Plus de trente-deux ans après la mort du petit garçon de 4 ans retrouvé poings et pieds liés dans la Vologne, une rivière des Vosges, alors que plusieurs membres de la famille Villemin sont en garde à vue depuis mercredi, le procureur général de Dijon a communiqué de nouveaux éléments sur l'enquête.
Coup de théâtre dans une affaire vieille de 32 ans et qui n'a jamais été résolue: hier ont été placés en garde à vue surprise trois membres de la famille du petit garçon tué en 1984, l'oncle et la tante de Jean-Marie Villemin, le père de Grégory, et une belle-soeur, la femme d'un frère du père. Le procureur général de Dijon a tenu une conférence de presse ce jeudi après-midi pour communiquer certains éléments. Il en ressort que
- «Plusieurs personnes ont concouru à la réalisation du crime», selon lui
- Il ne sait pas qui est l'auteur
- Des repérages ont eu lieu avant le crime. «Quelques jours avant le passage à l'acte, des repérages et surveillances ont été réalisés, opérés par un homme portant une moustache et quelques fois accompagné d'une femme».
La grand-mère et la grande-tante reconnues comme corbeaux
Un expert en écriture a déterminé que la grande-tante et la grand-mère du petit Grégory avaient rédigé deux des cinq fameuses lettres de menaces, a annoncé le procureur général jeudi.
Mais qui était donc ce fameux corbeau qui envoyait des lettres terrifiantes à la famille du petit Grégory? Pendant les 32 longues années qui ont suivi sa mort, le mystère est resté entier. Mais selon «Le Parisien», la section de recherches de Dijon a saisi des documents «troublants» au domicile vosgien de Marcel et Jacqueline Jacob, les septuagénaires placés en garde à vue mercredi.
D'après le quotidien français, ces écrits permettront d'effectuer une comparaison graphologique avec des lettres que le corbeau avait rédigées en écriture bâtonnée. Entre le 4 mars 1983 et le 24 juillet 1985, cinq missives extrêmement violentes avaient été écrites par un ou plusieurs expéditeurs anonymes. Trois de ces lettres sont réalisées en lettres bâtonnées (style typographique), les deux autres en écriture liée.
Marcel et Jacqueline Jacob, le grand-oncle et la grande-tante de la victime, et Ginette Villemin, sa tante, ont refusé de s'exprimer lors de leur garde à vue. Ils ont invoqué leur droit à garder le silence. Selon le procureur général, un expert en écriture a désigné deux corbeaux: Jacqueline Jacob serait l'auteure de la lettre adressée aux parents de Grégory en 1983. Monique Villemin, la grand-mère de l'enfant, aurait envoyé une missive menaçante à un juge en charge du dossier en 1989.
Grégory Villemin avait 4 ans et semblait assoupi quand les gendarmes ont repêché son petit corps vêtu d’un anorak bleu, pieds et poignets entravés par des cordelettes, plaqué contre un barrage de la Vologne, une rivière vosgienne, le 16 octobre 1984 vers 21h15.
Plus de trente-deux ans plus tard, cet assassinat non élucidé, considéré jusqu’ici comme un fiasco judiciaire, pourrait trouver son épilogue ou tout au moins livrer quelques réponses dans les jours qui viennent. Les gardes à vue de plusieurs membres de la famille proche de la jeune victime, commencées mercredi 14 juin sur commission rogatoire de la juge Claire Barbier, ont en effet été prolongées jeudi 15 juin au matin.
Soupçonnés de complicité d’assassinat, de non-dénonciation de crime, de non-assistance à personne en danger et d’abstention volontaire d’empêcher un crime, Marcel Jacob, l’oncle maternel de Jean-Marie Villemin (père de Grégory), et son épouse Jacqueline, septuagénaires, ont été interpellés à Aumontzey (Vosges), tandis que Ginette Villemin, veuve de Michel Villemin – le frère de Jean-Marie –, était interpellée à Arches, à moins de 30 kilomètres de là. De leur côté, les grands-parents paternels de Grégory, Monique et Albert Villemin, ont été entendus à leur domicile comme simples témoins en raison de leur grand âge et de l’état de santé de Mme Villemin.
Parallèlement, Murielle Bolle, âgée de 15 ans au moment des faits, a été convoquée, mercredi, à la gendarmerie de Bruyères (Vosges), où elle a fait l’objet d’un prélèvement ADN avant de ressortir libre. La belle-sœur de Bernard Laroche, cousin germain de Jean-Marie Villemin, avait désigné M. Laroche comme le ravisseur et le meurtrier de Grégory avant de se rétracter.
«Dans ce microcosme familial, tout le monde – ou presque – sait tout, et tout le monde se tait depuis des décennies», a indiqué au Monde une source proche de l’enquête pour expliquer la multiplicité des infractions retenues pour les gardés à vue.
Ces interpellations, «qui visent des personnes très proches du cœur de l’affaire, ont pour but d’éclaircir certains points et d’apporter des réponses à des questions posées, parfois de longue date, par des zones d’ombre de la procédure», a indiqué dans un communiqué Jean-Jacques Bosc, procureur général de la Cour d’appel de Dijon. Dans cette enquête aux multiples rebondissements qui a déchaîné les passions, des prélèvements ont été effectués sur près de 400 personnes, une centaine de témoins ont été interrogés et près de 2000 courriers anonymes, reçus par les protagonistes de l’affaire comme par les magistrats, ont été analysés.
