Depuis 2015, c'est un véritable feuilleton qui se joue au Petit-Saconnex, à proximité des organisations internationales, dans le canton de Genève. Quand ce ne sont pas deux jeunes, fréquentant la Grande Mosquée, qui partent rejoindre l'organisation État islamique, c'est l'un des futurs assassins du père Jacques Hamel qui s'y arrête, en mai 2015, avant de s'envoler en Turquie, via l'aéroport de Genève. Sans oublier que trois des responsables de la mosquée, dont celui chargé de la sécurité, sont fichés S. À chaque fois, Ahmed Beyari, superviseur directeur général de la Fondation culturelle islamique de Genève, répondait qu'il n'était au courant de rien et qu'il n'y avait pas de problème.
Rompant avec ses habitudes, l'ancien diplomate saoudien, diplômé de l'université de Neuchâtel, a accordé une très longue interview à La Tribune de Genève cette semaine. Mais les lecteurs risquent de rester sur leur faim, car à le lire, tout va très bien dans cette mosquée contrôlée par la Ligue islamique mondiale, fondée à La Mecque en 1962. Ahmed Beyari précise que « le nouveau secrétaire général de la Ligue islamique mondiale présidera le conseil de fondation ». À la question de savoir s'il pensait avoir fait tout ce qu'il fallait, le directeur général répond : « Je pense. C'est vrai que j'ai évité un temps les médias, pour certaines raisons, car j'avais besoin de temps pour mieux comprendre la situation. »
« La fiche S ne veut rien dire »
On retiendra aussi le mot « modéré », utilisé à de multiples reprises par l'ancien diplomate dans cette interview. « Modéré » est ainsi l'islam « prôné » par l'Arabie saoudite. Pour mémoire, le royaume défend la mouvance la plus radicale de l'islam sunnite, le wahhabisme. Ce courant, qui entend revenir aux sources de l'islam, et qui s'appuie sur une interprétation littérale du Coran et de la tradition prophétique, revendique une application stricte de la charia.
Interrogé sur le profil de deux des imams de la grande mosquée, Mehdi Tonnerieux et Abdelhakim Aragou, deux Français convertis, et fichés S, Ahmed Beyari répond qu'« ils sont diplômés de l'université de Médine, qui est modérée. Ils enseignent un islam modéré. Ils sont contre l'extrémisme. Ils portent la barbe, mais cela ne fait pas d'eux des intégristes ». Le directeur général ajoute : « Ce sont les meilleurs imams que j'ai rencontrés jusqu'à présent. Ils sont honnêtes, font leur devoir […]. La fiche S ne veut rien dire. Rien ne justifierait leur licenciement. » Le numéro de téléphone de l'un des deux imams français figurait pourtant à sept reprises dans la liste des appels entrants et sortants du téléphone du terroriste Mohamed Merah, emprunté à sa mère.
Par ailleurs, la Grande Mosquée cherche à recruter un nouvel imam, bien entendu il devra être « modéré, bien éduqué, pas forcément formé à Médine, de nationalité suisse ou ayant vécu longtemps en Suisse ».
Les départs pour la Syrie, un « incident »
Quant au départ de deux jeunes qui fréquentaient ce lieu de prière, Ahmed Beyari répond que « nous ne pouvons pas savoir ce qu'il y a dans la tête de chacun. Nous avons appris qu'ils étaient partis en Syrie après leur départ [sic]. Je pense qu'Internet les a influencés ». Toutefois, il ajoute qu'après « cet incident [sic], nous sommes devenus plus vigilants à la mosquée ».
La Tribune de Genève rappelle qu'une pétition recueillant 200 signatures réclame le départ du Saoudien Ahmed Beyari. Ce dernier répond que « la majorité de la communauté est satisfaite ». La Grande Mosquée de Genève, la plus grande mosquée de Suisse, a été inaugurée en 1978 en présence du roi Khaled d'Arabie saoudite. Elle est gérée par la Fondation culturelle islamique de Genève.
IAN HAMEL