Surnommé «Le petit général», Kim Jong-Nam fut un temps pressenti comme l'héritier de la Corée du Nord. Mais un faux-pas monumental le condamna à un exil de fait, d'où il multiplia les critiques contre le régime de Pyongyang.
Le demi-frère du leader actuel Kim Jong-Un a été assassiné lundi à l'âge de 45 ans à l'aéroport de Kuala Lumpur dans des circonstances mystérieuses, qui rappellent les pires heures de la Guerre froide. Certains médias évoquent des aiguilles empoisonnées. Né de l'union de son père avec Sung Hae-rim, une actrice née en Corée du Sud et morte à Moscou, Kim Jong-Nam avait étudié en Suisse et en Russie, et parlait plusieurs langues, dont le japonais.
Considéré comme un poids plume
Présenté comme un passionné d'ordinateurs, il était après ses études rentré à Pyongyang, où il avait été propulsé à la tête de la stratégie de développement informatique du régime nord-coréen.
Mais avant même sa disgrâce, l'aîné joufflu des Kim était considéré par les services sud-coréens comme un poids plume de la politique nord-coréenne, n'ayant pas l'étoffe d'un dirigeant.
«On le surnomme le Petit général seulement parce qu'il est le fils du Cher Général, le leader», disait-on à Séoul au début des années 2000.
Aventure rocambolesque
C'est par une aventure rocambolesque et peu en phase avec les talents de son père pour les opérations secrètes qu'il se fait connaître en 2001.
Il est arrêté à l'aéroport de Tokyo, muni d'un faux passeport dominicain, avec deux femmes et un enfant. Il aurait alors déclaré aux autorités qu'il voulait visiter Tokyo Disneyland.
Après cette mésaventure, Kim Jong-Nam vit de fait en exil avec sa famille, à Macao, Singapour ou en Chine. Il se dit qu'il se rend souvent à Bangkok, à Moscou et en Europe. Et c'est son demi-frère Jong-Un qui hérite du pouvoir à la mort de leur père en décembre 2011.
Jong-Un, juste «un symbole»
Mais avant même cette succession, il affirme que le pouvoir ne l'intéresse pas et se dit en octobre 2010 «opposé à la transmission héréditaire à une troisième génération de la famille», dans un entretien en coréen à la chaîne japonaise Asahi TV.
Il enfonce le clou en janvier 2011 en affirmant à un journal japonais que son père était également opposé à cette transmission héréditaire, mais a désigné son cadet comme successeur «afin de stabiliser le pays».
«Il n'y a pas eu de succession par hérédité même pour le président chinois Mao Tsé-toung», rappelle-t-il. «Cela ne correspond pas au socialisme et mon père était contre.» Un an plus tard, il émet des doutes sur les capacités de son jeune frère.
«Je me demande comment un jeune héritier avec seulement deux années (de préparation à la succession) peut être capable d'assumer (...) le pouvoir absolu», dit-il dans un courriel au Tokyo Shimbun. «Il est probable que les élites actuellement au pouvoir vont succéder à mon père en exhibant son jeune successeur comme symbole.»
Quelques jours plus tard, sort l'essai «Mon père Kim Jong-Il et moi», écrit par des journalistes japonais sur la base d'échanges avec Kim Jong-Nam.
Difficultés financières
Ce dernier souligne que le régime nord-coréen est confronté à un dilemme insoluble: «Sans réforme, l'économie va s'effondrer. Mais des réformes conduiront à une crise et à la fin du régime.»
En octobre 2012, le parquet sud-coréen avait indiqué qu'un Nord-coréen détenu comme espion avait reconnu son implication dans une mise en scène d'accident de la route en Chine en 2010, visant Kim Jong-Nam.
La même année, l'hebdomadaire moscovite Argumenty i Fakty avait rapporté qu'il avait des difficultés financières, après s'être vu couper les vivres par Pyongyang suite à ses critiques du mode de succession. Il aurait été expulsé d'un hôtel de luxe à Macao avec des dettes de 15'000 dollars.
Son fils né en 1995, Kim Han-Sol a étudié à Mostar (Bosnie), puis au campus du Havre (nord-ouest) de Sciences-Po Paris.
En octobre 2012, dans un entretien en anglais accordé à Mostar à la télévision finlandaise Yle, ce jeune homme à l'oreille percée avait qualifié son oncle Kim Jong-Un de «dictateur» et soutenu que son «père n'était pas vraiment intéressé par la politique».
Première tentative d'assassinat
En 2012, des agents du Nord tentèrent d'assassiner Kim Jong-Nam, qui passait pour un défenseur des réformes au Nord, ont raconté mercredi à la presse des parlementaires sud-coréens après une réunion à huis clos avec le patron des renseignements sud-coréens (NIS) Lee Byung-Ho.
«Selon (Lee), il a été victime d'une tentative d'assassinat en 2012 et Jong-Nam a envoyé en avril 2012 une lettre à Jong-Un lui écrivant: s'il te plaît épargne moi et ma famille », a déclaré aux journalistes Kim Byung-Kee, membre de la commission des renseignements du Parlement.
«Il lui disait aussi: Nous n'avons nulle part où aller, (...) nous savons que la seule issue est le suicide », a-t-il ajouté en expliquant que Jong-Nam avait peu de soutiens en Corée du Nord et qu'il ne constituait pas une menace pour son demi-frère.
La famille du défunt -ses épouses actuelle et passée et ses trois enfants- vivent actuellement à Pékin et Macao, selon un autre membre de la commission, Lee Cheol-Woo. «Ils sont sous la protection des autorités chinoises», a-t-il dit, en ajoutant que Jong-Nam était entré en Malaisie le 6 février.
AFP