Mystérieux corbeau
De mai 1981 à mai 1983, un mystérieux corbeau a harcelé Albert Villemin, le grand-père de Grégory, de centaines d’appels malveillants évoquant des secrets de famille. Cet anonyme était devenu omniprésent dans le quotidien des Villemin au point que le petit garçon l’avait surnommé le «Pothomme», pour le «Bonhomme».
Le corbeau s’était tu, jusqu’au 16 octobre 1984… Ce jour-là, il avait appelé Michel Villemin, oncle de Grégory et frère de Jean-Marie, pour revendiquer l’assassinat du petit garçon moins d’une heure après sa disparition. «Je me suis vengé, j’ai pris le fils du chef et je l’ai mis dans la rivière…», avait lancé une «voix forte et énervée», dont Michel Villemin, décédé en 2010, n’a jamais su dire si elle était celle d’un homme ou d’une femme.
Le lendemain, les parents de Grégory, Jean-Marie et Christine Villemin, recevaient une terrible lettre anonyme. «J’espère que tu mourras de chagrin le chef, ce n’est pas ton argent qui pourra te redonner ton fils. Voilà ma vengeance, pauvre con», assénait la missive.
Le coup de fusil du 29 mars 1985
L’enquête s’était rapidement orientée vers la famille avec, le 5 novembre 1984, l’interpellation et l’inculpation de Bernard Laroche sur la foi des déclarations de Murielle Bolle. Mais un week-end passé en famille avait suffi pour que l’adolescente se rétracte. Libéré tout en restant inculpé, Bernard Laroche avait été abattu le 29 mars 1985 d’un coup de fusil par Jean-Marie Villemin, convaincu qu’il était l’assassin de son fils.
Les soupçons s’étaient ensuite portés sur Christine Villemin. Désignée comme un possible «corbeau» par des expertises graphologiques, la mère de Grégory avait été inculpée par le juge Jean-Michel Lambert et incarcérée le 5 juillet 1985. Libérée onze jours plus tard sous contrôle judiciaire, elle a bénéficié le 3 février 1993 d’un non-lieu retentissant pour «absence totale de charges». Le 16 décembre 1993, Jean-Marie Villemin a été condamné à 5 ans d’emprisonnement, dont 1 avec sursis, pour l’assassinat de Bernard Laroche. Ayant purgé l’essentiel de sa peine en détention préventive, il a été libéré deux semaines plus tard.
Dysfonctionnement de la justice
Installés en région parisienne, Jean-Marie et Christine Villemin, aujourd’hui âgés de 56 et 58 ans, ont trois autres enfants. Le 30 juin 2004, l’Etat a été condamné à leur verser 35 000 euros chacun pour dysfonctionnement de la justice. Ils ne s’expriment plus dans la presse depuis des années mais n’ont jamais abandonné l’espoir de voir identifié un jour l’assassin de Grégory. Devançant la prescription de l’affaire qui s’annonçait pour avril 2011, ils ont obtenu de la Cour d’appel de Dijon, en décembre 2008, la réouverture de l’enquête pour de nouvelles recherches d’ADN, après l’échec des précédentes menées en 2000-2001. Mais en avril 2013, des résultats «non concluants» avaient encore minimisé les chances d’identifier le coupable.
Selon le général Jean-Pierre Michel, sous-directeur de la police judiciaire de la gendarmerie nationale, qui qualifie ces interpellations d’opérations «de la dernière chance», les gendarmes ont pu repasser à l’offensive et procéder aux interpellations à la suite d’un «gros travail d’analyse criminologique» mené par le service central de renseignement criminel de la gendarmerie et d’une relecture approfondie de la juge Claire Barbier, présidente de la chambre de l’instruction du TGI de Dijon, qui a repris le dossier en 2011.
«Un pas de géant sur le chemin de la vérité»
L’intégralité des pièces a été repassée au crible d’Analyst’s Notebook, un logiciel qui permet notamment d’associer rapidement entre elles des données disparates et de recouper des connexions entre les personnes et les événements. «On replace dans l’espace et dans le temps les témoins, leurs déclarations et leurs possibles incohérences, ainsi que les possibilités ou impossibilités techniques de se trouver à tel ou tel endroit, tel ou tel jour», explique le général Michel.
Pour Me Thierry Moser, l’avocat des parents de Grégory, «très confiant» quant à l’issue des gardes à vue, ce rebondissement est «un pas géant sur le chemin de la vérité». Me Gérard Welzer, avocat depuis trente-deux ans de Marie-Ange Laroche née Bolle, épouse de Bernard, est plus mesuré. «Je reste prudent, a-t-il déclaré au Monde. Après trente-deux ans de procédure dans une affaire criminelle, il faut des preuves scientifiques incontestables, faute de quoi on aura jeté en pâture à l’opinion le nom des gens placés en garde à vue pour rien, ce qui est choquant.»
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Patricia Jolly