif pourrait s’étonner de la présence de colonnes d’aération s’élevant du sol. Dans les années 1990, ces dernières étaient cachées derrière un faux rucher.
Fondues
Car sous la terre, les membres de la très secrète armée P-26 se préparaient à la situation de crise: l’invasion de la Suisse par une puissance ennemie.
Le propriétaire du bunker, qui l’a acquis en 2004, souhaite que l’installation retrouve le mieux possible son état d’origine. Le musée privé qu’il projette d’ouvrir doit faire revivre l’époque de la guerre mondiale et aussi de la P-26 (projet 26).
Il propose déjà des visites guidées, qui lui permettent depuis plusieurs années de rentrer dans ses frais. Le passionné est aussi prêt à louer le site pour des anniversaires ou des fêtes d’entreprise. Il est même possible d’y organiser une soirée fondue, puisque le système d’aération le permet.
Voyage secret
L’adresse se trouve aisément sur internet. Il n’en a évidemment pas toujours été ainsi. «Au début, je me rendais toujours à Thoune, d’où j’étais transbahuté dans un bus VW aux vitres teintées», se souvient «Wilfried», membre de l’armée de résistance, dans le dernier livre de l’historien Martin Matter.
«Wilfried» était enseignant en Suisse orientale et faisait partie des quelque 400 Suisses recrutés pour la P-26. Dans le «jardin alpin» et plus tard à Gstaad (BE), ils étaient formés au projet secret et acquéraient des connaissances techniques: guerre psychologique, sabotage ou radio à ondes courtes.
Salué par vidéo
Souvent, même les épouses de ces hommes ne savaient rien de leur double vie. Lorsqu’un membre de la P-26 était appelé pour un cours, il devait inventer une histoire plausible à raconter à sa famille et à son employeur pour justifier son absence.
Il se rendait ensuite à l’endroit convenu, par exemple à la gare de Thoune. Son voyage derrière les vitres teintées se terminait dans l’un des garages construits derrière l’un des bunkers d’artillerie. «De là, on descendait dans les profondeurs», rapporte Wilfried.
Dans le «jardin alpin», le participant au cours s’installait dans une chambre individuelle. Dans un message vidéo, le chef d’Etat- major le saluait et lui assurait que la P-26 était un élément officiel de l’ensemble des mesures de défense du pays. L’appelé suivait aussi par vidéo différentes leçons et exercices.
Signal lumineux et container
Car chaque membre de l’armée secrète devait connaître le moins possible de collègues. Ainsi, s’il était fait prisonnier, il n’aurait pas pu les dénoncer. Lorsque le participant quittait sa chambre, le couloir devait être vide. Un signal lumineux était installé à cet effet, montre le propriétaire du bunker Daniel Miescher.
L’énorme collection compte aussi un container d’acier long de 80 cm. En situation de crise, chaque membre de la P-26 aurait obtenu un tel objet étanche à l’eau, au gaz et à l’air. Il aurait aussi reçu un pistolet et si nécessaire d’autres armes, munitions et médicaments, mais aussi des lingots d’or, considérés comme un moyen de paiement ou de pot-de-vin idéal en période d’occupation.
On ignore combien de membres de l’armée secrète ont été formés dans le «jardin alpin». Par contre une chose est sûre: ils s’exerçaient à manier des armes, comme en témoigne une installation de tir à 25 mètres.
Aujourd’hui, près de 30 ans après les faits, peut-on encore parler de scandale? La P26 est née en pleine guerre froide, dans un monde coupé en deux par le Mur de Berlin. Un contexte propice à l’émergence des "armées de l’ombre", un peu partout en Europe.
TF121