100.000 morts, blessés, disparus et prisonniers côté français, et 80.000 côté allemand
Les commémorations du centenaire de la bataille du Chemin des Dames amènent de nombreux commentaires sur ce terrible fait de guerre. On les connaît déjà, de façon plus ou moins juste, plus ou moins précise.
Déjà trois années de guerre, trois années de souffrances et trois années de courage pour les poilus. Et voici une nouvelle bataille, presque sur le même schéma tactique que les précédentes (Champagne, Somme). Et de nouveaux morts, des blessés au point que les HOE (hôpitaux d’orientation et d’évacuation, situés juste à l’arrière du front) seront débordés dès les premières heures.
Oui, le nombre des victimes parle de lui-même et résulte des erreurs militaires évidentes, un aveuglement de quelques grands chefs militaires ainsi que de politiques que l’on oublie trop souvent de citer et une opinion publique toujours prête à engager la bataille, à condition que ce soit les autres qui partent au combat !
Revenons un instant sur ces hommes politiques, car tout n’est peut-être pas de la faute du général en chef. Il est aux ordres du gouvernement qui exige une victoire, où les ministres se jalousent et certains se détestent. À l’issue de cet échec, le général est désigné responsable, ce qui permettra de cacher les autres coupables.
Et, de l’autre côté, la mentalité de beaucoup de combattants reste étonnante. Oui, il y aura des mutineries. Mais combien de poilus qui repartent à l’assaut malgré les dangers qu’ils connaissent mieux que tout le monde. Quel esprit, quelle bravoure, quel courage !
Laissons juste parler le sous-lieutenant Adrien Henry qui attaque avec le 150e régiment d’infanterie du côté de Berry-au-Bac, le matin du 16 avril :
« À ce moment, le brouillard se leva et un feu meurtrier nous causa de lourdes pertes. Heureusement, le tir de barrage allemand passait derrière nous ; partir à l’arrière, c’était courir à la mort. Nous fîmes quelques bonds jusqu’au premier réseau allemand, mais à ce moment-là, une grêle de balles nous cloua sur place. Une balle érafla le cimier de mon casque sans me faire aucun mal, mais le commandant Lhermitte eut moins de chance que moi, une balle lui traversa le cou près de la nuque. Couché près de lui, je défis mon paquet de pansement, je le bandai du mieux que je pus et sans me lever, car les balles continuaient à siffler près de nous. »
Gardons une pensée pour toutes ces victimes.
Frédéric Henry
« À 7 heures, la bataille était perdue »
Le 16 avril 1917, la guerre atteint son 986e jour. Le général Robert Nivelle (1856-1924), qui a remplacé en décembre 1916 le général Joseph Joffre (1852-1931) à la tête des armées françaises, reprend l’idée de son prédécesseur : concentrer un maximum de forces sur une partie du front afin de l’enfoncer et en terminer avec la guerre de positions. Le terrain est choisi : c’est le Chemin des Dames, que les Allemands ont transformé en véritable forteresse. Le général Nivelle estime que ce secteur, situé entre Reims et Soissons, est mal défendu.
Nivelle prévoit une attaque frontale qui doit surprendre l’ennemi et l’anéantir, ou au moins le faire reculer. Nivelle a utilisé cette technique à Verdun. Elle a fonctionné. Avec succès. Les quatre jours précédant l’offensive, l’artillerie a préparé le terrain : 533 obus sont tirés en moyenne par minute, mais le brouillard et la brume persistants ne permettent que des tirs approximatifs.
Dès 3 h 30, le 16 avril, les hommes de première ligne se préparent et avancent jusqu’aux premières tranchées ennemies. Beaucoup de soldats sont désorientés par les ordres et les contre-ordres. De plus, la veille, beaucoup ont fait « la bombe », c’est-à-dire la fête : « Comme nous ne savons pas si nous reviendrons, il fallait en profiter : une courte lettre à sa famille, presque un adieu, et en route », témoigne Paul Clerfeuille (1885-1983), du 273e RI.
À six heures du matin, près d’une centaine de régiments d’infanterie s’engagent dans la bataille.
Mais l’effet de surprise ne joue pas. Pour deux raisons. La première est que les Allemands avaient investi le Chemin des Dames depuis l’automne 1914. Ils ont eu le temps de construire des souterrains de protection et des abris souterrains à 10 ou 15 m de profondeur. Ils attendent les unités d’infanterie françaises de pied ferme. La seconde est que les Allemands avaient appris de certains prisonniers que les Français s’apprêtaient à attaquer.
L’ancien chemin de plaisance se transforme vite en chemin de souffrance. Selon le député des Basses-Pyrénées Jean Ybarnégaray (1883-1956), qui sert comme officier d’état-major au 249e régiment d’infanterie, « la bataille s’est livrée à six heures du matin, à sept heures, elle était perdue ! » L’emploi des premiers chars français dans le secteur de Berry-au-Bac ne change rien, bien au contraire.
Cette bataille à laquelle participent de futurs grands personnages ne s’achève qu’avec le retrait des Allemands le 1er novembre 1917 au prix d’environ 100.000 morts, blessés, disparus et prisonniers côté français, et 80.000 côté allemand. Cette bataille est à l’origine des très controversées mutineries qui auront finalement fait moins de fusillés qu’en 1914 ou 1915. Mais le Chemin des Dames est-il un échec ? Un demi-succès ? Les historiens en débattent encore.
Notes:
Ce Chemin des Dames doit son nom à Adélaïde et Victoire, filles du roi Louis XV et, donc, dames de France. Elles empruntaient ce chemin de plaisance, qui a été empierré, pour rendre visite à leur gouvernante et dame d’honneur, Mme François de Chalus, au château de la Bove à Bouconville-Vauclair.
Phrase prononcée lors d’un comité secret à la Chambre des députés le 20 juin 1916.
Sur 128 chars engagés, 57 sont détruits, 64 tombent en panne ou restent enlisés. Le bilan humain est lourd : 9 officiers tués, 17 blessés, 7 disparus. 25 hommes tués, 92 blessés et 30 disparus.
Jean de Lattre de Tassigny (1889-1952), alors capitaine adjudant-major au 93e régiment d’infanterie ; Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955), caporal-brancardier au 8e régiment de marche de tirailleurs marocains ; Marc Bloch (1886-1944), officier au 72e régiment d’infanterie, etc.
Henri Saint-Amand

